Pyongyang

Pyongyang


Titre : Pyongyang
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Mai 2003


Guy Delisle s’est spĂ©cialisĂ© dans la bande-dessinĂ©e façon carnet de voyage. En 2003, aprĂšs avoir dĂ©crit Shenzen, il s’attaque Ă  la CorĂ©e du Nord dans « Pyongyang ». Son travail d’animateur d’alors le pousse Ă  aller superviser la production sur place. C’est donc parti pour plusieurs mois dans l’un des pays les plus fermĂ©s du monde. Son livre « 1984 » d’Orwell en poche, Delisle va dĂ©couvrir la vie dans la capitale de la CorĂ©e du Nord. Le tout est publiĂ© en noir et blanc Ă  l’Association et pĂšse pas moins de 176 pages.

Cela faisait longtemps que je voulais me lancer dans la lecture des ouvrages de Guy Delisle tant on m’en a dit du bien. Et son prix Ă  AngoulĂȘme pour « Chroniques de JĂ©rusalem » m’avait d’autant plus incitĂ© Ă  m’y intĂ©resser. J’ai donc choisi de dĂ©marrer avec le pays qui me fascine le plus, la CorĂ©e du Nord. A cette Ă©poque-lĂ , Guy Delisle est cĂ©libataire et ne part donc que quelques mois. Il arrive seul en CorĂ©e du Nord oĂč les activitĂ©s ne sont pas lĂ©gion
 On dĂ©couvre alors son quotidien avec les autres travailleurs de l’animation et les ONG.

Un ton léger, un sujet grave

Si l’auteur nous fait dĂ©couvrir la CorĂ©e du Nord, c’est par son Ɠil averti. Ainsi, les analyses profondes du rĂ©gime ne sont pas d’actualitĂ©. Ce que vit et voit Delisle suffit amplement Ă  nous renseigner sur ce rĂ©gime. On dĂ©couvre une population asservie, presque robotisĂ©e et de grands espaces vides (Ă  l’image des hĂŽtels). Le rĂ©gime est Ă  l’agonie. Il tente de le cacher, mais c’est beaucoup trop flagrant pour passer inaperçu. Surtout que l’auteur est quelqu’un de curieux qui ne mĂ©nage pas son guide (qui l’accompagne en permanence). Il aime rentrer Ă  pied et visiter
 Et en adoptant un ton lĂ©ger, Delisle parvient Ă  nous distraire en parlant d’un pays ultra-rĂ©pressif
 

Au fond, en lisant l’ouvrage, on a l’impression de revivre l’expĂ©rience de Delisle. On dĂ©couvre ce pays comme il l’a lui-mĂȘme dĂ©couvert : les incohĂ©rences, les violences, la peur, etc. Delisle n’est pas un idĂ©ologue. A aucun moment, il ne cherche Ă  nous assĂ©ner un message politique. Bien sĂ»r, cela transparait quand mĂȘme au fur et Ă  mesurer de la lecture, mais l’ensemble reste trĂšs factuel.

Concernant le dessin, Delisle a un trait simple, façon « nouvelle bande-dessinĂ©e ». C’est parfaitement adaptĂ© Ă  l’ouvrage. Le tout est rehaussĂ© d’une colorisation en niveaux de gris qui densifie un peu l’ensemble. C’est lisible et trĂšs efficace.

Au final, on ressort un peu sonnĂ© de « Pyongyang ». Devant tant d’absurditĂ©, on ne peut qu’ĂȘtre rĂ©voltĂ©. Mais en choisissant un ton lĂ©ger, Guy Delisle Ă©vite l’écueil d’un ouvrage trop politisé et orientĂ©. Du coup, on sourit souvent avec un thĂšme bien grave pourtant. Du beau travail !

