Zaï zaï zaï zaï

ZaiZaiZaiZai


Titre : Zaï zaï zaï zaï
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabcaro
Parution : Mai 2015


Je suis un grand fan de Fabcaro. Capable d’apprécier autant ses livres d’autodérision que ses strips ou encore ses ouvrages expérimentaux, je fus en joie en voyant un nouveau bouquin sortir, intitulé « Zaï zaï zaï zaï ». Un road-movie paraît-il… Devant les bonnes critiques unanimes et son prix au festival Quai des Bulles, je me le suis procuré, prêt à apprécier cet ouvrage. Le tout est paru chez 6 pieds sous terre pour une soixantaine de pages.

« Zaï zaï zaï zaï » est une auto-fiction. On retrouve Fabcaro au supermarché. Au moment de payer, il s’aperçoit qu’il n’a pas sa carte de fidélité. Commence alors une cavale rocambolesque…

Une cavale d’un nouveau genre.

ZaiZaiZaiZai3Si ce livre est assez différent formellement des autres ouvrages de Fabcaro, il en reprend pourtant toutes les caractéristiques : l’obsession du supermarché, le fonctionnement en strips, l’absurde, l’auto-dérision, le comique de répétition… Fabcaro fusionne le tout dans une aventure complètement absurde. Ainsi, chaque page propose un gag qui fait avancer l’histoire. Le côté extrêmement absurde ferait presque pencher la balance vers l’idée d’un ouvrage expérimental. Mais l’humour développé est grand public, pour peu qu’on soit ouvert aux incohérences voulues du récit. Si voir quelqu’un menacer un vigile avec un poireau ne vous fait pas sourire, vous pouvez passer votre chemin.

La cavale est bien évidemment un prétexte pour parler de tout et de rien. On retrouve  des gags sur l’auteur en lui-même, sur les supermarchés, sur la police, sur les journalistes… L’histoire est ainsi aussi décousue qu’elle est absurde. Et ce, jusqu’à un épilogue réussi. Et si, vu l’humour proposé, on accroche plus ou moins aux situations, on sourit souvent et on rit même de bon cœur devant certains gags.

Au-delà de la qualité intrinsèque de l’ouvrage (et de savoir s’il est drôle ou non), force est de constater que Fabcaro est un auteur qui possède une véritable patte en tant que scénariste. Quand on accroche à son humour, difficile de s’en détacher. On est loin d’un humour formaté et déjà entendu.

Concernant le dessin, Fabcaro délaisse son dessin humoristique pour un trait à la fois plus réaliste et encore plus relâché. Cela donne à son road movie une apparence de sérieux qui tranche encore plus avec l’absurde de l’histoire. Le choix est clairement payant. Fabcaro fait la part belle aux répétitions dans ses pages, mettant l’accent sur les dialogues. Le trait est relevé par une bichromie à la teinte jaune/verte un peu déstabilisante (et honnêtement assez moche). La teinte mise à part, la colorisation donne du volume au trait et reste pertinente.

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« Zaï zaï zaï zaï » est un beau condensé du savoir faire de Fabcaro. Il n’est pas rare de rire devant les péripéties de ce héros du quotidien. Rien que pour cela, l’ouvrage est réussi. Mais quand il faut parler d’autodérision et tacler les angoisses du quotidien franchouillard (karaoké et carte de fidélité de supermarché en tête), il reste l’un des auteurs les plus performants.

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note4

Z comme Don Diego, T2 : La loi du marché

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Titre : Z comme Don Diego
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabrice Erre
Parution : Octobre 2012


Zorro est le héros de mon enfance. Je me rappelle des bons moments passés avec mes parents à regarder les aventures du célèbre justicier masqué. J’avais donc jaugé avec curiosité l’apparition du premier tome d’une nouvelle série intitulée « Z comme don Diego ». La découverte s’était avérée drôle et sympathique. C’est donc en confiance que je me suis offert l’opus suivant paru au mois d’octobre. Il s’intitule « La loi du marché » et nous présente un Zorro bardé de sponsors tel un pilote de Formule 1. Son père, le sergent Garcia, la señorita Sexoualidad ou encore Bernardo l’accompagnent au second plan.

