Shenzhen

shenzhen


Titre : Shenzhen
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Avril 2000


Avec ses quatre carnets de voyage, Guy Delisle a fini par obtenir un prix Ă  AngoulĂȘme pour « Chroniques de JĂ©rusalem ». Mais tout a commencĂ© Ă  2000 avec Shenzhen, oĂč il relate son expĂ©rience en Chine, dans la ville de Shenzhen. Si Guy Delisle a visitĂ© des pays trĂšs diffĂ©rents (Chine, CorĂ©e du Nord, Birmanie, IsraĂ«l), il en rĂ©cupĂšre Ă  chaque fois tout ce qui en fait le dĂ©calage culturel. En passant plusieurs mois sur place, il s’approprie rĂ©ellement la vie locale. Le tout est publiĂ© Ă  L’Association pour 150 pages de dĂ©calage culturel.

À l’époque, Guy Delisle travaille dans l’animation. Cette derniĂšre Ă©tant dĂ©localisĂ©e en Asie (en Chine donc, puis en CorĂ©e du Nord), il part superviser les Ă©quipes locales et vĂ©rifier que les plans sont correctement faits. C’est l’occasion d’un premier choc culturel sur la façon de travailler des Chinois


Le Lost in translation de la bande-dessinée

shenzhen1L’autre partie est bien Ă©videmment le choc culturel avec le pays. La Chine n’est pas le pays le plus ouvert du monde et les problĂšmes de passages dans certaines zones le montre bien. Mais surtout, la langue est un vrai souci. Peu de chinois parlent anglais et beaucoup le parlent trĂšs mal. Guy Delisle est donc souvent dans l’incapacitĂ© de communiquer et passent des week-ends seuls
 Sur ce point, on ressent parfaitement le cĂŽtĂ© « Lost in translation ». Seul membre occidental Ă  ĂȘtre venu sur place, il est trĂšs isolĂ©. De plus, la Chine ne propose pas rĂ©ellement de moyen de se rĂ©unir entre expats.

La force des carnets de voyage de Guy Delisle est de ne pas chercher Ă  Ă©crire un documentaire dĂ©taillĂ© sur son expĂ©rience. Il dit ce qu’il voit, ce qui le choque, sans chercher Ă  appuyer sur l’aspect politique des choses. C’est le lecteur qui, guide subtilement, se fait son opinion. L’auteur exprime un ressenti et ne cherche pas Ă  nous le prĂ©senter comme une vĂ©ritĂ© objective.

Concernant le dessin, l’auteur opte pour un dessin plus fouillĂ© que ce qu’il produira par la suite. Le trait reste simple, mais la colorisation en niveaux de gris apporte de la matiĂšre. C’est expressif et plutĂŽt rĂ©ussi comme choix graphique. Et plutĂŽt adaptĂ© Ă  la saletĂ© de la Chine dĂ©crite par le livre.

« Shenzhen » est une rĂ©ussite. Guy Delisle trouve vite son ton. Son carnet de voyage, sous forme d’anecdotes, passionne. On s’intĂ©resse autant aux pĂ©ripĂ©ties de Guy qu’au pays en lui-mĂȘme. Un subtil Ă©quilibre que l’auteur saura garder Ă  chacun de ses bouquins.

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note4

Le guide du mauvais pĂšre, T1

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Titre : Le guide du mauvais pĂšre, T1
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Janvier 2013


Guy Delisle est un auteur canadien qui s’est fait connaĂźtre dans le petit monde de la bande-dessinĂ©e par ses rĂ©cits de voyage dans des pays tous plus intĂ©ressants les uns que les autres. Il a atteint la consĂ©cration avec « Chroniques de JĂ©rusalem », aurĂ©olĂ© d’un Fauve d’Or au Festival International de la Bande-DessinĂ©e d’AngoulĂȘme en 2012. Fort de cette reconnaissance, il dĂ©cide alors de mettre en pause ses rĂ©cits de voyages pour proposer « Le guide du mauvais pĂšre », un ouvrage autobiographique bien plus lĂ©ger. Le tout paraĂźt chez Shampooing, dans un format manga. Cela pĂšse quand mĂȘme 190 pages pour une dizaine d’euros.

Ce qui marque d’emblĂ©e est l’aspect bloguesque de l’ensemble. On est dans la pure anecdote pĂšre/enfant dessinĂ© avec un trait simple et sans fioritures. Ainsi, les « cases » sont nombreuses, les blancs importants. Tout se passe donc essentiellement dans le dialogue (et les silences qui en font partie). Le tout en lien avec son fils (l’aĂźnĂ©) et sa fille (plus jeune).