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note4

 

Tu mourras moins bĂȘte, T4 : Professeur Moustache Ă©tale sa science

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Titre : Tu mourras moins bĂȘte, T4 : Professeur Moustache Ă©tale sa science
Scénariste : Marion Montaigne
Dessinatrice : Marion Montaigne
Parution : Septembre 2015


AprĂšs avoir explosĂ© sur la blogosphĂšre, Marion Montaigne a reçu un succĂšs mĂ©ritĂ© pour « Tu mourras moins bĂȘte », ses recueils de vulgarisation scientifique. Outre l’humour omniprĂ©sent, l’auteure aime remplir ses pages de rĂ©fĂ©rences cinĂ©mas, sĂ©ries ou simplement people. Le tout est publiĂ© chez Delcourt pour 250 pages.

Depuis son changement d’éditeur, Marion Montaigne ne s’impose plus de thĂšme gĂ©nĂ©ral. On aborde donc tout et n’importe quoi, l’auteure se faisant plaisir avec ses sujets de prĂ©dilection. On retrouve donc beaucoup les explications geek (« Jurassic Park », « Le Seigneur des Anneaux », « Star Wars » ) et le pipi caca. Ainsi, on sent que Montaigne prend un plaisir infini Ă  nous parler des pets


Rire de la science par l’absurde.

TuMourrasMoinsBete4bToutes les explications dĂ©marrent par une fausse carte postale dessinĂ©e par nombre d’invitĂ©s. Chacun pose une question, Ă  laquelle rĂ©pond la dessinatrice. Si certains thĂšmes sont trĂšs gĂ©nĂ©raux, d’autres partent un peu dans tous les sens. Au final, ce n’est pas plus mal, les notes ne suivant pas non plus un schĂ©ma systĂ©matique qui ennuierait le lecteur. Car force est de constater qu’aprĂšs quatre tomes bien fournis, Marion Montaigne continue Ă  ĂȘtre aussi drĂŽle et didactique Ă  la fois. MĂȘme si ce que l’on apprend a, dans ce tome, finalement peu d’intĂ©rĂȘt. Comme un symbole, le livre se ferme sur la sexualitĂ© des dinosaures, une façon de mixer deux grands sujets traitĂ©s dans ses livres


Au niveau du dessin, on retrouve le trait particuliĂšrement relĂąchĂ© de Marion Montaigne et colorisĂ© Ă  l’aquarelle. C’est clairement ce qui peut rebuter le plus au premier abord, mais son efficacitĂ© est Ă©vidente. C’est lĂ  le plus important.

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Ce tome confirme (si besoin Ă©tait) tout le talent de Marion Montaigne pour la vulgarisation. Et plus que pour apprendre des choses, on lit avant tout « Tu mourras moins bĂȘte » pour rire avec l’auteure de la science et de tous les questionnements que cela peut apporter. Et si c’est absurde, c’est encore meilleur !

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note5

Riche, pourquoi pas toi ?

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Titre : Riche, pourquoi pas toi ?
Scénariste :
Marion Montaigne
Dessinatrice : Marion Montaigne
Parution : Octobre 2013


Marion Montaigne s’est fait connaĂźtre avec son blog « Tu mourras moins bĂȘte », qui traitait en bande-dessinĂ©e et avec humour de la science. EditĂ© sous format papier (deux tomes parus Ă  ce jour), ces ouvrages ont pleinement mĂ©ritĂ© leur succĂšs. MalgrĂ© tout, Marion Montaigne fait une pause dans la vulgarisation scientifique pour aborder ce nouveau livre : « Riche, pourquoi pas toi ? ». Plus que « comment devenir riche ? », c’est plutĂŽt une bande-dessinĂ©e qui explique pourquoi, justement, on n’est pas riche ! Deux auteurs sont associĂ©s Ă  Marion Montaigne : Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. C’est sur les travaux de ces deux sociologues que se base ce nouveau livre. Le tout est Ă©ditĂ© chez Dargaud pour 133 pages.

Outre se baser sur les ouvrages du couple Pinçon / Pinçon-Charlot, Marion Montaigne les fait mĂȘme intervenir ! Ces derniers s’occupent d’une famille qui va alors gagner au Loto et devenir riche. De nombreuses questions sont alors abordĂ©es lors de l’ouvrage composĂ© de chapitres : qu’est-ce qu’un riche ? Comment devient-on bourgeois ? etc.

