L’enfant cachée

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Titre : L’enfant cachée
Scénariste : Loïc Dauvillier
Dessinateur : Marc Lizano
Parution : Janvier 2012

Relater l’occupation française n’est pas un sujet évident. Beaucoup traité, il est dans « L’enfant cachée » abordé du point de vue d’une enfant, Dounia. Cette dernière, grand-mère, raconte à sa petite-fille cette période de sa vie, sous forme de devoir de mémoire. Le tout est paru au Lombard.

Tout commence par l’occupation. Dounia sait que la France a perdu, mais elle s’en moque : la guerre est terminée et son père est rentré vivant, c’est le principal pour elle. Hélas, la petite juive va vite déchanter. Les mesures contre les siens vont se multiplier, provoquant l’incompréhension totale de Dounia.

L’occupation vue par une enfant juive.

LEnfantCachee2L’originalité de « L’enfant cachée » est de tout raconter du point de vue de l’enfant. Ainsi, Dounia subit comme les juifs les mesures de coercition, mais également les choix de ses parents, sans jamais saisir réellement ce qui se passe. Cet aspect est très réussi, renforcé par une narration volontairement naïve, sans analyse autre que factuel ou enfantine. L’injustice paraît d’autant plus forte que Dounia nous est forcément très sympathique, petite fille innocente et joyeuse en début de livre.

La narration prend le temps de traiter tous les sujets : la mise de côté à l’école, l’étoile juive, la perte des parents, la fuite de Paris… La gradation dans les difficultés est bien mise en scène. Ainsi, Dounia n’est pas forcément très affectée au départ en tant qu’enfant. Aussi bien rester chez elle ne la dérange pas, mais être mise de côté à l’école est très difficile.

Le propos est renforcé par un dessin parfaitement adapté réalisé par Marc Lizano. Son trait typé jeunesse, fait de personnages aux grosses têtes, ancre d’autant plus l’histoire vers un point de vue d’enfant. Le tout est enrichi par une colorisation tout aussi réussie. On retrouve un belle synergie dans cet album, une vraie cohérence entre le texte et l’image.

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« L’enfant cachée » remplit parfaitement son rôle de devoir de mémoire. En adoptant le point de vue d’un enfant et en ne montrant et n’expliquant que ce que Dounia peut comprendre, les auteurs produisent un album jeunesse d’une grande qualité, qui peut être lu et apprécié par tout le monde. Forcément touchant, « L’enfant cachée » est une œuvre d’une grande justesse et d’une vraie délicatesse.

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note4

Shenzhen

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Titre : Shenzhen
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Avril 2000


Avec ses quatre carnets de voyage, Guy Delisle a fini par obtenir un prix à Angoulême pour « Chroniques de Jérusalem ». Mais tout a commencé à 2000 avec Shenzhen, où il relate son expérience en Chine, dans la ville de Shenzhen. Si Guy Delisle a visité des pays très différents (Chine, Corée du Nord, Birmanie, Israël), il en récupère à chaque fois tout ce qui en fait le décalage culturel. En passant plusieurs mois sur place, il s’approprie réellement la vie locale. Le tout est publié à L’Association pour 150 pages de décalage culturel.

À l’époque, Guy Delisle travaille dans l’animation. Cette dernière étant délocalisée en Asie (en Chine donc, puis en Corée du Nord), il part superviser les équipes locales et vérifier que les plans sont correctement faits. C’est l’occasion d’un premier choc culturel sur la façon de travailler des Chinois…

Le Lost in translation de la bande-dessinée

shenzhen1L’autre partie est bien évidemment le choc culturel avec le pays. La Chine n’est pas le pays le plus ouvert du monde et les problèmes de passages dans certaines zones le montre bien. Mais surtout, la langue est un vrai souci. Peu de chinois parlent anglais et beaucoup le parlent très mal. Guy Delisle est donc souvent dans l’incapacité de communiquer et passent des week-ends seuls… Sur ce point, on ressent parfaitement le côté « Lost in translation ». Seul membre occidental à être venu sur place, il est très isolé. De plus, la Chine ne propose pas réellement de moyen de se réunir entre expats.