Un auteur attendu au tournant

J’avoue que j’attendais un peu Delisle au tournant. Ses livres ayant une part d’intĂ©rĂȘt non-nĂ©gligeable liĂ©e au cĂŽtĂ© documentaire, j’étais un peu curieux de voir ce que pouvait donner un ouvrage purement humoristique. Force est de constater que c’est plutĂŽt rĂ©ussi. MĂȘme si le thĂšme du pĂšre indigne et cynique n’est pas nouveau, l’auteur possĂšde un vrai talent dans les rĂ©parties et les situations. Quant Ă  savoir oĂč est la part de vrai lĂ -dedans
 Les anecdotes font donc mouche, les chutes sont drĂŽles et, chose Ă  signaler, les dialogues aussi. Les situations sont souvent assez longues, mĂȘme si le format du livre donne des impressions de longueur un peu biaisĂ©es.

Cependant, force est de constater que le livre se lit un peu vite, et ce malgrĂ© les 190 pages. Le dessin trĂšs simple, les nombreux silences, le fait qu’il n’y ait en moyenne que deux dessins par page donnent un rythme de lecture bien trop soutenu. Et la frustration guette Ă  la fin de l’ouvrage. Pas Ă©tonnant qu’un tome deux soit sorti depuis. On atteint un peu la limite de ces livres typĂ©s blog. En recueil, ce n’est pas forcĂ©ment toujours adaptĂ©. Le mĂȘme sentiment m’avait touchĂ© lorsque j’avais dĂ©couvert les recueils de Bastien VivĂšs dans la mĂȘme collection. Certes, chaque livre n’est pas bien cher, mais l’ensemble est excessif.

Au final, ce « Guide du mauvais pĂšre » montre que Guy Delisle est tout Ă  fait capable de sĂ©duire sans le background d’un pays exotique. Son humour fait mouche et la lecture est un vrai plaisir. Cependant, Ă  10 euros le bouquin, vous risquez de rester un peu sur votre faim Ă  la fermeture de l’ouvrage. A vous de voir.

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Chroniques de JĂ©rusalem

ChroniquesDeJerusalem


Titre : Chroniques de JĂ©rusalem
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Novembre 2011


Guy Delisle a imposĂ© son style dans ses livres de voyage. AprĂšs la Chine, la CorĂ©e du Nord et la Birmanie, le voilĂ  qui arrive en IsraĂ«l, Ă  JĂ©rusalem. PubliĂ© comme le prĂ©cĂ©dent aux Ă©ditions Delcourt, dans la collection Shampooing, l’auteur canadien a su bonifier son trait et sa narration au point que ce « Chroniques de JĂ©rusalem » obtienne le prix du meilleur album au Festival International de Bande-DessinĂ©e d’AngoulĂȘme en 2012 ! Alors, qu’en est-il ? Ce prix est-il mĂ©rité ?

Le terme de « chroniques » est parfaitement adaptĂ© car nous allons avoir droit ici Ă  de nombreuses anecdotes et morceaux de vie. Pas question de crĂ©er une longue narration. Si bien que malgrĂ© le nombre de pages importants (plus de 300 !), le livre se lit trĂšs agrĂ©ablement, la lecture pouvant s’arrĂȘter Ă  tout moment sans problĂšme. Guy Delisle suit donc sa femme, qui travaille Ă  MĂ©decins Sans FrontiĂšres, en IsraĂ«l. Ils s’installent Ă  JĂ©rusalem Est (cĂŽtĂ© arabe) et l’auteur reprend son activitĂ© de pĂšre au foyer. Pendant que sa femme s’active, il s’occupe de son enfant. L’idĂ©e est de trouver de quoi tromper l’ennui. Le jardin d’enfant est, entre autres, une des grandes quĂȘtes du canadien.

Un regard plus affûté

Évidemment, l’aspect touristique est vite prĂ©sent. Guy Delisle visite le pays (ou du moins les environs) avec sa candeur habituelle. Il Ă©vite tout jugement (mĂȘme si celui-ci transparaĂźt) et note avant tous les incohĂ©rences et ce qui le choque de visu. Ainsi, voir des fusils d’assaut rĂ©guliĂšrement le laisse perplexe
 L’appel Ă  la priĂšre le fait sursauter
  Tout est racontĂ© de façon chronologique. Ainsi, dans la seconde moitiĂ©, la surprise est moins prĂ©sente chez l’auteur. Le regard se fait plus affĂ»tĂ©, bien que toujours sans prĂ©senter ses opinions.