Au-delà de la présence du célèbre Zorro, cet ouvrage possédait un autre atout évident lors de notre première rencontre. Cet aspect était la présence de Fabcaro sur la couverture. J’ai découvert ce scénariste par « Jean-Louis et son encyclopédie » et « Steve Lumour ». Il faisait ici état de son talent à tourner en dérision des personnages de « loser ». Il était donc curieux de voir exploiter le mythe de Zorro dans cet esprit-là. Le premier épisode avait répondu aux attentes, j’en espérais autant du second.

Un Don Diego opposé au héros télévisuel qu’il représente.

On retrouvait donc avec plaisir ce Don Diego maladroit et à l’opposé du charismatique héros télévisuel qu’il représente. On a du mal l’imaginer sauver qui que ce soit tant il a déjà du mal à garder son identité secrète. Nombre sont les gags à se construire sur cette dimension-là. Le justicier pourrait être démasqué des dizaines de fois. Mais ce cher sergent Garcia ne vaut pas mieux que lui. On rit avec bon cœur de la bêtise de tout ce beau monde. Il va sans dire que Don Diego ne se révèle dans ses tentatives de séduction. Son amour et sa bonne volonté ne sont pas reconnus par la señorita Sexoualidad qui pourtant ne brille ni par ses charmes ni par sa classe. Les auteurs arrivent à offrir de nombreux gags sur ce thème sans pour autant se répéter.

Afin d’éviter le côté routinier de ce type de série, Fabcaro décide d’intégrer un nouveau personnage qui apparaît anachronique avec l’univers de Zorro. Il s’agit de Wolverino. La parenté de ce dernier avec le héros des X-Men est évidente. Apparait donc un combat digne des geeks : Zorro contre Wolverino. Rapidement, le choc apparait déséquilibré tant la maladresse de Don Diego est battue à plate couture par l’efficacité de son concurrent aux lames acérées. On découvre donc le héros chercher un emploi plus classique tant sa dimension de justicier a pris du plomb dans l’aile. Cet aspect génère une nouvelle corde l’arc du scénariste et génère ainsi d’autres gags qui pour la plupart nous ravissent. L’album nous présente environ quatre-vingts strips dont la grande majorité fait mouche. On sourit souvent, on rigole de temps à autre. Bref, cet album est un condensé de bonne humeur qui chatouille sans effort nos zygomatiques.

Les dessins de Fabrice Erre collent parfaitement à l’esprit déluré du propos. Les traits tout en rondeur se prêtent au côté « cartoon » des situations. Les expressions graphiques des personnages sont caricaturales et excessives et participent ainsi au plaisir de la lecture. Les pages dégagent une bonne humeur évidente. On apprécie de suivre les courses effrénées du justicier dans ce village du Nouveau Mexique. Les décors sont suffisamment travaillés pour que le dépaysement soit réussi.

En conclusion, « La loi du marché » est un ouvrage des plus honnêtes. Rares sont les albums humoristiques à s’approprier de manière aussi réussie un univers existant. Rien n’est bâclé. Les auteurs montrent une affection certaine pour Zorro et lui rendent un bel hommage en le parodiant ainsi. Les rumeurs laissent entendre que cette série ne connaitra pas de troisième opus par la faute de nombre de ventes décevant. J’en suis triste. Mais cela ne m’empêche d’espérer que ce cher don Diego aura d’autres occasions de nous faire rire. Mais cela est une autre histoire… 

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note3

Astérix, T35 : Astérix chez les Pictes

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Titre : Astérix, T35 : Astérix chez les Pictes
Scénariste : Jean-Yves Ferri
Dessinateur : Didier Conrad
Parution : Octobre 2013


Cette année marquera une date importante de la bande dessinée française. C’est en effet la première fois que les aventures des deux plus célèbres gaulois ne sont nés ni de la plume de René Goscinny ni de celle d’Albert Uderzo. C’est à Jean-Yves Ferri et Didier Conrad qu’a été confiée la mission d’offrir un second souffle à des mythes du neuvième art. Tout le monde était quasiment d’accord sur le fait que la magie de la série avait disparu avec son scénariste original. Son acolyte n’a jamais eu le talent d’écriture suffisant pour faire perdurer la qualité des premiers opus. La parution de Astérix chez les Pictes le vingt-quatre octobre dernier générait donc une curiosité certaine. D’ailleurs, cela a fait que je me suis offert mon premier album de la saga depuis des années.