Marion Montaigne dĂ©laisse donc la vulgarisation scientifique pour la vulgarisation sociologique (mĂȘme si en soit, la sociologie est une science). C’est clairement ce qu’elle fait de mieux, puisqu’elle le fait Ă©galement pour la jeunesse (« La Vie des BĂȘtes »). Ceux qui connaissent l’auteure sont donc en terrain connu. L’humour sert ici Ă  apprendre. Comme toujours, Marion Montaigne aime garnir ses ouvrages de rĂ©fĂ©rences actuelles, au risque de voir ses ouvrages mal vieillir. La plupart des rĂ©fĂ©rences sont ici particuliĂšrement simples d’accĂšs, donc cela ne pose pas de problĂšme en lecture. Cependant, le sujet permet un peu moins de dĂ©lire que la science. Bref, n’espĂ©rez pas trouver exactement la mĂȘme chose que le blog que Marion Montaigne. Mais on n’y perd pas au change.

Une conclusion déprimante

MalgrĂ© le nombre important de pages et la densitĂ© des informations, le tout se dĂ©vore sans peine et les idĂ©es fortes font mouche. Outre l’aspect sociologique, l’aspect psychologique est trĂšs important ici. Et la conclusion assĂ©nĂ©e par l’auteure est avant tout dĂ©primante pour tout un chacun. Mais hĂ©las tellement vraie


Au niveau du dessin, le trait relĂąchĂ© de Marion Montaigne est toujours aussi dynamique et adaptĂ© Ă  sa narration. La couleur est faite de simples aplats numĂ©riques. C’est un peu dommage lorsque l’on connaĂźt les capacitĂ©s Ă  l’aquarelle de l’auteure. Sans doute fallait-il aller vite.

« Riche pourquoi pas toi » confirme si c’était encore nĂ©cessaire les capacitĂ©s didactiques de Marion Montaigne. Assorti d’une bonne dose militante (sous couvert d’études sociologiques quand mĂȘme !), cet ouvrage a donc un accent diffĂ©rent que les « Tu mourras moins bĂȘte ». Clairement, ici on rit, mais on n’est pas lĂ  que pour rire


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note4

Manuel de la jungle – Nicoby & Joub

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Titre : Manuel de la jungle
Scénaristes : Nicoby & Joub
Dessinateurs : Nicoby & Joub
Parution : Mai 2015


Joub et Nicoby avait plutĂŽt bien rĂ©ussi leur biographie « Dans l’atelier de Fournier ». Ils s’y prĂ©sentaient, interviewant l’auteur sur son passĂ©. Cela est en train de devenir une de leur spĂ©cialitĂ©. Au point qu’ils partent rĂ©aliser un livre sur la jungle, en Guyane. Joub vivant Ă  Cayenne, ils ont l’idĂ©e de retrouver deux instituteurs baroudeurs et de partir quelques jours dans l’Enfer vert afin de voir combien ce terme est galvaudĂ©. Le tout est donc scĂ©narisĂ© par Nicoby et Joub. Le premier dessine, le second colorise le tout. C’est paru chez Dupuis pour 140 pages de bande-dessinĂ©es au prix de 19 euros.

ManuelDeLaJungle1Le rĂ©cit prĂ©sente donc deux citadins emportĂ©s par deux baroudeurs. Évidemment, les premiers ont trĂšs peur des bestioles : serpent, araignĂ©es, crocodiles, etc. MĂȘme si cette menace n’est pas la plus importante
 Le livre dĂ©marre donc par un vĂ©ritable manuel, les expĂ©rimentĂ©s expliquant aux nouveaux le fonctionnement de la survie dans ce milieu, entre chasse et binouze.

Un titre trompeur.

Mais l’histoire finit par tourner vers autre chose : la dĂ©nonciation des orpailleurs clandestins. Du coup, le livre est un peu scindĂ© en deux et manque de cohĂ©rence. De mĂȘme, les anecdotes nombreuses abondent dans le livre et coupent le rythme. On sent une forme de fourre-tout, intĂ©ressant certes, mais qui manque de travail de fond pour en faire un bouquin en tant que tel. Ainsi, le titre « Manuel de la jungle » est trompeur, mais c’est ce que devait ĂȘtre le livre au dĂ©part.