La force des carnets de voyage de Guy Delisle est de ne pas chercher à écrire un documentaire détaillé sur son expérience. Il dit ce qu’il voit, ce qui le choque, sans chercher à appuyer sur l’aspect politique des choses. C’est le lecteur qui, guide subtilement, se fait son opinion. L’auteur exprime un ressenti et ne cherche pas à nous le présenter comme une vérité objective.

Concernant le dessin, l’auteur opte pour un dessin plus fouillé que ce qu’il produira par la suite. Le trait reste simple, mais la colorisation en niveaux de gris apporte de la matière. C’est expressif et plutôt réussi comme choix graphique. Et plutôt adapté à la saleté de la Chine décrite par le livre.

« Shenzhen » est une réussite. Guy Delisle trouve vite son ton. Son carnet de voyage, sous forme d’anecdotes, passionne. On s’intéresse autant aux péripéties de Guy qu’au pays en lui-même. Un subtil équilibre que l’auteur saura garder à chacun de ses bouquins.

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note4

Trois ombres

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Titre : Trois Ombres
Scénariste : Cyril Pedrosa
Dessinateur : Cyril Pedrosa
Parution : Septembre 2007


Après avoir découvert Cyril Pedrosa avec son autobiographique écolo « Autobio » (à laquelle je n’avais pas du tout accroché), je me devais de découvrir d’autres ouvrages de cet auteur afin d’infirmer (ou pas) cette première mauvaise impression. « Trois Ombres » est un roman graphique de 268 pages. Loin de l’humour de son autobiographie, on a affaire ici à un drame familial sur fond de fantastique.

Le livre démarre sur la présentation d’une petite famille parfaite : Louis et Lise ont un fils, Joachim. Tout va bien dans leur petite ferme isolée, rien ne semble pouvoir gêner la vie des trois personnages. Jusqu’au jour où trois ombres apparaissent au loin, des cavaliers. S’ensuit un stress lié à ces spectres. Que sont-ils ? Que veulent-ils ? Pourquoi rôdent-ils autour de la maison ?

Une fuite sans espoir sous fond de lien père-fils.

Après un début sous forme d’utopie familiale, la peur et la colère s’immiscent pour culminer jusqu’à la fuite du père et du fils. Une fuite sans réel espoir comme on le comprend tout de suite. Ainsi, « Trois Ombres » abordent avant tout le lien père-fils. Jusqu’où le père peut-il aller pour sauver son fils ? Jusqu’à son propre sacrifice ?

« Trois Ombres » est avant tout un conte. En effet, on ne croit pas une seconde à l’univers créé par Pedrosa. La famille vit ainsi dans une ferme isolée de tout dans un bonheur parfait et insouciant. De même, les aspects fantastiques sont évidemment totalement inexpliqués. Les dernières pages viennent appuyer d’autant plus la thèse d’une fable. On ne sait trop si l’histoire est une grande métaphore (sur la maladie ?) ou pas. En cela, le scénario manque un peu d’appui, hésitant entre réalisme (lors de la traversée) ou fantastique pur (notamment sur la fin). Cette indécision m’a quelque peu gêné quand j’ai refermé l’ouvrage, ne sachant trop qu’en penser.

Cependant, Pedrosa parvient avant tout à distiller un vrai charme dans « Trois Ombres ». Les ambiances, quelles qu’elles soient, sont remarquablement rendues. Tristesse, joie, colère, désespoir… Cependant, je n’ai pas été ému plus que ça. J’ai été happé par les événements, pris dans le périple des personnages. Mais les parties émotionnelles m’ont laissé un peu froid. Cela vient des procédés narratifs parfois un peu appuyés de l’ouvrage. Cyril Pedrosa en fait parfois un tout petit trop. Je chipote un peu, mais par moment, dans la lecture, je me suis fait la réflexion.