Le site Bd Gest’ propose le résumé suivant : « Les Pictes ? Oui, les Pictes ! Ces peuples de l’ancienne Ecosse, redoutables guerriers aux multiples clans, dont le nom, donné par les Romains, signifie littéralement « les hommes peints ». Astérix chez les Pictes promet donc un voyage épique vers une contrée riche de traditions, à la découverte d’un peuple dont les différences culturelles se traduiront en gags et jeux de mots mémorables. » 

J’associe le nom de Jean-Yves Ferri à la série Le retour à la terre dont les différents épisodes m’ont procuré moult fous rires. Je trouvais donc ce choix judicieux de lui confier le scénario de ce nouvel album. La qualité de son écriture, son sens de la répartie et la drôlerie de ses dialogues me laisser croire en sa capacité à s’inscrire dans la lignée de son illustre prédécesseur, René Goscinny. Par contre, je ne connaissais le travail de Conrad que de réputation. Je n’avais jusqu’alors jamais eu l’occasion de le découvrir. Néanmoins, le fait qu’Uderzo soit encore à ses côtés garantissait une continuité dans le dessin.

Jouer sur les coutumes locales

Les auteurs ont choisi un squelette narratif classique pour leur grande première. En effet, offrir un voyage à Astérix et Obélix dans une contrée étrangère n’est pas original. Néanmoins, ce n’est pas une mauvaise idée. Les pérégrinations de nos deux gaulois en Hispanie, Corse, Belgique, Helvétie ou en Grande-Bretagne font partie de mes préférées. Cette option permet de jouer sur les coutumes locales. Les Pictes étant les écossais actuels, on pouvait supposer que le kilt ou encore le monstre du Loch Ness seraient de sortie. La lecture offre de bonnes surprises dans le domaine. Certains clichés des autochtones sont exploités. Je me suis laissé porter malgré le côté répétitif de certains d’entre eux. Certaines blagues font sourire même si on ne retrouve pas la densité des meilleurs épisodes de la série. Par contre, je trouve plutôt bien construite la relation toujours décalée entre Obélix et les us et coutumes étrangères.

L’histoire ne dénote pas non plus par son originalité. Un Picte exilé se doit d’aller reconquérir sa belle pour éviter la prise de pouvoir d’un chef manipulateur et vil. Les événements s’enchainent à un rythme régulier et toutes les étapes prévisibles sont respectées. A aucun moment, je n’ai été pris par surprise. Les auteurs naviguent sur des rails bien tracés. Ils ne cherchent pas à révolutionner le genre. Au contraire, ils se montrent très respectueux de l’institution. Bon nombre de scènes rappellent certains moments vécus en lisant les albums précédents. Je ne leur reproche pas du tout cette démarche dans le sens où il me paraissait impossible de révolutionner le genre.

Le nouveau duo était également attendu sur ses textes. Goscinny est célèbre pour ses jeux de mots et ses calembours. Ferri fait de gros efforts sur ce plan-là. Rares sont les pages sans second degré. Certains sont plus réussis que d’autres mais le bilan reste très positif par rapport aux récentes parutions de la série. Ma deuxième lecture m’a d’ailleurs permis de profiter davantage de cet aspect. Néanmoins, les blagues de cet opus font davantage sourire que rire. C’est toujours mieux que les derniers albums rédigés par Uderzo qui en devenaient pathétiques dans le domaine.

Au final, Astérix chez les Pictes réussit correctement sa mission. Il avait pour objectif d’arrêter la terrible chute opérée depuis une petite dizaine d’album. Il est atteint. Néanmoins, il faudra attendre le prochain opus pour savoir si Ferri et Conrad peuvent redonner entièrement ses lettres de noblesse à ce mastodonte du neuvième art. C’est tout le mal que je leur souhaite…

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Astérix, T36 : Le papyrus de César

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Titre : Astérix, T36 : Le papyrus de César
Scénariste : Jean-Yves Ferri
Dessinateur : Didier Conrad
Parution : Octobre 2015


Même si aucun de ses deux créateurs n’est à l’origine de son écriture, le nouveau tome des aventures d’Astérix reste un événement majeur du neuvième art. Le dernier date du mois dernier et s’intitule Le Papyrus de César. Le binôme formé de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad a été une nouvelle fois missionné pour faire naître de leur imagination les nouvelles aventures des gaulois les plus célèbres du monde. Les deux auteurs avaient su offrir une suite correcte et respectueuse à l’œuvre de René Goscinny et Albert Uderzo avec l’épisode précédent Astérix chez les Pictes. Je fais partie des lecteurs ayant trouvé plutôt apprécié cet album historique. Sans atteindre la qualité des premiers opus, il marquait un progrès énorme par rapport aux derniers ouvrages nés de la seule plume d’Uderzo. J’espérais donc que ce trente-sixième acte prolonge cette évolution positive.

