Manuel de la jungle – Nicoby & Joub

ManuelDeLaJungle


Titre : Manuel de la jungle
Scénaristes : Nicoby & Joub
Dessinateurs : Nicoby & Joub
Parution : Mai 2015


Joub et Nicoby avait plutôt bien réussi leur biographie « Dans l’atelier de Fournier ». Ils s’y présentaient, interviewant l’auteur sur son passé. Cela est en train de devenir une de leur spécialité. Au point qu’ils partent réaliser un livre sur la jungle, en Guyane. Joub vivant à Cayenne, ils ont l’idée de retrouver deux instituteurs baroudeurs et de partir quelques jours dans l’Enfer vert afin de voir combien ce terme est galvaudé. Le tout est donc scénarisé par Nicoby et Joub. Le premier dessine, le second colorise le tout. C’est paru chez Dupuis pour 140 pages de bande-dessinées au prix de 19 euros.

ManuelDeLaJungle1Le récit présente donc deux citadins emportés par deux baroudeurs. Évidemment, les premiers ont très peur des bestioles : serpent, araignées, crocodiles, etc. Même si cette menace n’est pas la plus importante… Le livre démarre donc par un véritable manuel, les expérimentés expliquant aux nouveaux le fonctionnement de la survie dans ce milieu, entre chasse et binouze.

Un titre trompeur.

Mais l’histoire finit par tourner vers autre chose : la dénonciation des orpailleurs clandestins. Du coup, le livre est un peu scindé en deux et manque de cohérence. De même, les anecdotes nombreuses abondent dans le livre et coupent le rythme. On sent une forme de fourre-tout, intéressant certes, mais qui manque de travail de fond pour en faire un bouquin en tant que tel. Ainsi, le titre « Manuel de la jungle » est trompeur, mais c’est ce que devait être le livre au départ.

Malgré tout, la vie dans la jungle a un intérêt réel et on apprend beaucoup de choses. La deuxième partie, plus militante, donne aussi à réfléchir. Le tout se dévore d’une traite, l’humour est présent et on apprend énormément sur la jungle. Dommage que les auteurs se représentent toujours comme apeurés, voulant mettre fin à l’expérience au plus vite. Finalement, on se dit que ce voyage de quelques jours ne les aura pas changés. Surtout, ils paraissent encore plus terrorisés à la fin. Peut-être est-ce la réalité, mais le tout ne va pas très loin dans l’analyse. Joub et Nicoby ont choisi un récit de voyage sans trop chercher à approfondir le propos en aval.

Concernant le dessin, j’aime beaucoup le trait de Nicoby, sublimé par les aquarelles de Joub. Les ambiances sont posées, aussi bien dans la jungle, sur la pirogue, la nuit… Une vraie réussite. En revanche, on ressent relativement peu le côté « paradis des sens » vanté par la quatrième de couverture. Ce n’est pas évident avec du dessin de faire ressentir cela, mais dans les faits, la jungle est jolie mais on ne la ressent pas.

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« Manuel de la jungle » est un ouvrage qui dévie de son intention première. Hésitant entre un apprentissage par des citadins de la jungle et une dénonciation des clandestins du lac, il manque un peu de cohérence. De même, il cède à la mode actuel en présentant une pagination excessive. Ainsi, la scène du restaurant, au départ, n’a aucun intérêt et rallonge artificiellement l’ouvrage. Mais si vous êtes un amateur des livres de Joub et Nicoby, ne boudez pas votre plaisir, on retrouve l’humour des deux compères et ce trait rond qui va si bien avec.

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Note : 13/20

Blankets – Craig Thomson

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Titre : Blankets
Scénariste : Craig Thomson
Dessinateur : Craig Thomson
Parution : Mars 2004


Une fois lu « Habibi », j’avais bien envie de continuer de découvrir Craig Thomson. Après une incursion (dispensable) en carnet de voyage, je récupérais enfin « Blankets », proclamé chef d’œuvre par de nombreuses critiques. « Blankets » est un ouvrage autobiographique sur la jeunesse de l’auteur. On y trouve un peu de son enfance et beaucoup de son adolescence. Au centre de cet épais bouquin (pas loin de 600 pages quand même…), sa première relation amoureuse. Le tout est publié chez Casterman dans la collection écritures.