Au niveau du dessin, c’est particulièrement réussi. Le noir et blanc est bien maîtrisé, il y a une vraie texture et du volume qui se dégage des planches. Le style sait se modifier et s’adapter aux situations. Très noir pour certains passages, plus flou pour d’autres. Le travail sur les planches est réellement remarquable et vaut le coup d’œil. En revanche, je ne suis pas fan du trait que Pedrosa donne à ses personnages. C’est une question de goût.

Au final, cet ouvrage est à découvrir. Certes, il y a plusieurs éléments qui m’ont gêné ou fait tiquer pendant la lecture, mais il possède d’indéniables qualités, tant dans le dessin que dans l’ambiance particulière qu’il dégage. Il m’a réconcilié avec Cyril Pedrosa. Et c’est déjà pas mal !

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note3

Portugal

Portugal


Titre : Portugal
Scénariste : Cyril Pedrosa
Dessinateur : Cyril Pedrosa
Parution : Septembre 2011


J’ai une relation compliquée avec Cyril Pedrosa. L’homme a une côte énorme et pourtant, je n’accroche pas. Il faut dire que « Autobio » m’avait laissé dubitatif et que « Trois ombres » m’avait laissé sur ma faim. Mais vu le succès critique de « Portugal », un roman graphique de 264 pages, il m’était difficile de ne pas tenter une nouvelle fois ma chance. Surtout que j’avais eu la chance d’aller à une exposition de planches originales du livre à la galerie 9e Art à Paris et que j’avais pu admirer les magnifiques couleurs de ses pages. Le tout est publié dans la bien nommée collection Aire Libre de chez Dupuis.

Simon Muchat est un auteur de bande-dessinée en panne d’inspiration. Il accumule alors des boulots d’animateur scolaire et sa copine s’impatiente. Il faut acheter une maison, grandir en quelque sorte. Mais Simon existe. De là à y voir une touche autobiographique, il n’y a qu’un pas ! Et c’est à l’occasion d’un festival de BD au Portugal que l’auteur va se redécouvrir ses origines et retrouver un bien-être.

Retour au pays

Grand classique dans l’art, Cyril Pedrosa nous concocte donc une bande-dessinée sur un auteur de bande-dessinée en plein doute. Ce dernier va alors creuser le passé de sa famille et dépasser les silences et les non-dits avant de partir quelques temps au pays. La première partie est donc consacrée à Simon en France. Sa vie est d’une grande fadeur. Il s’ennuie, ne veut pas faire un bouquin, ne veut pas acheter de maison, est vaguement dépressif… Bref, ça ne va pas du tout. Ce quotidien morne est rendu par des couleurs grisâtres pleine d’à propos. Mais déjà, l’ennui pointe également chez le lecteur. Il ne se passe rien, il n’y a aucune originalité dans les situations et tout est plutôt prévisible. On sent que l’auteur se fait plaisir. Il prend son temps, accumule les silences, mais sans réellement nous toucher. Il faut dire que les ouvrages sur le trentenaire qui a du mal à grandir sont légion depuis quelques années et qu’il n’y a pas beaucoup d’originalité de ce côté-là.

C’est donc sur la partie familiale que l’on se rabat en espérant plus d’action. Mais encore une fois, c’est un pétard mouillé. Beaucoup de discussions, de dialogues qui se veulent drôles ou émouvants. Mais je ne suis vraiment pas sensible aux univers de Cyril Pedrosa. Je trouve que tout sonne creux. Je ne suis jamais ému ou touché, je ne souris pas. Je sens bien que l’intention est là, mais j’ai l’impression d’avancer dans l’ouvrage en étant totalement extérieur à ce qui s’y passe. Quant au personnage de Simon, il ne me touche pas du tout. Je le trouve finalement très passif et à la personnalité peu intéressante. Certes, il a un problème de créativité. Mais quel manque de charisme !

Côté dessin, c’est très beau et dynamique et les choix de couleurs sont plein de pertinence. Personnellement, je ne suis pas fan du style de Cyril Pedrosa, notamment des expressions de ses personnages mais c’est une question de goût. Force est de constater que l’auteur a abattu un travail colossal. Et pour avoir vu ses planches originales, l’édition papier écrase sacrément ses couleurs… Bref, difficile de ne pas être admiratif devant le dessin de ce « Portugal ».