Le papyrus qui donne son titre au livre n’est pas le moindre des écrits : il s’agit d’un chapitre de la célèbre Guerre des Gaules contée par César. Ce chapitre n’est pas n’importe lequel : il s’agit de celui qui évoque les irréductibles gaulois et la partie de la Gaule qui n’est pas dominée par Rome. Le conseiller de l’empereur lui propose de faire disparaître ces pages permettant ainsi à l’Histoire de retenir que César a conquis toute la Gaule. Le souci apparait lorsqu’un colporteur gaulois met la main sur une mouture complète du papyrus et décide de rendre publique cette manipulation de la réalité…

Le journalisme version Jules César

Asterix36aJ’ai trouvé l’idée de départ originale et intéressante. Les enjeux apparaissent réels et créent un lien évident avec notre époque contemporaine. Ne dit-on pas que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs ? De plus, cela permet aux auteurs d’intégrer le concept de liberté de la presse dans leur histoire. Tous ces thèmes sont plutôt bien exploités tout au long de la narration. Sans jamais tomber dans un excès regrettable, Jean-Yves Ferri arrive à faire rire avec ses vannes évoquant l’univers du journalisme.

Concernant le méchant, il prend ici les traits de Bonus Promoplus, conseiller et éditeur de l’empereur. L’éthique n’est pas sa qualité première et il se trouve bien embêté lorsqu’il apprend la disparition du papyrus. Il doit mettre la main dessus tout en empêchant César d’être informé de la situation. Il reprend beaucoup de caractéristiques des traditionnels adversaires des héros irréductibles. Sa personnalité s’inscrit dans la tradition de la série et ce n’est pas désagréable pour le lecteur. J’ai pris beaucoup de plaisir à rire de ses mésaventures et sa nervosité permanente. Son travail avec les légionnaires de Babaorum. Découvrir les soldats blasés par les irréductibles gaulois devant ce petit excité fait aisément sourire.

Evidemment, l’attrait réside aussi de retrouver nos gaulois adorés. Les auteurs s’en approprient les codes avec talent. Cétautomatix, Ordralphabetix, Agecanonix, Abraracourcix, Bonemine ou Assurancetourix jouent leur rôle à merveille. Ils ont chacun leur petit fil conducteur personnel qui densifie la trame général. Concernant Obélix, il est nouvelle fois la grande star de l’album avec sa volonté ponctuelle d’éviter les conflits et les sangliers. Bref, les auteurs offrent un album qui respecte les codes de la série avec talent. Les dessins de Didier Conrad sont dans une lignée parfait d’Albert Uderzo.

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Pour conclure, je trouve que Le Papyrus de César est un cru honnête. Il n’a aucun mal à accompagner les précédents épisodes de la saga. Je le trouve plus réussi qu’Astérix chez les Pictes. Cela me rend optimiste. Les auteurs semblent plus à l’aise dans ce costume prestigieux. Surtout, j’ai bon espoir que Astérix retrouve les lettres de noblesse que certains épisodes récents avaient tendance à effriter sérieusement…

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note3

Narcisse, T2 : Terra Nullius

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Titre : Narcisse, T2 : Terra Nullius
Scénariste : Chanouga
Dessinateur : Chanouga
Parution : Septembre 2015


Le premier tome de « Narcisse » m’avait un peu laissé sur ma fin. Malgré un dessin de haut niveau, la narration souffrait d’un rythme mal maîtrisé et d’une histoire qui ne se lançait vraiment qu’en toute fin d’album. Avec ce deuxième tome, Chanouga entre dans le cœur de son ouvrage : l’expérience d’un naufragé sur une île de cannibales. Le tout est publié chez Paquet pour soixante pages.

Narcisse, jeune mousse embarqué pour l’Australie, est échoué sur une île où sévissent des cannibales. Une expédition cherche à lui venir en aide (et à récupérer leur main d’œuvre chinoise), mais ils le considèrent comme mort. Pourtant, Narcisse va survivre et vivre parmi les autochtones pendant de nombreuses années.

Une vie parmi les cannibales.