Si Delisle avait l’habitude des pays assez fermĂ©s, ce n’est pas le cas ici. IsraĂ«l est une dĂ©mocratie et il est donc beaucoup plus libre de ses mouvements. Du coup, il pĂ©nĂštre bien plus dans l’esprit du pays que dans les autres livres. Son autonomie lui permet de toucher du doigt plus d’incohĂ©rences. Car c’est le vĂ©ritable sujet du livre : IsraĂ«l est prĂ©sentĂ© comme un pays complĂštement absurde. C’en est souvent risible, mais malheureusement aussi inquiĂ©tant. L’auteur met le doigt sur des comportements et des usages complĂštement improbables. Il y prĂ©sente un pays oĂč des populations vivent ensemble sans se croiser ou se parler. C’est un vĂ©ritable apartheid en pleine dĂ©mocratie. A cela s’ajoute les communautĂ©s religieuses les plus orthodoxes du monde
 On devine alors une JĂ©rusalem multiple, mais surtout divisĂ©e.

Au niveau du dessin, Guy Delisle a affinĂ© son trait. C’est simple mais efficace et la narration se fait avec beaucoup de fluiditĂ©. Cette fois-ci, la couleur a plus d’importance. Le tout est souvent colorisĂ© de façon monochrome, mais chaque couleur a un sens. Cela facilite la lecture. Quelques touches de couleurs sont ajoutĂ©s afin d’enrichir le tout (souvent en renforçant un effet, comme une explosion par exemple). Clairement, graphiquement, l’auteur progresse et propose un rĂ©sultat de plus en plus abouti. 

« Chroniques de JĂ©rusalem » est une grande rĂ©ussite. Difficile d’ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  ce qui y est racontĂ©. Et en prĂ©sentant le tout de façon factuel, Guy Delisle donne Ă  son ouvrage une certaine universalitĂ©, si bien que l’on dĂ©vore le livre, allant de surprise en surprise. Un must du carnet de voyage !

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note5

Chroniques birmanes

ChroniquesBirmanes


Titre : Chroniques birmanes
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Octobre 2007


AprĂšs « Shenzen » et « Pyongyang », Guy Delisle s’attaque Ă  la Birmanie (ou le Myanmar) dans ces « Chroniques Birmanes ». VoilĂ  donc le troisiĂšme opus des reportages si particuliers de l’auteur canadien. Alors qu’il s’était retrouvĂ© en Asie pour superviser des studios d’animation, le voilĂ  dĂ©sormais dans l’une des pires dictatures du monde afin de suivre sa femme qui travaille chez MĂ©decins Sans FrontiĂšres. Exit l’animateur, voilĂ  le pĂšre au foyer ! Delisle passe sa journĂ©e Ă  faire de la bande-dessinĂ©e et, surtout, Ă  s’occuper de Louis, son fils. Nouveau pavĂ© Ă  dĂ©vorer, ce livre pĂšse 263 pages et est publiĂ© chez Delcourt, dans la collection Shampooing (et non plus chez L’Association).

Si ses prĂ©cĂ©dents opus possĂ©daient une continuitĂ© relative de la narration, ce n’est pas le cas ici. Le titre prend tout son sens. C’est bien de chroniques dont il s’agit, les anecdotes Ă©tant empilĂ©es les unes aux autres. Alors bien sĂ»r, il y a quand mĂȘme une certaine chronologie, mais la lecture est ainsi un peu diffĂ©rente. Vu le pavĂ© reprĂ©sentĂ©, cela permet de faire des pauses plus facilement et de picorer dans l’ouvrage. Le fait que l’auteur ait passĂ© un an et demi dans le pays justifie Ă©videmment ce choix.

Ce que l’on pouvait regretter dans « Pyongyang », c’est que Guy Delisle ne pouvait pas atteindre l’envers du dĂ©cor de la sociĂ©tĂ© nord-corĂ©enne. C’est un peu la mĂȘme chose ici puisque les zones les plus sensibles lui sont interdites. D’ailleurs, il n’hĂ©site pas Ă  le rappeler rĂ©guliĂšrement. Cependant, la population est ici plus disserte et ses conversations avec les Birmans lui permettent de mieux saisir leur façon de vivre. On dĂ©couvre ainsi la vie dans son quartier et les inĂ©vitables rencontres d’ONG.

Un rĂŽle de candide

La force de Guy Delisle est de se donner un rĂŽle de candide. Faussement naĂŻf, il aborde un ton lĂ©ger qui permet Ă  l’ouvrage de se lire avec plaisir. Pas de cynisme, de propos sombres, l’auteur ne cherche pas Ă  politiser son livre. Seuls les passages didactiques (assez rares finalement) apportent un peu sur ce plan-lĂ . Et quand le personnage Guy Delisle dĂ©cide de devenir militant pour la Dame de Rangoon, c’est pour mieux oublier ses engagements dans la case d’aprĂšs
 Mais derriĂšre ce vernis non-politisĂ©, les messages passent Ă  foison de part les faits.