Blankets1Craig Thomson nous met tout de suite dans un certain misérabilisme. Enfant, il dort avec son petit frère et ils ont froid quand bien même. Quelques anecdotes se succèdent, montrant une éducation à la dure où mieux valait filer droit. Hélas, la plupart des pages traitant de l’enfance n’ont pas vraiment d’intérêt pour la suite. On pourrait bien sûr penser que cela forge le caractère de Craig, mais tout cela est quand même bien décousu. On rentre réellement dans le vif du sujet quand il rencontre son premier amour.

Peu d’empathie pour le personnage.

Les amourettes, quand on est a vécues, c’est très touchant. Mais ici, l’histoire entre Craig et Raina n’a pas beaucoup d’intérêt. Tout cela est très plat et manque cruellement de recul. Et pourtant il y aurait de quoi dire : Raina a pour frère et sœur deux enfants handicapés et adoptés. Il ne reste plus qu’à ajouter des parents en plein divorce pour parfaire le tout. Du coup, les pistes de développement se multiplient (on peut ajouter la religion qui saupoudre le tout en permanence) sans vraiment nous intéresser. Et au fur et à mesure de la lecture, on se fatigue un peu de tout ça. Le personnage de Craig est très passif, peureux et on n’a finalement que peu d’empathie pour lui.

Au niveau du dessin, j’aime le trait de Craig Thomson. Dessiné au pinceau, il a beaucoup de force. C’est vraiment le point fort du livre. Le noir et blanc permet de bien traiter la neige (le livre n’est-il pas sous-titré « manteau de neige » après tout ?) et convient au propos. Malgré tout, il n’y a pas l’incroyable force des planches de « Habibi ». Le sujet s’y prête moins, certes.

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Quelle déception que ce « Blankets ». C’est long, lent, peu passionnant et pas touchant pour un sou. On sent l’intention derrière de traiter de nombreux sujets « graves », mais c’est finalement une amourette banale à laquelle on a droit. Les thèmes annexes, survolés, auraient peut-être mérité plus d’attention et non pas quelques pages rapides entre deux coups de téléphone à sa chérie.

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Note : 10/20

Route 78

Route78


Titre : Route 78
Scénariste : Éric Cartier & Audrey Alwett
Dessinateur : Éric Cartier
Parution : FĂ©vrier 2015


En 1978, Éric Cartier et sa copine Pat partent aux Etats-Unis. ArrivĂ©s Ă  New-York, ils veulent traverser le pays en stop et repartir de San Francisco. Ils viennent retrouver l’univers de Kerouac et tracer la route. Mais Ă©videmment, tout cela est bien plus compliquĂ© que ce qu’ils avaient imaginĂ©. Rapidement sans le sou, le road trip va s’avĂ©rer ĂŞtre une vĂ©ritable Ă©preuve. Continuer la lecture de « Route 78 »

Le Petit Christian, T2 – Blutch

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Titre : Le Petit Christian, T2
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Octobre 2008


Après avoir relaté son enfance dans le premier tome de « Le Petit Christian », Blutch remet le couvert pour aborder le thème de l’adolescence. Plus précisément, on démarre ici avec l’entrée en 6ème de Christian jusqu’à son passage en 3ème. On a va ainsi le voir évoluer du petit garçon qu’il était jusqu’à un grand ado ténébreux et râleur. Comme il part dans un collège privé de Strasbourg, on ne retrouvera pas les personnages récurrents du premier tome.

Le fil rouge de cette BD s’appelle Catie Borie. C’est la fille d’amis de la famille et elle a le même âge que Christian. Il en est fou amoureux, mais 1000 km les sépare. En s’intéressant à une fille, Christian renie certains principes de son enfance (« quand on est un desperado, on se garde des femmes.») et glisse inexorablement vers d’autres préoccupations bien légitimes.