MalgrĂ© tout, la vie dans la jungle a un intĂ©rĂȘt rĂ©el et on apprend beaucoup de choses. La deuxiĂšme partie, plus militante, donne aussi Ă  rĂ©flĂ©chir. Le tout se dĂ©vore d’une traite, l’humour est prĂ©sent et on apprend Ă©normĂ©ment sur la jungle. Dommage que les auteurs se reprĂ©sentent toujours comme apeurĂ©s, voulant mettre fin Ă  l’expĂ©rience au plus vite. Finalement, on se dit que ce voyage de quelques jours ne les aura pas changĂ©s. Surtout, ils paraissent encore plus terrorisĂ©s Ă  la fin. Peut-ĂȘtre est-ce la rĂ©alitĂ©, mais le tout ne va pas trĂšs loin dans l’analyse. Joub et Nicoby ont choisi un rĂ©cit de voyage sans trop chercher Ă  approfondir le propos en aval.

Concernant le dessin, j’aime beaucoup le trait de Nicoby, sublimĂ© par les aquarelles de Joub. Les ambiances sont posĂ©es, aussi bien dans la jungle, sur la pirogue, la nuit
 Une vraie rĂ©ussite. En revanche, on ressent relativement peu le cĂŽtĂ© « paradis des sens » vantĂ© par la quatriĂšme de couverture. Ce n’est pas Ă©vident avec du dessin de faire ressentir cela, mais dans les faits, la jungle est jolie mais on ne la ressent pas.

ManuelDeLaJungle2

« Manuel de la jungle » est un ouvrage qui dĂ©vie de son intention premiĂšre. HĂ©sitant entre un apprentissage par des citadins de la jungle et une dĂ©nonciation des clandestins du lac, il manque un peu de cohĂ©rence. De mĂȘme, il cĂšde Ă  la mode actuel en prĂ©sentant une pagination excessive. Ainsi, la scĂšne du restaurant, au dĂ©part, n’a aucun intĂ©rĂȘt et rallonge artificiellement l’ouvrage. Mais si vous ĂȘtes un amateur des livres de Joub et Nicoby, ne boudez pas votre plaisir, on retrouve l’humour des deux compĂšres et ce trait rond qui va si bien avec.

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Note : 13/20

Explicite, carnet de tournage – Olivier Milhaud & ClĂ©ment C. Fabre

Explicite


Titre : Explicite, carnet de tournage
Scénariste : Olivier Milhaud
Dessinateur : Clément C. Fabre
Parution : FĂ©vrier 2015


Olivier Milhaud est un ami de John B. Root, rĂ©alisateur de films pornographiques. Le voilĂ  un peu dubitatif devant la proposition de ce dernier : jouer dans sa future production ! Certes, ce n’est pas dans des scĂšnes de sexe, mais quand mĂȘme
 AprĂšs avoir hĂ©sitĂ© longtemps, Olivier Milhaud finit par accepter et part dans le sud pour trois jours de tournage oĂč il va dĂ©couvrir le milieu porno, ses jalousies et son langage cru. Retour de bĂąton pour John B. Root puisque suite Ă  cette expĂ©rience, Olivier Milhaud dĂ©cide d’en faire un livre, avec la collaboration de ClĂ©ment C. Fabre au dessin. Comme j’apprĂ©cie beaucoup le dessin de ce dernier, il m’était difficile de passer Ă  cĂŽtĂ© de ce livre ĂŽ combien original. Le tout est paru chez Delcourt, dans la collection Mirages pour plus de 120 pages au compteur.