Beaucoup de personnes n’arrivent pas Ă  se lancer dans un livre de Guy Delisle Ă  cause du dessin. Ce serait une erreur tant le contenu vaut le coup. Surtout que le trait est simple, mais trĂšs efficace. Il est parfaitement adaptĂ© au propos et lisible. Le tout est rehaussĂ© de gris de façon pertinente. L’auteur utilise un gaufrier de six cases, rĂ©servant la premiĂšre pour le titre de l’anecdote. Il y a une certaine routine qui s’installe, plutĂŽt confortable pour le coup. Bref, si vous n’aimez pas le trait de Guy Delisle, cela vaut le coup d’essayer de passer le cap.

Ces « Chroniques Birmanes » confirment le talent de Guy Delisle pour des rĂ©cits de voyage tout en lĂ©gĂšretĂ©. MĂȘme si ses observations sont Ă©videmment limitĂ©es par sa vie et qu’il n’est pas au plus prĂšs des exactions, on apprend beaucoup de choses dans cet ouvrage et l’on sourit Ă  de multiples reprises. A lire !

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note4

Pyongyang

Pyongyang


Titre : Pyongyang
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Mai 2003


Guy Delisle s’est spĂ©cialisĂ© dans la bande-dessinĂ©e façon carnet de voyage. En 2003, aprĂšs avoir dĂ©crit Shenzen, il s’attaque Ă  la CorĂ©e du Nord dans « Pyongyang ». Son travail d’animateur d’alors le pousse Ă  aller superviser la production sur place. C’est donc parti pour plusieurs mois dans l’un des pays les plus fermĂ©s du monde. Son livre « 1984 » d’Orwell en poche, Delisle va dĂ©couvrir la vie dans la capitale de la CorĂ©e du Nord. Le tout est publiĂ© en noir et blanc Ă  l’Association et pĂšse pas moins de 176 pages.

Cela faisait longtemps que je voulais me lancer dans la lecture des ouvrages de Guy Delisle tant on m’en a dit du bien. Et son prix Ă  AngoulĂȘme pour « Chroniques de JĂ©rusalem » m’avait d’autant plus incitĂ© Ă  m’y intĂ©resser. J’ai donc choisi de dĂ©marrer avec le pays qui me fascine le plus, la CorĂ©e du Nord. A cette Ă©poque-lĂ , Guy Delisle est cĂ©libataire et ne part donc que quelques mois. Il arrive seul en CorĂ©e du Nord oĂč les activitĂ©s ne sont pas lĂ©gion
 On dĂ©couvre alors son quotidien avec les autres travailleurs de l’animation et les ONG.

Un ton léger, un sujet grave

Si l’auteur nous fait dĂ©couvrir la CorĂ©e du Nord, c’est par son Ɠil averti. Ainsi, les analyses profondes du rĂ©gime ne sont pas d’actualitĂ©. Ce que vit et voit Delisle suffit amplement Ă  nous renseigner sur ce rĂ©gime. On dĂ©couvre une population asservie, presque robotisĂ©e et de grands espaces vides (Ă  l’image des hĂŽtels). Le rĂ©gime est Ă  l’agonie. Il tente de le cacher, mais c’est beaucoup trop flagrant pour passer inaperçu. Surtout que l’auteur est quelqu’un de curieux qui ne mĂ©nage pas son guide (qui l’accompagne en permanence). Il aime rentrer Ă  pied et visiter
 Et en adoptant un ton lĂ©ger, Delisle parvient Ă  nous distraire en parlant d’un pays ultra-rĂ©pressif
 

Au fond, en lisant l’ouvrage, on a l’impression de revivre l’expĂ©rience de Delisle. On dĂ©couvre ce pays comme il l’a lui-mĂȘme dĂ©couvert : les incohĂ©rences, les violences, la peur, etc. Delisle n’est pas un idĂ©ologue. A aucun moment, il ne cherche Ă  nous assĂ©ner un message politique. Bien sĂ»r, cela transparait quand mĂȘme au fur et Ă  mesurer de la lecture, mais l’ensemble reste trĂšs factuel.

Concernant le dessin, Delisle a un trait simple, façon « nouvelle bande-dessinĂ©e ». C’est parfaitement adaptĂ© Ă  l’ouvrage. Le tout est rehaussĂ© d’une colorisation en niveaux de gris qui densifie un peu l’ensemble. C’est lisible et trĂšs efficace.