Inventivité et sensibilité

Ce nouveau tome aborde avec beaucoup de sensibilité et d’inventivité le thème d’un amour a mi-chemin entre les amours d’enfance (Christian restant très naïf) et des amours plus adultes. L’éveil des sens du narrateur est bien sûr présent, lié à un romantisme extrême qui le torture jusqu’au dénouement imprévisible. Témoin, cette scène de traversée du désert où le narrateur se voit pris dans une tempête de sable représentant les autres filles du collège qui essaient de le détourner de sa Catie… Et Christian ne vit que pour les lettres qu’il reçoit de sa bien-aimée…

Une nouvelle fois, l’intervention de personnages de fiction apporte beaucoup à l’ensemble. Christian a un dieu : Steve Mac Queen, qu’il prie avant les contrôles… De même, les références à la BD ou au cinéma sont légions. La traversée du désert est une référence évidente à « Tintin au pays de l’or noir ». De même les stars du cinéma ont encore une place importante et toujours en situation (« Oh ! Marlon Brando dans un tango à Paris.»). Petite nouveauté, Christian parle aussi à son double enfant, déguisé en cowboy. Le dialogue avec son double montre la première mutation de Christian, de par l’apparition de son amour pour Catie Borie. Son dialogue avec Marlon Brando en fin d’ouvrage montre sa deuxième mutation (je vous laisse découvrir pourquoi). Les apparitions de ces personnages et les références constantes aux mondes du cinéma et de la bande-dessinée sont clairement le pivot de cet ouvrage. Il montre combien ils ont une influence majeure sur l’imagination des enfants et des adolescents et combien ils forgent la personnalité par leurs propos.

On retrouve le dessin de Blutch tout en hachures. Petite nouveauté : de la couleur a été ajoutée. En effet, l’auteur ajoute des touches de rouge et de rose afin de densifier son dessin. Le tout est assez réussi, même si ça a un coût : le deuxième tome de « Le Petit Christian » est 4 euros plus cher.

Sous un aspect faussement naïf (le personnage de Christian a un dessin assez simple), Blutch marque une fois de plus de son talent cet ouvrage. Ainsi, le dessin très réaliste des personnages célèbres marque un contraste toujours intéressant avec le reste des personnages. De même, la scène où Christian part pour la première fois au collège est saisissante. S’imaginant dans une prison, l’auteur applique un style noir et inquiétant qui tranche avec le reste de l’ouvrage.

J’ai une nouvelle fois été saisi par le talent de Blutch dans la suite de son autobiographie. Son inventivité pour raconter ces moments de la jeunesse est incroyable. En utilisant de nombreuses références extérieures, il parvient à créer une connivence avec le lecteur. La scène du désert est simplement à mourir de rire, mais est également pleine de vérité sur l’adolescence. En détournant les codes propres à ce genre de récit (les premiers amours, les débuts au collège…), Blutch parvient à nous surprendre sur un sujet pourtant maintes fois abordés. Une référence !

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Note : 19/20

Le Petit Christian – Blutch

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Titre : Le Petit Christian
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Mars 2003


 Après avoir marqué de son empreinte la bande-dessinée avec des œuvres telles que « Blotch » ou « Peplum », Blutch s’attaque à l’autobiographie avec « Le Petit Christian ». Ou plutôt, c’est ce que l’on est en droit de croire. Car Blutch nie l’aspect autobiographique de cet ouvrage bien que le personnage ait le même prénom et soit alsacien… Quoiqu’il en soit, on suit Christian, un jeune garçon, dans sa vie d’enfant.

La BD enfantine n’est pas nouvelle. On peut citer « Le petit Spirou »,« Cédric », « Boule et Bill » ou plus récemment « Titeuf » pour s’en convaincre. Difficile alors de se démarquer. Blutch le fait sans peine en adoptant un ton résolument rétro qui ne pourra simplement pas parler à des enfants. En s’adressant clairement à des adultes (ne serait-ce que par l’absence de couleurs), Blutch évite l’écueil de faire une nouvelle BD de plus sur l’enfance.

Télévision & bande-dessinée

La vision de l’enfance de Blutch est toujours lié à deux médias essentiels à l’époque : la télévision et la bande-dessinée. Le tout se passant il y a quelques décennies en arrière (on retrouve des références à Steve Mac Queen, Rahan ou Placid et Muzo !), ces deux éléments sont traités de façon complètement différents et contribue à la nostalgie du lecteur (ou l’étonnement pour les plus jeunes d’entre nous). En effet, on parle d’une époque où les enfants sont obligés d’aller se coucher tôt (sans regarder la télé !), ou les BD paraissaient avant tout sur magazine et étaient censurées par les parents. Ainsi, son personnage passe son temps à se projeter sur ses personnages. La plupart du temps, il se transforme en eux, soit il converse avec eux. Si le procédé n’est pas nouveau, il est très réussi ici.