Explicite2« Explicite » est donc un reportage qui n’était pas prĂ©vu comme tel. Il ne faut donc pas espĂ©rer une grande analyse de fond de comment on tourne un film pornographique. De mĂȘme, l’auteur n’assiste Ă  aucune scĂšne porno en soit. C’est avant tout la description d’un rĂ©alisateur atypique pour le milieu, John B. Root, de ses ambitions et de sa façon de travailler. On y dĂ©couvre aussi le backstage et c’est ce qui fait tout le sel de l’ouvrage. On ressent parfaitement la gĂȘne d’Olivier Milhaud dans ce milieu, Ă  la fois Ă©moustillĂ© et timide, n’osant trop rien faire ou mĂȘme regarder. Tout l’inverse des acteurs qu’il croise, dont la pudeur a souvent laissĂ© la place Ă  l’exhibitionnisme. Sans parler du langage bien plus cru que ce dont l’auteur a l’habitude.

Un candide dans le milieu pornographique.

Le livre fonctionne donc avant tout avec son personnage central de candide. Olivier Milhaud dĂ©couvre le tournage d’un film, le milieu pornographique, les caprices de stars
 Il joue donc un rĂŽle parfait pour nous qui apprenons Ă©galement de tout cela. Et le fait que la bande-dessinĂ©e s’échelonne sur trois jours, en un lieu unique, donne un aspect presque thĂ©Ăątral Ă  l’ensemble. Avec beaucoup de choses qui se passent hors champ ! Intelligemment, les auteurs placent toute l’action du point de vue d’Olivier Milhaud. On voit ce qu’il a vu, on entend ce qu’il a entendu : il n’y a aucune projection sur ce qu’il imagine.

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Le tout n’est bien sĂ»r pas dĂ©nuĂ© d’humour. Outre les clichĂ©s qui sont confirmĂ©s ou infirmĂ©s, de nombreuses situations nous paraissent complĂštement cocasses. Et que dire d’Olivier Milhaud, complĂštement en dĂ©calage par moment, comme dans cette scĂšne oĂč John B. Root lui demande « mais on dirait que tu as peur de lui ! » et oĂč l’auteur rĂ©pond « Ben, un peu quand mĂȘme. » Il faut dire qu’avoir un mec baraquĂ© et tatouĂ© en face, acteur pornographique, ça ne laisse pas indiffĂ©rent !

Au niveau du dessin, ClĂ©ment C. Fabre fait des merveilles. J’étais dĂ©jĂ  fan de son dessin et de ses couleurs et lĂ  il m’a bluffĂ©. Les cases sont dĂ©taillĂ©es, les dĂ©cors riches, le dessin dynamique. Quand Ă  sa colorisation Ă  l’aquarelle, elle retranscrit parfaitement l’ambiance du sud ! Son dessin tout en douceur permet d’attĂ©nuer aussi la cruditĂ© de certains propos et de rendre d’autant plus humain cette expĂ©rience. VoilĂ  un dessinateur que j’espĂšre retrouver au plus vite !

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« Explicite » est une bande-dessinĂ©e de reportage originale, fortement teintĂ©e d’autobiographie. Et ce cela qui fait sa force. DotĂ© d’un ton Ă  la fois cru et bon enfant, les deux auteurs sont au diapason pour parler d’un sujet peu Ă©vident avec finalement beaucoup de lĂ©gĂšretĂ©. Du beau travail.

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Note : 15/20

 

Vingt-trois prostituĂ©es – Chester Brown

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Titre : Vingt-trois prostituées
Scénariste : Chester Brown
Dessinateur : Chester Brown
Parution : Septembre 2012


 Chester Brown dĂ©couvre un jour qu’il n’est plus intĂ©ressĂ© par l’amour, qu’il trouve vain et compliquĂ©. Il s’aperçoit qu’il prĂ©fĂšre ĂȘtre ami avec ses ex, afin d’éviter tous les problĂšmes de couple. HĂ©las, au bout d’un certain temps, le besoin de sexualitĂ© se prĂ©senter. Il dĂ©cide alors de se tourner vers la prostitution. C’est cette expĂ©rience de plusieurs annĂ©es que nous prĂ©sente l’auteur dans un pavĂ© de prĂšs de 300 pages. IntitulĂ© « Vingt-trois prostituĂ©es », il revient donc sur ces femmes qu’a rencontrĂ©es le dessinateur. Le tout est publiĂ© aux Ă©ditions CornĂ©lius.