Au final, on ressort un peu sonnĂ© de « Pyongyang ». Devant tant d’absurditĂ©, on ne peut qu’ĂȘtre rĂ©voltĂ©. Mais en choisissant un ton lĂ©ger, Guy Delisle Ă©vite l’écueil d’un ouvrage trop politisé et orientĂ©. Du coup, on sourit souvent avec un thĂšme bien grave pourtant. Du beau travail !

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note4

 

Garçon manquĂ© – Liz Prince

GarçonManqué


Titre : Garçon manqué
Scénariste : Liz Prince
Dessinatrice : Liz Prince
Parution : Octobre 2014


AprĂšs avoir Ă©tĂ© déçu par « Seule pour toujours » de Liz Prince, je voulais lui demander une nouvelle chance. En effet, les critiques que j’avais pu lire encensait plutĂŽt « Garçon manqué », qui est un vrai one-shot et non pas un recueil de blog. Dans ce livre, Liz Prince raconte sa jeunesse et son adolescente oĂč son cĂŽtĂ© pas assez fĂ©minin (selon elle) l’a beaucoup fait souffrir. C’est donc une autobiographie qui nous est proposĂ©e chez Ça et LĂ , pour un total de
 250 pages !

L’autobiographie de jeunesse centrĂ© sur un problĂšme particulier (ici le cĂŽtĂ© « garçon manqué ») a le vent en poupe. HĂ©las, il faut bien avouer que certains ont des jeunesses bien plus intĂ©ressantes que d’autres. Et surtout, la difficultĂ© est de savoir sublimer son existence par un traitement narratif ou graphique adĂ©quat. Liz Prince hĂ©site un peu sur le mode Ă  suivre, tantĂŽt humoristique, tantĂŽt franchement plombante. Le livre se rĂ©vĂšle bien trop premier degrĂ©. Alors qu’en est-il du propos ?

Un livre au premier degré trop exhaustif.

GarçonManquĂ©2Liz n’aime pas les robes. VoilĂ  le point de dĂ©part de l’intrigue. Elle n’aime donc pas les poupĂ©es, le rose et tout ce qui va avec. Elle aime les jeux de garçons et jouer avec eux. HĂ©las, il n’existe visiblement pas d’espace intermĂ©diaire. Elle se retrouve ainsi mise Ă  l’écart des deux communautĂ©s. Au-delĂ  du cĂŽtĂ© garçon manquĂ©, c’est avant tout l’histoire des marginaux qui est narrĂ©e. HĂ©las, le tout reste trĂšs terre-Ă -terre et ce n’est que dans les ultimes pages que la notion de marginalitĂ© (au sens large du terme) prend vraiment sa place.

Liz Prince aurait pu gĂ©nĂ©raliser son propos mais ce n’est pas le cas. On retrouve finalement dans le livre tout ce que l’on pourrait dire Ă  l’avance avant de le lire : on la prend pour un garçon, pour une lesbienne et elle accepte mal son corps. Du coup, si le livre se lit facilement, il ne propose aucune vĂ©ritable surprise. Et les moments plus intimes, plus personnels, sont noyĂ©s devant la pagination trop importante du livre. En effet, de nombreux passages sont redondants et n’apportent rien. En voulant tout dire, l’auteure affaiblit son propos.

Au niveau du dessin, c’est vraiment le minimum syndical. Le tout est en noir et blanc, avec un traitement sans matiĂšre ni niveau de gris. Le dessin est trĂšs simple et, finalement, n’apporte rien Ă  la narration. On peut avoir un dessin underground puissant ou minimaliste, mais cela n’empĂȘche pas la crĂ©ativitĂ©.

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Ce « Garçon manqué » a tout du projet trop personnel. Il n’y a pas de travail d’écriture sur l’ouvrage, l’auteure Ă©tant trop exhaustive et se contenant d’un traitement purement chronologique. L’expĂ©rience personnelle de Liz Prince n’est pas assez puissante ou originale (en tout cas, vue du livre) pour rĂ©ellement crĂ©er un intĂ©rĂȘt chez le lecteur. L’ouvrage aurait Ă©tĂ© plus court, il aurait Ă©tĂ© certainement beaucoup plus intĂ©ressant.

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note2

Seule pour toujours – Liz Prince

SeulePourToujours


Titre : Seule pour toujours
Scénariste : Liz Prince
Dessinateur : Liz Prince
Parution : FĂ©vrier 2015


Publier sous forme papier des blogs est devenu un flĂ©au dans l’édition. Les Ă©diteurs sans servent pour faire paraĂźtre des livres Ă  moindre frais puisque les pages sont dĂ©jĂ  dessinĂ©es. Et si certains blogs s’adaptent parfaitement Ă  l’exercice, la plupart rĂ©vĂšle leur mĂ©diocritĂ© une fois les notes alignĂ©es dans un mĂȘme livre. Liz Prince voit donc une sĂ©rie de notes de blog sortir chez Ça et LĂ , le tout pour douze euros.