Il est toujours compliqué de ne pas aimer un ouvrage qui a tant été encensé. Pour ma part, j’ai refermé ce livre en me disant « tout ça pour ça ? » Malgré toutes les qualités objectives de « Portugal », je me suis ennuyé du début à la fin, sans jamais arriver à être touché par l’histoire ou les personnages. Une grande déception.

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note2

Le maître d’armes

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Titre : Le maître d’armes
Scénariste : Xavier Dorison
Dessinateur : Joël Parnotte
Parution : Octobre 2015


« Le Maître d’armes » est un album édité chez Dargaud dont la sortie date du mois d’octobre dernier. La couverture avait attiré mon regard. On y découvre un homme à la chevelure blanche. Muni d’une épée, on le devine en train de se battre dans une forêt enneigée. La seule touche de couleur est écarlate. Il s’agit de celle du sang qui se trouve sur ses vêtements et son épée. Il se dégage du personnage un charisme certain. Le titre de l’ouvrage amplifie ce sentiment. Dans un second temps, j’ai remarqué que le scénariste de cette aventure était Xavier Dorison qui fait partie du Panthéon du neuvième art à mes yeux. Cela a fini de me décider de m’offrir ce bouquin et de m’y plonger au plus vite.

LeMaitreDArmes1Une préface introduit la narration. Elle décrit le contexte historique et les enjeux de la trame. Elle se déroule au début du seizième siècle durant l’opposition fratricide des chrétiens. D’un côté, se trouvent les partisans de la Réforme favorables à une traduction en français de la Bible afin qu’elle soit comprise par le plus grand nombre. De l’autre, les catholiques papistes refusent cette évolution et souhaitent maintenir les clés de la parole divine dans les mains d’une minorité. Je dois dire que cette courte présentation a éveillé ma curiosité.  J’étais intrigué par la place qu’allait occuper ce maître d’armes dans cette guerre qui embrase la chrétienté et l’Europe.

Un duel, une rivalité, une chasse à l’homme.

Les premières pages nous offrent en spectacle un duel entre deux fines lames du Royaume. L’une est Hans Stalhoffer. L’autre est le comte Maleztraza. L’enjeu pour le second et la place du premier : maître d’armes du roi François Premier. Cette scène est la genèse de la rivalité entre les deux hommes. Ce conflit servira de fil conducteur à l’intrigue. Ce combat à l’épée permet à Joël Parnotte de mettre en valeur ses talents de dessinateur et de coloriste. L’atmosphère grise et humide transpire des planches. Quant à la dynamique du combat, elle est remarquablement transcrite par le trait de l’auteur.

LeMaitreDArmes2Nous retrouvons ensuite Hans quelques années plus tard. Sa déchéance est évidente. Mais un événement va redonner un sens à sa vie. Un ami fidèle s’est enfuit de Paris avec un exemplaire de la Bible traduit en français. Sa mission est de l’amener en suite où il sera imprimé puis diffusé. Mais le périple n’est pas sans risque. Au rude climat hivernal des montagnes s’ajoute la poursuite effrénée de Maleztraza et ses sbires couplée à la chasse menée par une communauté de chrétiens peu favorables à la Réforme. Bref, l’issue de cette quête est bien incertaine. Hans arrivera-t-il à redonner un sens à sa vie en protégeant cet ouvrage si précieux et révolutionnaire ?

Le scénario utilise tous les codes de la chasse à l’homme. Ils  sont d’ailleurs exploités avec talent. Tout au long des soixante-dix pages, le suspense est constant. L’inquiétude nous habite au fur et à mesure que le périple des héros se complexifie. Dorison arrive à générer une tension rendant ainsi passionnante la lecture. Le fait que tout cela se déroule dans l’univers hostile qu’est la montagne en hiver ajoute un attrait certain à l’atmosphère de l’ensemble. Le fait que Hans et son acolyte soient poursuivis par deux groupes distincts densifie le propos. Le comte Maleztraza est incontestablement antipathique. Par contre, le groupe mené par Thimoléon de Vèdres fait naitre des sentiments plus ambigus.

