Les petits ruisseaux – Pascal Rabaté

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Titre : Les petits ruisseaux
Scénariste : Pascal Rabaté
Dessinateur : Pascal Rabaté
Parution : Mai 2006


Peut-on encore profiter de la vie lorsque l’on est une personne âgée ? C’est la question que va se poser Émile à la mort de son meilleur ami et compagnon de pêche Edmond. Ce dernier, avant de passer l’arme à gauche, lui a montré une nouvelle facette : il aime peindre des nus et fait des rencontres par l’intermédiaire d’une agence matrimoniale. Car ce n’est pas parce qu’il est veuf qu’il doit cesser de vivre. Émile se pose alors la question de sa propre existence. Que veut-il faire des années qui lui restent ? Publié chez Futuropolis, le tout pèse près de cent pages.

LesPetitsRuisseaux1Le livre est assez justement sous-titré « Sex, drug and rock’n roll » ! C’est un sujet peu abordé qui est traité ici avec Rabaté. Si on retrouve le contexte du village de campagne avec ses parties de pêche et son bistrot (avec ses habitués hauts en couleur), c’est bien de l’âge dont il est question. Comment assumer le désir lorsque l’on est veuf sans avoir l’impression de trahir celle qui fut sa femme ? Comment assumer le désir lorsqu’on se sent vieux et usé ? C’est avec beaucoup de délicatesse et d’humour que Rabaté traite le sujet. Il trouve un ton juste et agréable, jamais sentimentaliste. Il évite l’écueil de se moquer également, ce qui est souvent l’angle choisi pour parler des personnes âgées.

Le droit de vivre et de profiter.

Le livre repose donc entièrement sur Émile. Dès les premières pages, Edmond lui apporte une révélation : il a encore le droit de vivre et de profiter. Mais le chemin à cette acceptation n’est pas si évident. Émile fera des rencontres qui lui permettront d’évoluer. Rabaté maîtrise parfaitement sa narration et tout découle naturellement, sans excès et avec les quelques surprises qui émaillent le tout. Mais cela reste cohérent et le sentiment d’empathie pour Émile fonctionne à plein régime.

Le dessin est très agréable. Rabaté adopte un style nerveux, mais plein de douceur. Pas d’aplats noirs, juste des hachures pour les ombres. Les couleurs sont douces et mettent parfaitement en valeur le trait. Ce choix de dessin et de colorisation est parfaitement adapté à l’ouvrage, qui en est d’autant plus délicat.

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À la fois tendre, touchant et drôle, « Les petits ruisseaux » est une vraie réussite. Abordant un sujet souvent tabou, Rabaté s’en sort à merveille avec son personnage torturé par un désir qu’il avait oublié. Doté d’une galerie de personnages réussis, « Les petits ruisseaux » vous prend par tous les sentiments !

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Note : 16/20

La lune est blanche – Emmanuel Lepage & François Lepage

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Titre : La Lune est blanche
Scénariste : Emmanuel Lepage
Dessinateur : Emmanuel Lepage
Photographie : François Lepage
Parution : Septembre 2014


Après « Les îles de la désolation », il est proposé à Emmanuel Lepage de rédiger un livre sur l’Antarctique et la base Dumont d’Urville. Il intègre alors au projet avec son frère François, photographe de son état. Le projet est des plus excitants : les deux frères doivent participer au Raid, une expédition de ravitaillement de la base Concordia située en plein milieu du continent. C’est donc un documentaire à quatre mains qui nous est proposé, pour plus de 200 pages. Le tout est publié chez Futuropolis.

LaLuneEstBlanche2J’avais été séduit par le dessin magnifique de Lepage pour « Un printemps à Tchernobyl ». Je relance donc la machine avec cet ouvrage auréolé de critiques toutes plus enthousiasmantes les unes que les autres. Je retrouve ainsi le style de l’auteur : le récit est beaucoup centré sur lui-même (et son frère) et propose quelques explications historiques qui agrémente le reste. Beaucoup de contemplations, de descriptions de personnes. Tout cela un peu au détriment de l’aspect technique.

Un carnet de voyage plus qu’un documentaire.

Difficile de ne pas décrire ce qui m’a gêné sans spoiler un petit peu le tout. Le début est très long et parle avant tout de l’excitation des deux frères à l’idée de faire le raid. C’est finalement le fil rouge du livre : pourront-ils faire le raid ? Cet aspect hautement égocentrique m’a profondément gêné. Car pour pouvoir faire le raid, les auteurs n’hésitent pas à abandonner le but premier du livre : décrire la base Dumont d’Urville. Ainsi, je me suis senti spolié : le livre porte majoritairement sur le raid et le voyage en bateau. C’est très intéressant bien entendu, mais quand le raid se termine, le livre aussi. Quid de Concordia ? Du retour ? Rien ! D’ailleurs, un dossier en fin de livre expédie le tout avec quelques textes et des photos.