Liz Prince n’a pas de chance. Elle est garçon manquĂ©, aime le punk et les hipsters et reste dĂ©sespĂ©rĂ©ment seule. Du coup, elle console avec ses chats. VoilĂ  le pitch de ces notes qui montre combien la jeune femme a du mal Ă  draguer ou, plus original, Ă  se laisser draguer. Il faut dire que son amour de la barbe tend Ă  l’obsession.

Un cÎté blog qui dessert le propos.

SeulePourToujours2Les notes varient de format. Beaucoup de pages uniques, mais Ă©galement des strips, voire mĂȘme trois/quatre pages de suite. Le tout est avant tout construit sur l’idĂ©e d’une chute, qui montre souvent Liz dĂ©sespĂ©rĂ©e et
 seule.

Si l’humour de Liz Prince nous fait sourire, le cĂŽtĂ© recueil de blog le dessert. En effet, les situations et effets comiques se rĂ©pĂštent, entraĂźnant forcĂ©ment une lassitude. Si une petite note publiĂ©e sur un blog fonctionne, sur papier c’est moins le cas. De plus, on Ă©vite mal le remplissage avec des anecdotes sans intĂ©rĂȘt ou dĂ©jĂ -vu. En soit, le livre nous fait dĂ©couvrir une auteure. Mais cela donne avant tout envie de lire son blog plus que de lire ses livres.

Niveau dessin, c’est underground. En noir et blanc, avec un trait trĂšs simple, Liz Prince joue tout sur l’expressivitĂ© des personnages. Cela fait le travail, mais c’est quand mĂȘme un peu lĂ©ger. Des trames sont parfois ajoutĂ©es donnant un peu de volume Ă  l’ensemble.

SeulePourToujours1

« Seule pour toujours » ne fait pas une bonne publicitĂ© Ă  l’auteure. Le dessin n’est pas transcendant et l’aspect rĂ©pĂ©titif cache l’humour plutĂŽt rĂ©ussi. Et aprĂšs avoir lu le livre, je n’avais pas forcĂ©ment envie de me lancer dans les autres ouvrages de Liz Prince. IL faut arrĂȘter de publier pour publier, ça ne sert pas toujours les auteurs. Dommage.

note2

De pĂšre en FIV – William Roy

DePereEnFIV


Titre : De pĂšre en FIV
Scénariste : William Roy
Dessinateur : William Roy
Parution : Juin 2014


Le livre tĂ©moignage est une forme d’autobiographie de plus en plus utilisĂ©. Alors quand cela touche un sujet de sociĂ©tĂ©, difficile de ne pas ĂȘtre un tant soit peu intĂ©ressĂ©. William Roy se dĂ©couvre stĂ©rile et doit se lancer dans la difficile Ă©preuve de la fĂ©condation in vitro, ou FIV pour les intimes. Le tout est paru aux Ă©ditions de la BoĂźte Ă  Bulles, dans la collection Contre CƓur, pour un total de plus de 150 pages.

Lorsque l’on propose un tĂ©moignage sur un sujet difficile, il faut savoir se dĂ©couvrir. Ici, William Roy nous prĂ©sente sa stĂ©rilitĂ© (ou oligoasthĂ©notĂ©ratozoospermie), qui le touche dans sa virilitĂ©. De plus, ĂȘtre la personne de sa famille qui coupe la lignĂ©e le frappe durement. Mais pas de panique : de nos jours, la FIV existe et permet aux couples en difficultĂ© d’avoir un enfant quand bien mĂȘme.

Une autobiographique qui manque cruellement d’empathie.

DePereEnFIV2On dĂ©couvre donc toutes les Ă©tapes que l’on peut imaginer : comment William apprend la nouvelle, comment il la vit, comment il l’annonce Ă  ses proches, comment se passent les analyses, puis les FIV, etc. En cela, l’histoire manque un peu de surprise. Tout est trĂšs classique et on n’apprend finalement pas beaucoup de chose. Le tout se lit rapidement, entre passages intimes et passages didactiques. La narration hĂ©site d’ailleurs entre le documentaire et le rĂ©cit intimiste. À ne pas faire de choix, il perd en force.

Ce qui est le plus gĂȘnant est certainement le manque d’émotion qui se dĂ©gage de l’ensemble. Les moments difficiles existent, se veulent puissants, mais ça ne fonctionne pas vraiment (pour ceux qui ne l’ont pas vĂ©cu bien entendu. Pour les autres, cela doit ĂȘtre diffĂ©rent). Tout est trop convenu, cela manque de personnalitĂ© pour crĂ©er une empathie supplĂ©mentaire pour les personnages. Et quand au bout de 120 pages un mĂ©decin demande (enfin !) Ă  sa femme d’arrĂȘter de fumer pour enfanter, on croit rĂȘver. Le dĂ©tail est certainement « vrai », mais il a bien du ĂȘtre abordĂ© bien. Cela laisse le lecteur dubitatif.