23prostituĂ©es2Le livre est Ă  la fois un ouvrage autobiographique qui analyse la pensĂ©e de son auteur par rapport aux rapports humains. La prostitution n’est qu’une facette du raisonnement, qui en sera un aboutissement logique. Car Chester Brown ne nous dit pas « je suis allĂ© voir des prostituĂ©es ». Il explique pourquoi il l’a fait et pourquoi il a plus ou moins arrĂȘtĂ©. Cette analyse est essentielle, car l’auteur livre un plaidoyer en faveur de la prostitution (notamment sur le problĂšme de la dĂ©pĂ©nalisation et/ou de la lĂ©galisation. Le tout est d’ailleurs agrĂ©mentĂ© d’une introduction, d’une prĂ©face, d’une postface, d’appendices et de notes
 Comme si l’auteur considĂ©rait que ses planches ne suffisaient pas


Les dessous du milieu, sans faux-semblants.

DerriĂšre la froideur de l’ouvrage (portĂ© par l’auteur dont les raisonnements choqueront de nombreux lecteurs) se rĂ©vĂšle donc un vĂ©ritable documentaire. L’auteur nous invite Ă  dĂ©couvrir les dessous du milieu, sans faux-semblants. Si le personnage de Chester peut paraĂźtre froid, il n’en paraĂźt pas moins sincĂšre. Il est client et souhaite donc avant tout en avoir pour son argent. MalgrĂ© cela, il est avant tout respectueux des femmes qu’il rencontre. Surtout, il discute beaucoup avec elles, ce qui permet d’en savoir plus sur leurs ressentis. Mais Ă  aucun moment il ne dessine leur visage. Une façon de les protĂ©ger sans doute plus que de les dĂ©shumaniser.

Il n’est pas dit que « Vingt-trois prostituĂ©es » convaincra le lecteur que la prostitution est une bonne chose et qu’elle doit obtenir un cadre lĂ©gal. Cependant, il est indĂ©niable que l’ouvrage fait rĂ©flĂ©chir et amĂšne Ă  se poser des questions. On est loin des discours standards. Il est dommage que les appendices cherchent, eux, Ă  convaincre de façon trop Ă©vidente. On aurait prĂ©fĂ©rĂ© un livre qui parle de lui-mĂȘme, sans devoir passer par des pages de texte, façon propagande. Et pourtant, qui sait que je partage de nombreux points de vue de l’auteur.

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Concernant le dessin, il est minimaliste, en noir et blanc. Il est parfaitement maĂźtrisĂ© par l’auteur qui livre des planches d’une froideur et d’une raideur impressionnante. Cela Ă©vite tout pathos qui polluerait le propos. Car derriĂšre cette façade, le lecteur est loin d’ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  ce qui se passe ou ce qui se dit.

« Vingt-trois prostituĂ©es » est un ouvrage riche et maĂźtrisĂ© qui ne laissera pas indiffĂ©rent. A la fois autobiographique et documentaire, il ne cherche pas forcĂ©ment Ă  Ă©tablir de vĂ©ritĂ©. Il montre le point de vue et l’expĂ©rience d’un client lambda et ses motivations. Chester Brown a des amis, n’est pas un loser, n’est pas un obsĂ©dĂ© sexuel, mais va voir des prostituĂ©es pour des raisons qui lui sont propres. Un livre fort, qui se lit d’une traite et qui, aprĂšs la lecture, reste dans vos mĂ©ninges.