Les enjeux historiques accompagnent les héros sont intéressants. Les auteurs arrivent à faire transpirer des pages l’importance de ce manuscrit. Le dénouement est en ce sens réussi. Cet ouvrage a éveillé pour moi de la curiosité à l’égard de cette période. Il m’a fait comprendre que François premier ne peut pas se résumer à Marignan, la Joconde et Chambord. Xavier Dorison a ce talent commun avec Fabien Nury pour ancrer leurs intrigues dans la grande Histoire.

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Pour conclure, « Le Maître d’armes » est un album que j’ai énormément apprécié. Je le conseille vivement à tout le monde. Xavier Dorison confirme qu’il s’agit d’un maestro du scénario. Quant à Joël Parnotte, j’ai apprécié de découvrir son travail. Mon seul regret est que c’est un « one shot » et que la dernière page marque la fin du temps passé en compagnie de ce charismatique Hans…

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note5

Le banc de touche

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Titre : Le banc de touche
Scénariste : Martin Page
Dessinateur : Clément C. Fabre
Parution : Juillet 2012


Quand je vais à un festival de BD, je prends toujours le temps de m’arrêter au stand Vraoum/Warum. Cette jeune maison d’édition propose des livres de qualité et regroupe des auteurs que j’apprécie. J’ai pu ainsi acquérir « Le banc de touche », une bande-dessinée scénarisée par Martin Page et dessinée par Clément C. Fabre. J’ai été attiré avant tout par le dessin de Clément Fabre, que je connaissais par son blog. La lecture de quelques pages m’a convaincu d’acheter l’ouvrage (avec la belle dédicace qui va avec).

Le pitch n’est pas des plus réjouissants : Louis, Charlotte et Darius sont trois adolescents/jeunes adultes dépressifs. Ils passent leur temps à broyer du noir et ils transpirent la désillusion par tous les pores de leur peau. Le tout est organise en strips, majoritairement de quatre cases. Ponctuellement, une planche ou une illustration viennent s’immiscer entre les strips, amenant une mécanique légèrement différente.

Mais pourquoi tant de désespoir ?

C’est donc de l’humour noir qui nous est servi ici. Et honnêtement, si ça ne va pas trop dans votre vie, je ne suis pas sûr que la lecture de cet ouvrage soit avisée. Car en dehors des jeux de mots sur la mort et des remarques morbides, c’est une vraie désillusion sur la vie et les rapports humains qui est mise en lumière. Louis passe son temps à se faire larguer. Il passe plus de temps en chagrin d’amour qu’en couple, se demandant si tout cela vaut le coup. L’humour cynique et désespéré de l’ouvrage fait mouche heureusement et les trouvailles sont nombreuses. Alors que l’on pourrait croire que ces adulescents désespérés tourneraient en rond, les auteurs parviennent à nous surprendre jusqu’au bout. Il y a quand même dans cette désillusion un petit côté « Peanuts ».

L’ouvrage est bien rythmé, alternant strips et illustrations et variant les situations. On regrettera juste que le postulat de départ, trois jeunes gens désespérés, reste un peu inexpliqué. A la fermeture de l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de se demander « mais pourquoi tant de désespoir ?! » 

Le tout est servi par le dessin de Clément Fabre. Son trait est simple et reconnaissable. Bien que souvent il ne se passe pas grand-chose, il parvient à varier les situations pour que le lecteur n’ait pas l’impression de revoir sans cesse la même scène. Quand il possède un peu plus d’espace pour s’exprimer, il montre toute l’étendue de son talent. Sans jamais être tape-à-œil, son dessin est efficace et parfaitement mis en valeur par des couleurs à l’aquarelle magnifiques. Je suis très fan du graphisme de Fabre, à la fois simple et maîtrisé parfaitement.

Au final, j’ai vraiment été séduit par cet ouvrage. L’humour noir m’a parlé et un véritable univers se dégage des discussions des trois personnages. Le graphisme est à la hauteur et renforce d’autant plus les textes. Une belle découverte qui ne me donne qu’une envie : continuer à suivre ces deux auteurs dans leurs prochains ouvrages.