Narcisse2aAprès un premier tome qui s’éternisait sur les premières expériences de Narcisse, on entre ici dans le vif du sujet. « Terra Nullius » s’intéresse exclusivement à la vie du jeune homme sur l’île. Ses débuts difficiles (et contestés) parmi la tribu, jusqu’à son départ. Le lieu unique permet à Chanouga de mieux maîtriser sa narration. En cela, la série s’améliore. Mais on sent l’auteur encore très attaché à ne relater que les faits dont il a connaissance. L’histoire reste parcellaire et on aborde plusieurs années en un seul tome. Là encore, certains événements restent peu traités en terme psychologique (on pense notamment au cannibalisme).

L’histoire prend un tour plus spirituel avec ce deuxième tome. C’est plutôt une réussite, Chanouga maîtrisant parfaitement ce genre de sujet et le mettant en image avec maestria. Car au-delà de l’esthétisme des pages de l’auteur, c’est son découpage qui est marquant. Ne cherchant jamais la facilité, il sait produire des planches marquantes.

Difficile de ne pas parler du dessin de Chanouga. Son choix d’absence d’encrage met en valeur son crayonné (dont on voit les traits de construction). Sa gestion des couleurs et des lumières est un modèle du genre. Son bleu-vert couplé à l’orange des cheveux de Narcisse fait des merveilles. Pleinement à l’aise avec la mer et la végétation luxuriante de l’île, on ne peut que s’extasier devant son dessin.

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Si les choix de narration et de scénario restent discutables, ce deuxième tome est plus réussi que le premier. Doté d’une unité de lieu (à défaut de temps), on reste un peu étonné de voir Narcisse si peu expressif face aux événements. Mais sans doute est-ce aussi l’originalité de cet ouvrage. Le jeune homme adopte pleinement la vie des autochtones et laisse véritablement de côté son ancienne vie. C’est cela qui perturbe le lecteur. À voir comment Chanouga clôturera cette série avec le troisième et dernier tome traitant du retour de Narcisse à la vie occidentale.

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note3

Narcisse, T1 : Mémoires d’outre-tombe

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Titre : Narcisse, T1 : Mémoires d’outre-tombe
Scénariste : Chanouga
Dessinateur : Chanouga
Parution : Avril 2014


J’avais été subjugué par le premier album de Chanouga. Son univers maritime et onirique m’avait beaucoup plus, soutenu par un graphisme personnel parfaitement adapté au sujet. Il revient cette fois avec une biographie sous forme de série, « Narcisse ». Prévue en trois tomes de 60 pages, elles font entre l’auteur dans un travail bien plus classique et réaliste. Le tout est publié chez Paquet.

Au rayon des constances, Chanouga reste dans l’univers de la mer. Il raconte l’histoire de Narcisse, un jeune garçon qui ressent l’appel de la mer. Contre l’avis de ses parents, il s’embarque comme mousse. Et de bateaux en bateaux, il finit par partir pour l’Australie. Mais c’est un naufrage qui l’attend…

Le difficile exercice de la biographie.

Narcisse1aSi la série doit avant tout parler de l’expérience de naufragé de Narcisse (vu les notes de fin d’ouvrage), ce premier tome s’attarde sur le personnage. Comment en est-il arrivé là, pourquoi veut-il naviguer… Tout cela est très classique et, honnêtement, peu passionnant. Tout va trop vite (ou pas assez, c’est selon) et la narration manque de fluidité. Quand on comprend à la fin du livre qu’on a affaire à une biographie, on comprend mieux le rythme un peu hâché du l’ouvrage. Chanouga manque un peu d’expérience pour le coup, n’arrivant pas à se détacher du sujet pour faire les coupes nécessaires dans la réalité ou, à l’inverse, pour broder et remplir les inconnues.

Malgré tout, l’histoire touche à la mer et cela ne laisse pas indifférent. Narcisse vieillit au long de l’ouvrage, devenant un jeune homme. Si les faits relatés sont suffisamment classiques, la montée en tension est réelle et la dernière partie, concernant le naufrage, ne laisse pas indifférent.

En revanche, le dessin de Chanouga, immédiatement reconnaissable, est une pure merveille. Même s’il est plus puissant dans les représentations abstraites et fantastiques que dans le réalisme pur, son trait non-encré est splendide et admirablement mis en couleur (avec un contraste de couleurs froides et chaudes maîtrisé). Certaines cases, certaines pages, sont particulièrement marquantes et nous laissent sans voix.