La grande réussite de Blutch est sans conteste l’écart qu’il crée entre les adultes et les enfants. Quand les enfants parlent entre eux, ils sont enthousiastes, bavards, ça gueule, ça crie… Mais dans leurs rapports aux adultes, c’est très différents. Les parents, les profs, le curé sont tout puissants, souvent durs et sévères et font partie d’un autre monde. Ce temps est clairement révolu car de nous jours l’enfant est roi. En cela, l’ouvrage prend d’autant plus de sens. Cette distanciation est accentuée par le dessin. Là où les adultes sont représentés de façon réaliste (et grave), les enfants sont dessinées dans un style naïf. L’écart paraît ainsi encore plus grand. Le dessin est tout en hachures et en noir et blanc. Le dessin des acteurs est particulièrement soigné et toujours en situation (John Wayne en militaire, Steve Mac Queen en cowboy…), ce qui ajoute au côté décalé de l’enfance.

« Le Petit Christian » est une ode à l’enfance et à son imaginaire. Son côté désuet renforce d’autant plus son propos. A cette époque, lire « Rahan » était interdit par les parents (parce qu’il y a des morts et des amazones peu habillées). On est bien loin de la pornographie et des images violentes auxquelles sont témoins les enfants aujourd’hui. En adoptant clairement une vision adulte et tendre de l’enfance, Blutch tape juste. A lire d’urgence !

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Note : 17/20

Lune l’envers – Blutch

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Titre : Lune l’envers
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Janvier 2014


Blutch reste l’un des auteurs de bande-dessinée que j’admire le plus. La variété des moyens avec lesquels il a pu me toucher en tant que lecteur m’étonne toujours. De ses histoires d’enfance (« Le petit Christian »), à l’humour grinçant (« Blotch ») en passant par le déstabilisant « Vitesse moderne », j’ai eu droit à tous les sentiments. Cependant, cette force dans la variété a fait que je suis également passé à côté de certains ouvrages… « Lune l’envers » est un nouveau one-shot publié par l’auteur chez Dargaud. Le livre se présente sous la forme d’un album classique d’une cinquantaine de pages.

LuneLenvers2Quel est le réel sujet de « Lune l’envers » ? Difficile de le dire. Profondément narcissique (plusieurs personnes sont Blutch), on peut y voir une sorte de fable surréaliste sur le milieu de la bande-dessinée (et de l’art en général). Mais les critiques sur le monde du travail sont également bien présentes. L’auteur nous montre notre société, façon futur dystopique. C’est affreux, sans aucune morale et les méchants gagnent à la fin. Et devant le côté absurde de certaines situations, il va falloir s’accrocher.

Combattre l’aseptisation

Un peu abrupte dans son début, l’ouvrage s’éclaircit au fur et à mesure des pages. Les tenants et les aboutissants se dévoilent et le puzzle se constitue. De façon générale, l’ouvrage s’attaque à l’aspect aseptisé et bien pensant qui s’installe dans notre monde. Ainsi, un jeune éditeur (qui porte le nom… Blütch !) déclare : « votre projet est conventionnel, poussif, sans élan… Parfaitement inoffensif… Bravo, mon vieux. On va vous préparer un contrat. » C’est le message qui découle de l’histoire.

Forcément, en crachant dans la soupe et en flinguant tout le monde (de l’auteur indé à l’auteur mainsteam, en passant par l’éditeur), Blutch se devait d’être cohérent. C’est le cas ! Son récit est complexe et riche, son graphisme excellent. J’ai depuis longtemps été séduit par le trait de l’auteur, mais il adopte ici une esthétique qui rappelle les années 70, impression renforcée par des couleurs originales et marquantes.

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Critiquer l’univers de la BD est facile, le faire avec une telle créativité est une autre paire de manches. Blutch confirme ici, si besoin était, son grand talent et sa virtuosité. « Lune l’envers » est un ouvrage corrosif et riche. Une belle épopée surréaliste dans le monde d’édition de bande-dessinée !

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Note : 16/20

États dame – Zelba

EtatsDame


Titre : États dame
Scénariste : Zelba
Dessinatrice : Zelba
Parution : Octobre 2013


Zelba est une auteure de bande-dessinée allemande. Son blog BD est régulièrement adapté au format papier aux éditions Jarjille, le tout étant assorti pour moitié d’inédits. « États dame » est donc une série d’histoires autobiographiques, le troisième paru à ce jour. Le tout pèse près de 130 pages pour le prix de 15€.