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note4

Salade, tomate, oignon

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Titre : Salade, tomate, oignon
Scénariste : Joseph Safieddine
Dessinateur : Clément Fabre
Parution : Novembre 2015


Lors du festival Quai des Bulles de Saint Malo, j’en ai profité pour obtenir ma troisième dédicace de Clément Fabre. Le dessinateur officiait avec un troisième scénariste différent, ici en la personne de Joseph Saffieddine. « Salade, tomate, oignon » est un recueil de saynètes faisant intervenir deux personnages (parfois plus) en plein dialogue. Les situations sont souvent absurdes et touchent à toutes les couches de notre société. Le tout est publié chez Vide Cocagne.

L’humour de Safieddine touche à l’absurde et peut se faire trash. Àmes sensibles s’abstenir ! Ainsi, l’une des premières scènes est un modèle du genre. Une nana est invitée chez un mec et elle se retrouve dans un immeuble complètement glauque avec des gitans qui attaquent la porte… La plupart du temps, c’est plutôt réussi, même si l’inégalité de qualité est de mise ici. Globalement, on lit avec plaisir les différentes histoires et on sourit devant les réparties des personnages. Mais comme tout ouvrage d’absurde, on reste parfois à côté du chemin devant certains passages.

Un livre tout en dialogues.

Si les chutes ont souvent un intérêt, ce sont les dialogues qui sont mis en avant. Les grandes gueules sont légions, des collègues de bureau en passant par les mecs de banlieue, sans oublier les petites vieilles bien sûr ! Clairement, c’est dans les passages les plus trash que « Salade, tomate, oignon » touche à la grâce. Racisme et misère humaine sont portés à leur paroxysme dans certaines scènes, et c’est là que le livre se déguste pleinement. Hélas, à la lecture des histoires les unes après les autres, une lassitude s’installe devant certaines répétitions. On est moins surpris. Typiquement, « Salade, tomate, oignon » est fait pour être lu aux toilettes, une scène après l’autre.

Concernant le dessin, le trait simple de Clément Fabre est parfaitement adapté aux histoires, essentiellement dialoguées. Il sait donner suffisamment d’expression à ses personnages pour que cela fonctionne. J’étais surpris de ne pas le voir aquareller le tout, mais il a densifié son encrage pour proposer un dessin en noir et blanc très réussi.

De nombreux guests interviennent dans le livre, offrant des personnages aux strips. Honnêtement, j’ai trouvé ça sans intérêt, voir contre-productif. À de rares exceptions près, les styles des dessinateurs ne sont pas du tout adaptés au style de Clément Fabre et se voient comme le nez au milieu de la figure. Plutôt que de transcender les strips, cela gêne la lecture. Dommage.

« Salade, tomate, oignon », comme beaucoup de livres du genre, propose des scènes plus ou moins réussies. L’inégale qualité de l’ensemble n’enlève rien à la puissance de certaines histoires. Un livre qui se lit rapidement, sans prétention.

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note3

Okko, T10 : Le cycle du vide, deuxième partie

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Titre : Okko, T10 : Le cycle du vide, deuxième partie
Scénariste : Hub
Dessinateur : Hub
Parution : Novembre 2015


« Okko » fait partie de ces rares séries qui, au fur et à mesure des tomes, se bonifie. Après cinq diptyques, il est temps pour Hub de raccrocher et de terminer son histoire. Les premiers cycles avaient vu Okko le ronin faiblir, vieillir et être mutilé. Dans « Le cycle du vide », il prend une retraite bien méritée. C’est l’occasion de revenir sur son passé. Le tout est publié chez Delcourt.

« Okko » reprend les codes de l’aventure classique. Un groupe disparate d’individu (un démon, un ronin, un moine alcoolique et son apprenti) arpente un Japon médiéval fantastique. En utilisant un flashback pour terminer son œuvre, Hub s’attache à nous expliquer comment ce groupe s’est formé. Okko est donc à la recherche de sa mère. Parallèlement, on suit l’histoire de Noshin, comprenant comment il est devenu moine.