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Ce « Narcisse », bien plus terre-à-terre que « De profundis », nous laisse un peu sur notre faim. On a l’impression d’une narration et d’un rythme mal maîtrisé. Un peu de concision d’un côté, afin de s’attarder sur certains points ailleurs aurait été les bienvenus. Reste un graphisme enivrants qui sait nous faire oublier, un peu, ces écueils.

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note3

Kililana song, T2

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Titre : Kililana song, T2
Scénariste : Benjamin Flao
Dessinateur : Benjamin Flao
Parution : Octobre 2013


Le premier tome de  Kililana song » m’avait laissé un sentiment mitigé. J’avais été capté par l’ambiance, le dessin et cette chronique de la vie sur un archipel du Kenya. Mais le fil rouge, le liant de l’ensemble me semblait encore bien ténu. Ça tombait bien, la fin de la première partie commençait à relier les histoires entre elles. L’occasion d’un final réussi ? La seconde partie clôt le dyptique en 130 nouvelles pages. Le tout est publié chez Futuropolis et réalisé par Benjamin Flao.

Le personnage principal est Naïm. Embarqué sur une embarcation de fortune à son insu par un vieil homme, il va être mis devant les croyances ancestrales de la région. D’autres intrigues se développent : un navigateur, un expatrié drogué, un investisseur, une prostitué, un vieil homme drogué lui aussi, un frère bigot… Benjamin Flao n’est pas avare d’intrigues et de personnages, au point de diluer un peu l’intérêt. À multiplier les histoires, il nous perd dans les méandres de son scénario.

Un final un peu confus.

KililanaSong2aL’histoire de Naïm, plutôt drôle, prend ici un tour fantastique. Beaucoup de discours et beaucoup moins d’action. Sur terre, les intrigues avancent plus ou moins sans que l’on sache trop vers où l’on va. Et à la fermeture de l’ouvrage, on constate que certaines histoires ne sont pas vraiment refermées et disposaient d’un intérêt finalement limité. L’auteur s’est clairement éparpillé. Il faut dire qu’avec 250 pages au compteur, il y avait de quoi faire. Mais en se concentrant sur son sujet, l’ouvrage aurait certainement été plus lisible. Là, on a presque l’impression de suivre des histoires parallèles sans véritable lien entre elles.

Reste une chronique sociale particulièrement dépaysante. On retrouve une ville de pêcheur avec tous les aléas de ce genre d’endroits. Alors que le lieu ne paraissait déjà pas folichon, voilà que l’on parle de l’industrialiser. Benjamin Flao ajoute sur le tard une veine écologique à son ouvrage.

Si le dessin était indéniablement le point fort de la première partie, c’est toujours le cas. Plus encore, Benjamin Flao varie les techniques pour donner un résultat plus diversifié selon les situations. Reste la lumière, la chaleur, que l’on ressent sur les peaux des personnages. Sa représentation des épisodes fantastiques est remarquable, de même que celle de la tempête qui sévit dans l’ouvrage. Du grand travail.

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« Kililana song » me laisse un goût d’inachevé. La chronique du lieu et l’atmosphère qui s’en dégage est vraiment remarquable, mais le fil rouge manque d’intensité et de clarté. Certaines intrigues finissent trop rapidement (voir restent des impasses) et l’épilogue est un peu tiré par les cheveux. Une œuvre symptomatique de l’époque : beaucoup de pagination et une difficulté à la concision. Dommage.

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note3

Kililana song, T1

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Titre : Kililana song, T1
Scénariste : Benjamin Flao
Dessinateur : Benjamin Flao
Parution : Mars 2012


« Kililana song », première partie, a été auréolé du prix Ouest-France au festival Quai des Bulles de Saint Malo. Une distinction qui donne suffisamment envie de s’y intéresser ! De plus, le dessin, tout en aquarelles et en encres de l’auteur Benjamin Flao, flatte la rétine du lecteur. Alors qu’en est-il de ce premier opus ? Le tout est publié chez Futuropolis pour plus de 120 pages de lecture.

Nous sommes sur une ville côtière du Kenya. Ici se mêlent pêcheurs, navigateurs, expatriés et touristes. Au milieu de cet univers, Naïm, 11 ans, déambule parmi ceux là, élevé par sa tante et pourchassé par son grand frère. Ce dernier veut qu’il aille à l’école et devienne un bon musulman, ce dont le petit Kenyan n’a que faire. Au fil de ses pérégrinations, Naïm nous décrit ainsi cet univers particulier et forcément dépaysant pour un lecteur occidental.