La particularité des récits autobiographiques de Zelba, c’est qu’ils sont constitués à la fois d’anecdotes contemporaines comme de souvenirs d’enfance. Ils peuvent durer une seule page ou plus d’une dizaine de pages. Souvent, les récits très courts concernent ses deux enfants qui, comme tous enfants qui se respectent, sortent parfois des remarques très drôles. Les souvenirs d’enfance sont souvent plus tristes, faisant appel à ses rapports avec sa mère et sa grand-mère notamment, qui sont décédées. L’aspect nostalgique y est bien plus fort et le rire moins fréquent.

Un Ă©quilibre entre humour et nostalgie.

La particularité de l’autobiographie version Zelba est donc un équilibre entre tendresse, humour, nostalgie et tristesse. Le tout est parfaitement illustré par la couverture, montrant son personnage divisé en trois. Cet équilibre est bien géré. En première lecture, il m’a semblé que l’ouvrage était moins drôle que les précédents et bien plus nostalgique. En relecture, ce n’est pas le cas finalement. Il faut dire que les enfants vieillissent et leurs petites phrases décalées se font plus rares !

EtatsDame2Les récits longs se basent aussi sur des périodes plus longues (plusieurs mois ou plusieurs semaines). Ce sont aussi les plus intéressants. Il est étonnant de voir que Zelba a encore des choses incroyables à raconter et on se demande comment elle a pu ne pas en parler avant ! Je pense notamment à cette histoire de fracture de la mâchoire qui ne laissera personne indifférent. Ou encore la naissance de l’un de ses enfants.

La grande capacité de Zelba, c’est qu’elle présente un personnage attachant, avec ses défauts et ses qualités. L’autodérision est bien présente, mais contrairement à d’autres récits, mais elle n’est pas au centre des histoires, loin de là. Ce côté « vrai » fait que l’on est d’autant plus touché par les récits qu’elle nous propose.

Au niveau du dessin, Zelba adopte des planches construites façon blog. Pas de délimitations de case et un trait relâché parfaitement adapté. Le tout est maîtrisé et n’est pas avare en décors lorsque c’est nécessaire. Mais l’ouvrage est beaucoup centré sur l’humain, et cela se retrouve dans les planches. Les dialogues sont écrits en noir et la narration en gris, facilitant la lecture sans alourdir les pages. Enfin, la colorisation en niveaux de gris est très réussi et donne de la matière à l’ouvrage.

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Si beaucoup de dessinateurs (et notamment blogueurs BD) font des autobiographies sans vraiment s’ouvrir, on ne pourra pas reprocher ça à Zelba. Ses histoires nous touchent, car elles savent aborder des sujets graves, voire tabous, comme la maladie et la mort. Sans sentimentalisme excessif, sachant apporter des touches d’humour qui équilibrent toujours parfaitement le tout, on dévore le tout et à la fermeture du livre, on ne peut qu’avoir de la sympathie pour l’auteure. Un beau travail qui continue à toucher le lecteur au fur et à mesure des ouvrages.

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Note : 15/20

C’est du propre ! – Zelba

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Titre : C’est du propre !
Scénariste : Zelba
Dessinatrice : Zelba
Parution : Juin 2011


Zelba est une illustratrice allemande qui s’est lancée dans la bande-dessinée. « C’est du propre » est un ouvrage autobiographique narrant de multiples anecdotes de l’auteure, qu’elles soient actuelles ou passées. Le tout est publié aux Editions Jarjilles et pèse 160 pages.

Ce qui marque tout de suite à la lecture de l’ouvrage, c’est la part très importante donnée à la narration. La quantité de texte est importante, expliquant les faits dans les détails, l’image servant avant tout à l’illustrer le propos et à intégrer les dialogues. Ainsi, on a parfois l’impression de lire une histoire dessinée, ce qui n’est pas désagréable en soit. On se rapproche donc du roman graphique.

Dans l’intimitĂ© de l’auteure.

Les anecdotes sont très souvent fouillées et s’étalent sur plusieurs mois. Zelba ne laisse rien au hasard dans sa narration, comme si elle avait peur que le lecteur n’ait pas tous les éléments en mains pour comprendre. Cela densifie le propos et implique d’autant le lecteur qui a l’impression de vraiment toucher à l’intimité de l’auteure. En effet, Zelba parvient à créer un lien spécial avec son lectorat, avec à la fois des histoires émouvantes et pleines de sensibilité, comme avec des traits d’humour. Cet équilibré, peu évident à trouver, est le gros point fort du livre.