Ce manque d’émotion vient certainement du dessin, un peu grossier. TrĂšs inĂ©gal, il manque d’expressivitĂ©. Il n’est pas Ă©vident de dessiner des gens qui passent leur temps devant des mĂ©decins, mais les personnages sont trop froids pour un sujet pareil. De mĂȘme, l’utilisation de la bichromie est trĂšs inĂ©gale. On est plus ou moins sur « une couleur = une scĂšne » mais parfois d’autres couleurs sont ajoutĂ©es sans que l’on comprenne pourquoi.

Le trait Ă©pais de William Roy serait moins gĂȘnant si l’auteur ne prenait pas le soin, par moments, de nous dessiner des dĂ©cors trĂšs prĂ©cis. Ces derniers tombent comme un cheveu sur la soupe, modifiant le graphisme gĂ©nĂ©ral d’une planche ou d’une case, sans que l’on comprenne pourquoi. Alors que les dĂ©cors sont habituellement suggĂ©rĂ©s ou Ă  peine esquissĂ© (ce qui est plutĂŽt adaptĂ©), certaines cases semblent avoir Ă©tĂ© dĂ©calquĂ©es. Un choix peu pertinent pour le coup.

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« De pĂšre en FIV » est un tĂ©moignage intĂ©ressant Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre vraiment touchant. Si ce livre ne parlait pas d’un sujet fort (qui plus est sous forme d’autobiographie), son inconstance tant narrative que graphique sauterait aux yeux. Alors on lit le livre d’une traite, s’intĂ©ressant Ă  la vie de ce couple en se demandant s’ils parviendront Ă  avoir un enfant. Mais c’est tout.

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note2

Ce n’est pas toi que j’attendais – Fabien ToulmĂ©

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Titre : Ce n’est pas toi que j’attendais
Scénariste : Fabien Toulmé
Dessinateur : Fabien Toulmé
Parution : Octobre 2014


Fabien ToulmĂ© vit au BrĂ©sil avec sa femme Patricia et sa fille Louise. Un deuxiĂšme enfant est en route. Le futur pĂšre craint pour la trisomie 21, sans trop savoir pourquoi. Il faut dire que leur retour en France en pleine grossesse a compliquĂ© le suivi de l’enfant. Et, en effet, sa fille Julia nait trisomique.

Difficile sujet que celui de la trisomie 21. Fabien ToulmĂ© nous propose un ouvrage autobiographique sur cette expĂ©rience. Plus que sur le regard des autres (qui est souvent l’angle choisi), son livre est basĂ© sur le ressenti du pĂšre qui dĂ©couvre un enfant qui n’est pas celui qu’il attendait (et voulait). Le tout pĂšse quand mĂȘme plus de 150 pages et est paru aux Ă©ditions Delcourt.

CeNEstPasToiQueJAttendais2L’autobiographie, de part son aspect « vrai », est toujours plus touchante. L’auteur ne cherche pas Ă  se glorifier, faisant preuve d’une sincĂ©ritĂ© louable. On voit le mal qu’il a Ă  aimer sa fille (ou mĂȘme simplement Ă  la considĂ©rer comme sa fille). ParallĂšlement Ă  cette relation pĂšre-fille, le parcours du combattant du nouveau parent d’enfant handicapĂ© est aussi dĂ©crit en dĂ©tail.

Comment accepter la naissance de sa fille trisomique ?

L’histoire s’arrĂȘte assez tĂŽt pour ne pas traiter les soucis de dĂ©veloppement de l’enfant. Elle se concentre avant tout sur la naissance et l’acceptation. Une fois que c’est fait, le livre s’arrĂȘte. Ainsi, si les notions de dĂ©pendance Ă  l’ñge adulte sont Ă©voquĂ©es, c’est pas les mĂ©decins.

Fabien ToulmĂ© trouve le ton juste pour traiter le sujet. AutocentrĂ©, faisant la part belle Ă  la narration en voix-off, son propos est riche et bien structurĂ©. L’émotion est bien Ă©videmment prĂ©sente, mais l’humour Ă©galement, apportant un peu de respiration au milieu d’un sujet difficile.