Un carnet de voyage devenu fiction.

KililanaSong1bAu-delà de l’histoire de Naïm, d’autres histoires viennent se greffer. Ainsi, un arbre géant (et magique), semble être le point crucial de l’histoire (et pourtant à peine abordé). De même, un navigateur perdu n’a pas encore trouvé son rôle. C’est un peu le point faible du bouquin. L’auteur enchevêtre quelques histoires mais après 120 pages, tous les liens ne sont pas encore clairs. Ainsi, le début de lecture est poussif et un peu perturbant, la narration restant évasive. Ainsi, c’est avant tout Naïm et ses rencontres qui nous transportent pour le moment.

Benjamin Flao se repose donc sur une recette bien connue : des personnages hauts en couleur, des rencontres… En cela, on sent que le livre est issu de ses propres voyages (ce qu’il annonce en début de livre). Dommage que les situations se répètent un peu (notamment les poursuites du grand frère), si bien que le livre dilue l’intérêt et l’attention du lecteur. Un peu de concision n’aurait pas fait perdre grand-chose. La fin de l’ouvrage laisse présager de bonnes surprises, il faudra donc attendre la suite pour vraiment savoir si le fil rouge de l’ensemble est pertinent.

Au niveau du dessin, difficile de ne pas être séduit par le trait de Benjamin Flao. Si certaines planches sont parfois un peu confuse, ses choix de cadrage sont toujours originaux et travaillés. Ses couleurs subliment l’ensemble et nous font vraiment ressentir cette Afrique côtière, avec la mer, les bâteaux et la lumière omniprésente. C’est du beau travail, dynamique comme du croquis de voyage et néanmoins d’une précision exemplaire.

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Difficile de ne pas être conquis par ce « Kililana song ». Dépaysant et pourvu d’un dessin virtuose, on a envie d’y adhérer pleinement. Mais le fil rouge peine un peu à se mettre en place et les longueurs de l’ouvrage nous font tiquer. Des espoirs à confirmer avec la deuxième partie !

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note3

Le vent dans les saules, T1 : Le bois sauvage

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Titre : Le vent dans les saules, T1 : Le bois sauvage
Scénariste : Michel Plessix
Dessinateur : Michel Plessix
Parution : Octobre 1996


J’ai découvert un jour « Le vent dans les saules » dans la demeure familiale. Depuis, ma vie en a été changée… Adaptée du roman jeunesse éponyme de Kenneth Grahame (que je n’ai jamais lu), cette série scénarisée et dessinée par Michel Plessix, dont je ne connaissais alors pas le travail. Parue chez Delcourt, cette série a vu quatre tomes sortir, plus cinq autres qui lui font suite. C’est avec « Le bois sauvage » que l’histoire commence.

« Le vent dans les saules » narre l’histoire d’animaux de la forêt. Il y a Rat, le poète, Taupe, l’ingénu, Crapaud le baron local, Blaireau le taciturne… Tout cela se passe dans une ambiance paisible au bord de la rivière. Paisible ? Non ! Crapaud et ses lubies entraîne ce monde dans des aventures pas piquées des vers !

La narration du « Vent dans les saules » est articulée selon des chapitres. C’est ici trois chapitres d’une dizaine de pages qui nous sont proposés, soit un total de seulement trente pages. Pourtant, à la fermeture de l’ouvrage, l n’y a aucun risque de se sentir floué par la faible pagination ! Chaque chapitre raconte une anecdote, qui possède sa propre indépendance. Mais évident, au fur et à mesure, les personnages se dévoilent. Mais quel plaisir de voir Rat dire qu’il présentera Blaireau prochainement et de voir ce personnage apparaître au chapitre suivant.