Outre les histoires plus longues et détaillées, riches en narration, on retrouve des anecdotes plus rapides, basées avant tout sur l’humour et sur les enfants de l’auteure. Leurs remarques drôles, leurs comportements étranges suffisent à nous faire sourire.

Le trait de Zelba se reconnaît très vite. Il est axé essentiellement sur les personnages. Les attitudes sont variées et toujours bien rendues. Le tout est rehaussé de gris au crayon, ce qui va très bien avec le trait de l’auteure. Les cases ici ne sont pas fermées, une liberté que Zelba exploite, variant les constructions de planches plus souvent qu’il n’y parait.

En conclusion, j’ai été séduit par cet ouvrage. L’équilibre en émotion et rires est parfaitement maîtrisé. L’auteure possède une capacité à créer un lien avec son lecteur qui, s’il vous prend, ne vous lâchera plus.

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Note : 16/20

Explicite, carnet de tournage – Olivier Milhaud & ClĂ©ment C. Fabre

Explicite


Titre : Explicite, carnet de tournage
Scénariste : Olivier Milhaud
Dessinateur : Clément C. Fabre
Parution : FĂ©vrier 2015


Olivier Milhaud est un ami de John B. Root, réalisateur de films pornographiques. Le voilà un peu dubitatif devant la proposition de ce dernier : jouer dans sa future production ! Certes, ce n’est pas dans des scènes de sexe, mais quand même… Après avoir hésité longtemps, Olivier Milhaud finit par accepter et part dans le sud pour trois jours de tournage où il va découvrir le milieu porno, ses jalousies et son langage cru. Retour de bâton pour John B. Root puisque suite à cette expérience, Olivier Milhaud décide d’en faire un livre, avec la collaboration de Clément C. Fabre au dessin. Comme j’apprécie beaucoup le dessin de ce dernier, il m’était difficile de passer à côté de ce livre ô combien original. Le tout est paru chez Delcourt, dans la collection Mirages pour plus de 120 pages au compteur.

Explicite2« Explicite » est donc un reportage qui n’était pas prévu comme tel. Il ne faut donc pas espérer une grande analyse de fond de comment on tourne un film pornographique. De même, l’auteur n’assiste à aucune scène porno en soit. C’est avant tout la description d’un réalisateur atypique pour le milieu, John B. Root, de ses ambitions et de sa façon de travailler. On y découvre aussi le backstage et c’est ce qui fait tout le sel de l’ouvrage. On ressent parfaitement la gêne d’Olivier Milhaud dans ce milieu, à la fois émoustillé et timide, n’osant trop rien faire ou même regarder. Tout l’inverse des acteurs qu’il croise, dont la pudeur a souvent laissé la place à l’exhibitionnisme. Sans parler du langage bien plus cru que ce dont l’auteur a l’habitude.

Un candide dans le milieu pornographique.

Le livre fonctionne donc avant tout avec son personnage central de candide. Olivier Milhaud découvre le tournage d’un film, le milieu pornographique, les caprices de stars… Il joue donc un rôle parfait pour nous qui apprenons également de tout cela. Et le fait que la bande-dessinée s’échelonne sur trois jours, en un lieu unique, donne un aspect presque théâtral à l’ensemble. Avec beaucoup de choses qui se passent hors champ ! Intelligemment, les auteurs placent toute l’action du point de vue d’Olivier Milhaud. On voit ce qu’il a vu, on entend ce qu’il a entendu : il n’y a aucune projection sur ce qu’il imagine.

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Le tout n’est bien sûr pas dénué d’humour. Outre les clichés qui sont confirmés ou infirmés, de nombreuses situations nous paraissent complètement cocasses. Et que dire d’Olivier Milhaud, complètement en décalage par moment, comme dans cette scène où John B. Root lui demande « mais on dirait que tu as peur de lui ! » et où l’auteur répond « Ben, un peu quand même. » Il faut dire qu’avoir un mec baraqué et tatoué en face, acteur pornographique, ça ne laisse pas indifférent !