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Note : 16/20

LAP ! – AurĂ©lia Aurita

LAP


Titre : LAP !
Scénariste : Aurélia Aurita
Dessinatrice : Aurélia Aurita
Parution : Janvier 2014


Les prĂ©cĂ©dents livres d’AurĂ©lia Aurita ne m’avaient pas laissĂ© un souvenir forcĂ©ment positif. Mais en voyant son livre « LAP ! » (sous-titrĂ© « un roman d’apprentissage »), je n’ai pu m’empĂȘcher de retourner lire un livre de cette dessinatrice. En effet, le LAP est l’acronyme du LycĂ©e AutogĂ©rĂ© de Paris. C’est un lycĂ©e particulier oĂč les profs et les Ă©lĂšves sont (thĂ©oriquement) Ă  Ă©galitĂ© et oĂč chacun s’occupe du fonctionnement du lycĂ©e (mĂ©nage, cuisine
). C’est aussi et surtout un endroit expĂ©rimental oĂč une autre façon d’enseigner est testĂ©e depuis maintenant trente ans. Étant enseignant, j’étais curieux de connaĂźtre un peu mieux le fonctionnement du LAP. Le tout est Ă©ditĂ© aux Impressions Nouvelles et pĂšse environ 140 pages pour un format A5.

Le parallĂšle avec « Retour au CollĂšge » de Riad Sattouf s’impose immĂ©diatement. AurĂ©lia Aurita est lĂąchĂ©e en cours et parmi les Ă©lĂšves et un lien se crĂ©e rapidement. Difficile d’ĂȘtre objective, surtout que l’auteure est encore jeune et que les Ă©lĂšves ont, par essence mĂȘme, un rapport aux adultes particuliers. AprĂšs une mise en situation classique sous forme d’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, on dĂ©couvre peu Ă  peu le fonctionnement du LAP avec ses votes, ses embrouilles, ses cours originaux. Le tout est dĂ©crit assez objectivement, dans le sens oĂč les aspects nĂ©gatifs sont signalĂ©s rĂ©guliĂšrement. Cependant, l’auteure n’hĂ©site pas Ă  se reprĂ©senter trĂšs perturbĂ©e par ce qu’il se passe au lycĂ©e. C’est le syndrĂŽme du jeune prof : l’envie que tout le monde rĂ©ussisse, la difficultĂ© de mettre une barriĂšre et ne pas trop tomber dans l’affectif avec les Ă©lĂšves. Clairement, au LAP, c’est encore plus fort ! Il n’est mĂȘme pas cachĂ© que des relations prof/Ă©lĂšve ont rĂ©guliĂšrement Ă©clatĂ©.

La partie gestion mise en avant

AurĂ©lia Aurita semble avoir Ă©tĂ© traumatisĂ©e par l’enseignement puisqu’elle est trĂšs mal Ă  l’aise quand il faut assister Ă  un cours. Du coup, elle n’en parle que de façon anecdotique et c’est bien dommage. C’est avant tout la partie gestion qui est mise en avant. Alors certes, le lycĂ©e est autogĂ©rĂ© et sa partie gestion est bien Ă©videmment au cƓur du projet. Mais les enseignements font Ă©galement la part belle aux expĂ©rimentations. Finalement, c’est un grand recueil de tĂ©moignages qui nous est prĂ©sentĂ©. Pour rester objective, la dessinatrice analyse finalement peu ce qu’elle voit. On la sent sĂ©duite par le lieu et les gens (d’autant plus qu’elle n’est qu’observatrice, ce qui est un rĂŽle plus confortable). Mais il y a un vrai manque de recul, de comparaison avec les lycĂ©es classiques.

Concernant le dessin, je trouve qu’AurĂ©lia Aurita fait du beau travail. Je n’étais pas fan de son trait, mais elle a progressĂ© et propose un dessin expressif et pertinent, surtout que le livre est fait Ă  90% de dialogues. Le lavis accompagne bien le trait dynamique de l’auteure.

Mi-figue, mi-raisin pour ce « LAP ! ». Si ce qui nous est prĂ©sentĂ© est intĂ©ressant et la lecture est plaisante, on sent quand mĂȘme que tout un pan de ce lycĂ©e n’est pas traitĂ©. Ainsi, on n’est presque jamais en salle de classe. Repaire de gauchistes pour les uns, Ă©tablissement novateur pour les autres, il y a peu de chance que la lecture du livre vous fasse changer d’avis. Cela risque plus de confirmer vos a priori. A lire si vous aimez les documentaires en bande-dessinĂ©e.