Une fin en apothéose.

Okko10aL’inconvénient majeur de ce cycle est l’absence (presque) totale de Noburo, un personnage ô combien charismatique ! Cependant, les informations distillées, le suspense insoutenable et les révélations compensent largement cette perte. Car au-delà de ce cycle passionnant, c’est toute la série qui prend du sens. Sitôt fermé ce tome, je me suis relancé dans la lecture complète des cycles précédents, retrouvant les allusions laissés par Hub précédemment (la relecture de la visite des monastères prend ainsi une saveur particulière…). L’auteur a vraiment pensé sa série comme un tout. Et au-delà de chaque cycle qui possédait un intérêt en tant qu’entité unique, la série prend encore une nouvelle dimension.

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Hub réussit donc le pari de refermer sa série sans laisser de regret à ses lecteurs. On sentait un Okko à bout et on le laisse partir chasser ses démons intérieurs. Les révélations sont puissantes et on ne sort pas déçu de ce cycle qui explique le passé des protagonistes sans renier aux codes de la série : violence, démons et manipulations.

Graphiquement, Hub a beaucoup évolué dans son dessin les années passant, tout en gardant cette identité forte. Le trait est dynamique et élégant, puisant dans différentes sources. La colorisation est encore une fois de grande qualité, sublimant les ambiances sans ternir le dessin de l’auteur.

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« Okko » se termine et c’est tant mieux. Point d’orgue de la série, ce cycle du vide est riche en action et en émotion. Ainsi, aucune déception ne vient ternir cette épopée qui restera comme l’une des meilleures séries de ces dernières années. Okko a pris sa retraite et on aura grand plaisir à relire ses aventures. Il n’y a pas eu de cycle de trop et c’est bien le principal !

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note5

Undertaker, T1 : Le mangeur d’or

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Titre : Undertaker, T1 : Le mangeur d’or
Scénariste : Xavier Dorison
Dessinateur : Ralph Meyer
Parution : Janvier 2015


« Blueberry » est une icône du neuvième art. Il est l’incarnation du western dans l’univers de la bande dessinée. J’ai donc souri en voyant une série se qualifier de « plus grand western depuis Blueberry ». Je trouvais bien présomptueux de se comparer à l’œuvre de Jean Giraud et Jean-Michel Charlier. Mais en découvrant le duo d’auteurs en charge de ce nouvel album, je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». En effet, Undertaker est le fruit de la collaboration de Ralph Meyer et Xavier Dorison. J’ai particulièrement apprécié leur immersion dans la culture nordique en lisant le diptyque « Asgard ». J’ai donc décidé de partir sur les pas de ce curieux« Undertaker » dans l’Ouest sauvage.

Undertaker1bJonas est croque-mort. Son prochain contrat l’amène dans la demeure d’un curieux Monsieur Cusco. Sa richesse résulte de son exploitation d’une mine. Mais sa fortune ne l’a pas empêché d’être actuellement lourdement handicapé. Il a donc prévu de se donner la mort. Jonas est donc missionné pour enterrer le corps dans le filon « Red Chance ». Mais tout ne s’avérera pas si simple. En effet, que va devenir la fortune du défunt ? Est-il parti dans sa dernière demeure avec son secret ?

Moiteur, tension, poussière…

Personnellement, le western a toujours évoqué pour moi une atmosphère. La moiteur, la tension, la poussière… Tout cela doit transpirer de chaque page pour que l’immersion soit totale. Le trait de Ralph Meyer répond parfaitement à ce cahier des charges. Ses planches m’ont fait faire un plongeon immédiat et profond dans cet univers si particulier. Sur ce plan-là, la filiation avec « Blueberry » est cohérente. Si les styles ne sont pas identiques, ils mènent tous les deux à un dépaysement intense. Le travail sur les couleurs en association avec Caroline Delabie participent activement à l’aridité qui abrite les personnages.