Une atmosphère douce et poétique

La force du « Vent dans les saules » est de présenter une véritable aventure tout en semblant être purement contemplatif. Ainsi, nombreuses sont les cases muettes, uniquement accompagnées par la narration complice de l’auteur. Pas question de plonger dans les péripéties, tout cela se fait tranquillement et sereinement. On se sent happé par l’atmosphère de l’ouvrage ou personne ne va travailler et où l’on écrit des vers au bord de la rivière…

Cette atmosphère douce et poétique est magnifiée par le dessin splendide (virtuose ?) de Michel Plessix. Ses animaux sont plus vrais que nature. Quant à cette fameuse nature, elle est merveilleusement retranscrite, les couleurs à l’aquarelle lui rendant particulièrement honneur. De plus, l’auteur varie les vues, du plan large au gros plan avec le même talent. Et malgré cette envie de contempler qui nous prend subitement, les personnages gardent un dynamisme certain. Plus qu’un coup de cœur, le dessin de Plessix est ici une révélation. Et si ce n’était pas suffisant, l’auteur s’amuse à ajouter nombre de détails dans ses cases. Invisibles au premier abord, il donne à la seconde lecture un souffle d’autant plus fort, l’auteur créant presque un jeu, du moins une complicité, avec le lecteur.

Ce premier tome du « Vent dans les saules » est déjà une œuvre majeure. Dessin, univers, narration et personnages forment un tout remarquablement cohérent et d’une poésie incroyable. Ne vous fiez pas à l’esprit « petits animaux » qui donnent l’impression d’une bande-dessinée pour enfant. Mettre un pied au bord de la rivière avec Michel Plessix, c’est ne plus vouloir la quitter. Un chef d’œuvre !

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note5

Le feul

LeFeul


Titre : Le feul
T1 : Valnes
T2 : Les Brohms
T3 : L’héritage
Scénariste : Jean-Charles Gaudin
Dessinateur : Frédéric Peynet
Parutions : Avril 2005 – Janvier 2007 – Janvier 2009


On m’avait offert le premier tome du « Feul ». À l’époque, je me méfie des séries de fantasy aux démarrages sympathiques qui s’étiolent au fur et à mesure et ne donne pas suite à la série. Quelques occasions dénichées plus tard, me voilà avec les trois tomes en ma possession. C’est donc une série relativement courte (de nos jours) qui nous est proposée par Peynet (au scénario) et Gaudin (au dessin). Le tout est publié chez Soleil.

Des tribus, des coutumes, des conflits…

LeFeul2Dans un village reculé, les gens meurent de plus en plus à cause d’une maladie qu’ils baptisent le feul. Il semble que le mal vienne de la rivière. Et quand ils s’aperçoivent que la tribu en amont est atteinte du même mal, ils décident de s’unir et de remonter la rivière pour trouver l’origine du mal. Une peuplade empoisonnerait-elle à dessein le cours d’eau ?

Si le début de la série laisse présager un univers de fantasy assez classique, ce n’est pas vraiment le cas. Ainsi, si chaque tribu est différente physiquement, ce sont tous des humanoïdes. Et si le monde est peuplé de bestioles et de monstres effrayants, la magie est complètement absente. Ainsi, c’est avant tout un univers de tribus qui nous est proposé. Le monde n’est pas industrialisé et les gens vivent dans des huttes.

L’histoire insiste donc sur les différences de culture des tribus. Cela passe par les croyances, la sexualité ou la façon d’aborder les problèmes. Cet aspect est très réussi et développé, les auteurs cherchant à aborder le thème de la tolérance envers la différence à travers de nombreux dialogues entre les protagonistes. Ainsi, « Le feul » reprend un classique de la fantasy : un groupe de peuplades différentes qui doivent cohabiter.

La grande force du « Feul » tient dans sa case finale qui donne tout le sens à l’ouvrage. C’est particulièrement remarquable et j’ai mis du temps à m’en remettre. En cela, la série est singulière et le traitement par les auteurs incroyable. À la fermeture du troisième tome, il nous prend un irrésistible besoin de reprendre l’ensemble…

Le dessin assuré par Gaudin est de grande qualité. De nature classique, il propose un découpage toujours bien mené qui associe longues discussions et scènes d’action. La narration à la première personne, qui s’intercale dans les moments plus calmes, apporte un plus et permet à Gaudin de laisser parler son dessin. Et la couleur directe, aux tons très doux, sort des codes actuels du genre qui vise plutôt les couleurs vives et tape-à-l’œil. Cela donne un petit côté rétro pas désagréable aux ouvrages. Et vu le thème traité, c’est parfaitement adapté.

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« Le feul » est une série qui se lit aisément, avec des personnages forts et des tribus aux coutumes bien développés. Alors que l’on prend l’acceptation de la différence comme thème principal, les auteurs nous surprennent par une fin qui ajoute une couche supplémentaire de narration. Une belle série en trois tomes, bien pensée et bien réalisée. Du beau travail, à la fois classique et original.

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