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Note : 13/20

Feuille de chou, T3 : journal d’un journal – Mathieu Sapin

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Titre : Feuille de chou, T3 : Journal d’un journal
Scénariste : Mathieu Sapin
Dessinateur : Mathieu Sapin
Parution : Septembre 2011


AprĂšs avoir Ă©crit deux premiers « Feuille de chou » consacrĂ©s Ă  des tournages, c’est cette fois-ci au journal LibĂ©ration que Mathieu Sapin a dĂ©cidĂ© de s’attaquer. ImmergĂ© pendant des mois au sein de la direction, il va pouvoir croquer et nous montrer comment fonctionne ce quotidien qui alimente bien des fantasmes. Le tout pĂšse une centaine de pages et est publiĂ© chez Shampooing.

Mathieu Sapin a dĂ©cidĂ© de traiter le sujet de façon trĂšs libre, tant dans le fond que dans la forme. Le tout s’articule donc autour de saynĂštes, qui commencent par l’arrivĂ©e du dessinateur dans les locaux et ses diffĂ©rentes rencontres. Autour de ces anecdotes plus ou moins longues (et intĂ©ressantes), on retrouve aussi des “hors contexte”, Ă  savoir un dessin avec une citation (hors contexte, donc !). Le tout donne un vĂ©ritable aspect bordĂ©lique Ă  l’ensemble. Mathieu Sapin fait le choix de rester en surface et d’Ă©viter de trop analyser ce qu’il voit et entend. Bien Ă©videmment, son travail consiste notamment Ă  choisir ce qu’il montre (et comment il le fait), mais il n’y a pas vraiment de travail de construction et de synthĂšse. Dommage.

Un quotidien au quotidien

MalgrĂ© tout, la particularitĂ© de LibĂ©ration se retrouve bien dans l’ouvrage, que ce soit dans l’idĂ©ologie (“La passion de raconter l’actualitĂ© et la volontĂ© de lui donner un sens” nous dit son ancien directeur) ou mĂȘme dans ses locaux. On peut y lire Ă©galement des rĂ©flexions sur l’évolution de la presse Ă©crite (notamment quotidienne). Je dois avouer que tout n’est pas passionnant et ce que l’on retient, c’est avant tout les anecdotes (comme ce photographe qui reste des heures devant en bĂątiment pour prendre une photo d’un homme qui en sort
 Et la photo n’est pas retenue ! Tout ça pour ça ?).

Mathieu Sapin s’efforce le plus possible de retranscrire avec fidĂ©litĂ© ce qu’il voit/entend. Ainsi, les scĂšnes sont parfois confuses, mais cela donne une idĂ©e du bouillonnement qu’il doit rĂ©gner au journal. On sent une forme de fidĂ©litĂ© et d’authenticitĂ© dans le travail du dessinateur.

DĂ©faut ou qualitĂ©, l’ouvrage est ancrĂ© dans son Ă©poque. Ainsi, de vieilles histoires ressortent. Certains trouveront cela amusant de retrouver l’actu de l’époque, d’autres trouveront que cela fait vieillir le livre
 Mais comment parler d’un quotidien sans parler du quotidien ?

La façon dont illustre son livre Mathieu Sapin est des plus plaisantes. Avec un trait relĂąchĂ© et de belles couleurs Ă  l’aquarelle, l’auteur tient un style parfaitement adaptĂ©. Il est cependant dommage que certaines pages soient aussi chargĂ©es. Son personnage, petit avec une tĂȘte toute ronde, le rend encore plus candide face Ă  son sujet.

« Journal d’un journal » ne m’a pas transcendĂ©. J’y ai trouvĂ© de l’intĂ©rĂȘt, mais sans avoir l’impression de dĂ©couvrir autre chose qu’une sorte « d’esprit Libé ». Mais l’ensemble se lit bien, malgrĂ© un contenu un peu fouillis. A lire si vous aimez les documentaires dessinĂ©s.

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Note : 12/20