Au niveau du dessin, Clément C. Fabre fait des merveilles. J’étais déjà fan de son dessin et de ses couleurs et là il m’a bluffé. Les cases sont détaillées, les décors riches, le dessin dynamique. Quand à sa colorisation à l’aquarelle, elle retranscrit parfaitement l’ambiance du sud ! Son dessin tout en douceur permet d’atténuer aussi la crudité de certains propos et de rendre d’autant plus humain cette expérience. Voilà un dessinateur que j’espère retrouver au plus vite !

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« Explicite » est une bande-dessinée de reportage originale, fortement teintée d’autobiographie. Et ce cela qui fait sa force. Doté d’un ton à la fois cru et bon enfant, les deux auteurs sont au diapason pour parler d’un sujet peu évident avec finalement beaucoup de légèreté. Du beau travail.

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Note : 15/20

 

QuĂ©bec Land – Édouard BourrĂ©-Guilbert, Pauline Bardin & Aude Massot

QuebecLand


Titre : Québec Land
Scénaristes : Édouard Bourré-Guilbert & Pauline Bardin
Dessinatrice : Aude Massot
Parution : Juin 2014


 Québec Land est un webcomics qui fut publié sur la plateforme Delitoon. Fort de son succès, il a trouvé preneur chez Sarbacane pour une édition papier de plus de 250 pages ! « Québec Land » narre l’installation d’un couple de français au Québec pour un an. On les accompagne donc dans leur découverte du Canada francophone. Le tout est scénarisé par Édouard Bourré-Guisbert et Pauline Bardin (le couple en question) et mis en dessin par Aude Massot.

Québec Land est construit de façon chronologique. On assiste au départ de France, puis l’arrivée à Québec, puis l’installation, puis la recherche de travail, etc. Cette construction par chapitres était bien pensée pour une publication web (et donc par séquences), c’est moins pertinent ici. Les auteurs ont fait le choix de présenter le tout sous forme d’assemblages d’anecdotes très générales. Ainsi, on ne suit jamais le quotidien du couple et le tout reste très froid. Les personnages sont tellement peu construits que ça pourrait être n’importe qui. Il manque une originalité. A trop vouloir être universel, « Québec Land » manque de personnalité. On en vient à penser à toute la série des « Guides du… ». On a l’impression d’être devant un « Guide du Québec » (le terme est d’ailleurs utilisé en sous-titre). Avec tous les défauts du genre.

Un manque d’approfondissement du contenu et des personnages.

QuebecLand2Ce manque d’empathie envers les personnages empêche donc le livre d’être touchant. Malheureusement, les tentatives d’humour tombent un peu à l’eau. C’est donc vers la découverte du Québec que se placent nos espoirs. Hélas, là aussi ce n’est pas bien palpitant. Car ce que l’on retient au final c’est qu’il y a beaucoup d’écureuil et que l’on tutoie son boulanger. Sinon, il fait froid et il y a des caribous.

La publication web a aussi son impact sur le rythme de l’ensemble. Le format A5 est petit et la forte pagination de l’ensemble cache un peu le manque d’approfondissement de l’ensemble. Car à chaque fin de chapitre, on se dit : « c’est tout ? » Il manque clairement une analyse supplémentaire pour que le livre gagne en intérêt. Tout cela est superficiel et malgré le nombre important de pages, cela se lit très vite. Il suffit de comparer à ce que peut produire Guy Delisle de ses voyages (même si les pays dans lesquels il a vécu sont plus éloignés du notre) pour comprendre combien ce « Québec Land » effleure son sujet.

Le travail d’Aude Massot au dessin est plutôt plaisant et agréable à regarder. Très moderne et bloguesque, il est percutant et sait proposer des décors de Québec et des environs suffisamment travaillés pour que l’on s’y croit. Dommage que la construction pour le web empêche des mises en scène plus poussées et que l’ensemble se limite parfois à la carte postale. C’est difficile de connaître les libertés réelles qu’a eues la dessinatrice sur le projet.

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Ce « Québec Land » présente donc peu d’intérêt. Trop froid, pas assez drôle, il apporte beaucoup moins d’information qu’un guide classique qui sera plus complet et pas forcément beaucoup moins chaleureux. Indéniablement, le livre plaira à ceux qui rêvent du Québec ou qui se rappelleront avec nostalgie de leur passage là-bas. Pour les autres, passez votre chemin.

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Note : 6/20