Le dessin de Fabien ToulmĂ© n’a rien de trĂšs original, mais il est adaptĂ© au propos par sa simplicitĂ©. La colorisation se concentre sur l’essentiel, une couleur correspondant Ă  un chapitre. Il y a quelques bonnes idĂ©es de composition, mais globalement la bande-dessinĂ©e se contente de relater des faits sans beaucoup d’action et beaucoup de dialogue. NĂ©anmoins, le tout fonctionne plutĂŽt bien.

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« Ce n’est pas toi que j’attendais » est un livre touchant. Outre un aspect documentaire sur ce qu’il faut faire lorsqu’un enfant naĂźt trisomique, on dĂ©couvre un pĂšre complĂštement perdu face Ă  la naissance de sa fille et son long chemin pour l’accepter telle quelle est. Un beau tĂ©moignage.

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L’arabe du futur, T2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) – Riad Sattouf

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Titre : L’arabe du futur, T2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985)
Scénariste : Riad Sattouf
Dessinateur : Riad Sattouf
Parution : Juin 2015


Riad Sattouf s’est lancĂ© dans une importante autobiographie de jeunesse avec « L’arabe du futur ». Le premier tome Ă©tant reparti du festival d’AngoulĂȘme avec le Fauve d’Or, ce deuxiĂšme opus Ă©tait attendu au tournant. Se concentrant sur une annĂ©e de Riad en Syrie (contre 5-6 ans dans le tome prĂ©cĂ©dent), il prend le temps de dĂ©velopper le propos. Il faut dire que Riad vieillit et les souvenirs se font aussi plus prĂ©cis. Le tout est toujours volumineux (140 pages) et publiĂ© chez Allary Editions.

LArabeDuFutur2bOn avait quittĂ© Riad en Bretagne alors qu’il devait retourner en Syrie et commencer l’école. Cette derniĂšre prend une place non-nĂ©gligeable dans l’ouvrage et les Ăąmes sensibles sont priĂ©es de rester fortes : brimades et violences physiques sont de la partie dans les classes surpeuplĂ©es. L’auteur n’hĂ©site pas non plus Ă  questionner l’enseignement qui est fourni aux Ă©lĂšves (apprendre une sourate du Coran, certes, mais pourquoi ne pas en expliquer le sens ?). Il apprend donc aussi l’arabe en classe et, parallĂšlement, le français avec sa mĂšre.

Un pÚre lùche et menteur, une mÚre passive qui se réveille un peu.

CĂŽtĂ© famille, le petit frĂšre de Riad semble inexistant. Choix Ă©trange de la part de l’auteur qui n’en parle presque jamais. Quand il est mentionnĂ©, on se surprend Ă  se rappeler son existence. Le pĂšre, adulĂ© dans le premier tome par le petit Riad, est moins apprĂ©ciĂ© par son fils. Il paraĂźt toujours aussi lĂąche et menteur. Il passe son temps Ă  annoncer plein de choses et rien ne se concrĂ©tise. Ainsi, il est censĂ© devoir construire une grande villa pour sa famille qui continue Ă  vivre dans un appartement Ă  moitiĂ© vide et dĂ©labré  On est presque rassurĂ© de voir sa mĂšre, trĂšs passive auparavant, perdre patience, exigeant une cuisiniĂšre par exemple
 Cependant, elle protĂšge Riad de bien loin, empĂȘchant quand mĂȘme son pĂšre d’utiliser Ă  tout escient l’adage « c’était comme ça pour moi et, regarde, je suis docteur. »

L’ouvrage dĂ©crit donc de maniĂšre consciencieuse, par les yeux d’un petit garçon, la sociĂ©tĂ© syrienne des annĂ©es 80. On sent que le piston et les trafics en tous genres sont les seuls moyens de s’en sortir. Son pĂšre essaye bien de copiner, mais il ne fait pas partie du beau monde et n’arrive pas Ă  monter dans l’échelle sociale. AprĂšs des dĂ©buts de vie un peu mouvementĂ©s, la famille s’installe durablement en Syrie et on sent poindre les tensions. Ce deuxiĂšme livre dĂ©veloppe donc plus en longueur les relations entre les personnages.

Le dessin de Riad est toujours adaptĂ© au propos, les expressions des personnages faisant des merveilles. Le choix de la bichromie est pertinent. L’ouvrage est rose, teintĂ© de vert et de rouge. Seul le passage en France (qui paraĂźt du coup complĂštement dĂ©calĂ© dans ses atmosphĂšres !) est bleu afin d’accentuer les contrastes entre les deux pays.

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Riad Sattouf confirme tout le bien que l’on pouvait penser de son autobiographie. Si on retrouve la noirceur, l’humour et l’aspect documentaire de son premier tome, cet opus possĂšde sa propre identitĂ© en se concentrant plus longuement sur la Syrie.

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Note : 15/20