LaLuneEstBlanche1Passé cette déception, force est de constater que le livre est splendide. C’est certainement l’une de plus belles bande-dessinées que j’ai pu lire. Car au-delà de son talent graphique, Emmanuel Lepage sait aussi parfaitement gérer sa mise en page, inventive et variée. Je suis en revanche beaucoup plus dubitatif sur l’apport des photos de François Lepage, qui arrivent comme un cheveu sur la soupe et n’apporte rien de plus que ce que les dessins de son frère exprime. Ses textes sont intéressants, mais le travail à quatre mains m’a semblé peu pertinent. Après, il est difficile de mesurer l’impact de chacun dans le scénario et la construction de l’ouvrage.

Même si le livre souffre parfois de longueurs, on est happé du début jusqu’à la fin par cette histoire et ce voyage vers des terres si hostiles. Difficile de ne pas ressentir l’envie de découvrir tout cela par nous-mêmes et de s’intéresser au sujet de plus près. Emmanuel Lepage sait capter l’attention du lecteur.

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« La Lune est blanche » est un ouvrage comme on n’en retrouve peu. Abordant un sujet très particulier et doté d’images splendides, il ne laissera personne indifférent. Je regrette cependant que l’ouvrage soit avant tout un carnet de voyage, centré sur les auteurs. J’aurais préféré un ouvrage avec plus de recul.

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Note : 16/20

Une année au lycée – Fabrice Erre

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Titre : Une année au lycée
Scénariste : Fabrice Erre
Dessinateur : Fabrice Erre
Parution : Avril 2014


Fabrice Erre est dessinateur de bande-dessinée. Mais comme nombre de ses collègues, il possède un « vrai » métier lui permettant de vivre dignement : enseignant d’histoire-géographie en lycée. Forcément, la tentation de raconter son quotidien face aux élèves était trop tentant. Voilà qu’il nous propose un ouvrage autobiographique, « Une année au lycée ». Le tout est publié chez Dargaud et pèse pas moins de 153 pages !

L’auteur démarre donc l’année avec la fin des vacances et termine le tout avec le début des vacances. On retrouve donc les premiers contacts avec la classe jusqu’au bac. Fabrice Erre a l’avantage d’avoir des secondes, des terminales (qui préparent le bac) et d’être professeur principal. Cela permet de balayer un large spectre de situations. Dès le départ, l’auteur nous prévient : oui, tout est romancé (heureusement d’ailleurs). Chaque scène est donc un condensé de vécu, clairement concentré pour en améliorer l’aspect comique.

On sent le vécu !

Fabrice Erre joue la carte de l’autodérision dès le départ. Il se dessine bien plus vieux qu’il ne l’est et n’hésite pas à se montrer sous un jour peu reluisant. Et c’est là où la bande-dessinée est réussie. Erre est un professeur normal : aussi bien il peut avoir des fulgurances pour adapter son cours à ses élèves (et même faire preuve d’ouverture dans les discussions), aussi bien il merdouille bien par moments ! L’humour fonctionne très bien et il n’est pas rare de rire devant les gags et remarques lues. C’est là où « Une année au lycée » supplante des BDs comme « Les profs ». On sent le vécu, l’absurde des remarques, les situations qui dérapent…

L’auteur nous propose deux types de scènes. Les premières sont classiques et montrent le prof avec ses collègues ou les élèves. Les deuxièmes sont des purs délires où Erre fait des parallèles entre un univers (la guerre par exemple) et l’enseignement. Elles sont globalement aussi réussie et cela permet de rythmer l’album qui pourrait paraître répétitif si les scènes de classe s’enchaînaient méthodiquement.

Au niveau du dessin, c’est quand même un peu léger. Les délires sont plus travaillés graphiquement mais les scènes de classe sont peu ouvertes à l’expérimentation graphique. L’auteur se contente de dessiner les personnages, qu’il fait très expressifs. En soit, ce choix est pertinent car l’auteur se focalise sur les réactions et les dialogues, qui font l’essence d’une classe. Le tout est colorisé en bichromie (sauf des exceptions lors des délires de l’auteur).