Undertaker1aIl est important que ces décors soient habités par un héros charismatique. Sur ce plan-là, Jonas répond aux attentes. Je pourrais critiquer le classicisme du personnage. Mais que demander de mieux qu’un brun ténébreux solitaire dont le passé semble hanté par des cadavres ? La petite particularité qui le caractérise est qu’il est croque-mort. Le moins que je puisse dire est qu’il dénote de l’idée que nous pouvions nous faire de la profession en lisant un album de « Lucky Luke ». Les interrogations qui accompagnent son trajet alimentent la curiosité. Cela participe à l’impatience de découvrir le prochain tome.

Pour que cet album soit une totale réussite, il ne lui manque plus qu’à posséder un scénario dense et captivant. La présence de Xavier Dorison est un gage de réussite dans ce domaine. Une nouvelle fois, il écrit une histoire prenante. La situation de départ est à la fois simple et originale. La mort orchestrée de Cusco est un point de départ permettant d’emprunter de nombreux chemins. Les différents protagonistes trouvent leur place dans l’intrigue par leur lien avec le défunt. Le suspense monte crescendo et atteint un pic d’intensité au cours des dernières planches.

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La conclusion de cet opus n’éveille qu’une envie, celle de connaître la suite. Il faut attendre le vingt-sept novembre prochain la parution du prochain tome intitulé La danse des vautours. Mais cela est une autre histoire…

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note5

 

Le guide du mauvais père, T1

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Titre : Le guide du mauvais père, T1
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Janvier 2013


Guy Delisle est un auteur canadien qui s’est fait connaître dans le petit monde de la bande-dessinée par ses récits de voyage dans des pays tous plus intéressants les uns que les autres. Il a atteint la consécration avec « Chroniques de Jérusalem », auréolé d’un Fauve d’Or au Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême en 2012. Fort de cette reconnaissance, il décide alors de mettre en pause ses récits de voyages pour proposer « Le guide du mauvais père », un ouvrage autobiographique bien plus léger. Le tout paraît chez Shampooing, dans un format manga. Cela pèse quand même 190 pages pour une dizaine d’euros.

Ce qui marque d’emblée est l’aspect bloguesque de l’ensemble. On est dans la pure anecdote père/enfant dessiné avec un trait simple et sans fioritures. Ainsi, les « cases » sont nombreuses, les blancs importants. Tout se passe donc essentiellement dans le dialogue (et les silences qui en font partie). Le tout en lien avec son fils (l’aîné) et sa fille (plus jeune).

Un auteur attendu au tournant

J’avoue que j’attendais un peu Delisle au tournant. Ses livres ayant une part d’intérêt non-négligeable liée au côté documentaire, j’étais un peu curieux de voir ce que pouvait donner un ouvrage purement humoristique. Force est de constater que c’est plutôt réussi. Même si le thème du père indigne et cynique n’est pas nouveau, l’auteur possède un vrai talent dans les réparties et les situations. Quant à savoir où est la part de vrai là-dedans… Les anecdotes font donc mouche, les chutes sont drôles et, chose à signaler, les dialogues aussi. Les situations sont souvent assez longues, même si le format du livre donne des impressions de longueur un peu biaisées.

Cependant, force est de constater que le livre se lit un peu vite, et ce malgré les 190 pages. Le dessin très simple, les nombreux silences, le fait qu’il n’y ait en moyenne que deux dessins par page donnent un rythme de lecture bien trop soutenu. Et la frustration guette à la fin de l’ouvrage. Pas étonnant qu’un tome deux soit sorti depuis. On atteint un peu la limite de ces livres typés blog. En recueil, ce n’est pas forcément toujours adapté. Le même sentiment m’avait touché lorsque j’avais découvert les recueils de Bastien Vivès dans la même collection. Certes, chaque livre n’est pas bien cher, mais l’ensemble est excessif.

Au final, ce « Guide du mauvais père » montre que Guy Delisle est tout à fait capable de séduire sans le background d’un pays exotique. Son humour fait mouche et la lecture est un vrai plaisir. Cependant, à 10 euros le bouquin, vous risquez de rester un peu sur votre faim à la fermeture de l’ouvrage. A vous de voir.

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