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« Une année au lycée » est un ouvrage réussi. En utilisant parfaitement les absurdités du monde du lycée, Fabrice Erre lui donne de la force par son trait. Quand on voit la tête du prof, très satisfait de voir les élèves grévistes ne pas arriver à faire se calmer une classe, tout est dit ! Un bel ouvrage, forcément un peu réservé à ceux pour qui l’éducation nationale n’est pas qu’un souvenir de jeunesse.

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Note : 16/20

Et pour poursuivre l’expérience : http://uneanneeaulycee.blog.lemonde.fr/

Mars ! – Fabrice Erre & Fabcaro

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Titre : Mars !
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabrice Erre
Parution : Août 2014


J’ai découvert le duo formé par Fabrice Erre et Fabcaro en lisant les deux chapitres de « Z comme Diego », digression humoristique dans l’univers du célèbre héros masqué. J’avais beaucoup ri en suivant les maladresses de l’incompétent Diego dans son rôle de Zorro. Récemment, j’ai retrouvé avec plaisir Fabrice Erre quand il décrit son quotidien d’enseignant dans le sympathique et divertissant « Une année au lycée ». C’est donc avec plaisir que j’ai vu par hasard dans les rayons d’une librairie « Mars ! ». Cet ouvrage coécrit par les deux auteurs est de format carré et se compose de soixante-quatre planches. Edité chez « Fluide Glacial », il coûte quinze euros.

L’histoire est simple. Elle nous conte l’envol d’une navette française vers Mars. Nous suivons donc le point de vue des astronautes, du président de la République, des ingénieurs au sol et du français lambda qui vit l’événement devant sa télévision. Je ne vous dévoilerai pas tout ce qui se passe mais sachez que tout ce beau monde ne sort pas grandi de cette aventure spatiale !

La désacralisation de la conquête spatiale est hilarante.

Mars1De la même manière que dans « Z comme Diego », les pages se décomposent en scénette de trois cases contant chacune une anecdote délurée et décalée autour de ce projet d’ampleur. L’aéronautique n’en sort pas grandi mais par contre nos zygomatiques adorent ! La densité humoristique du propos est forte et la qualité constante du début à la fin. Les rebondissements et les surprises sont nombreux ! La désacralisation de la conquête spatiale est hilarante.

Cette lecture s’adresse à un public très large. Les vannes utilisent une grande variété d’ingrédients pour faire rire. L’immense majorité des chutes sont surprenantes. Chaque nouvelle scène alimente la curiosité du fait de sa qualité comique. L’attrait constant facilite l’immersion dans l’univers de cette aventure spatiale pas comme les autres. L’humour alimente l’humour et les rires se succèdent au rythme de défilement des pages.

Mars3Comme que je l’évoquais précédemment, les auteurs ne se contentent pas de nous faire le quotidien du cockpit de la station et du poste de commandement au sol. Nous découvrons également les arcanes de la gestion politique pour le moins originale de nos dirigeants. Nous ne passons pas non plus à côté des sentiments vécus par le français moyen qui voit devant sa télévision l’Histoire s’écrire. Cette diversité de points de vue alimente le concentré de drôleries qui compose ce  « Mars ! ».

Le dessin de Fabrice Erre est aisément reconnaissable. Je sais que certains lecteurs le trouvent bâclé et s’avèrent assez hermétique à son style. Je peux le comprendre aisément. Néanmoins, personnellement, je trouve que le trait coïncide parfaitement à avec le ton déluré et décalé de l’album. En tout cas, les couleurs vives qui accompagnent la lecture sont appréciables et participent à la bonne humeur dégagée.

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Pour conclure, « Mars ! » est une belle réussite. J’ai passé un très bon moment en le lisant et n’hésiterai pas à m’y plonger à nouveau pour redécouvrir les pérégrinations de ce groupe de bras cassés. Je ne peux donc que vous inciter à partir à la rencontre de cette aventure pas comme les autres…

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Note : 16/20

Château de sable – Frederik Peeters & Pierre-Oscar Lévy

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Titre : Château de sable
Scénariste : Pierre-Oscar Lévy
Dessinateur : Frederik Peeters
Parution : Septembre 2009


J’ai découvert Frederik Peeters par sa série « Aama » où il officiait seul comme scénariste et dessinateur. Charmé par son dessin inventif et dynamique, j’avais envie de découvrir d’autres ouvrages de cet auteur. C’est chose faite avec « Château de sable », scénarisé par Pierre Oscar-Lévy, qui part un instant du cinéma pour faire un incursion dans la bande-dessinée. Ce one-shot d’une centaine de pages est publié chez Atrabile.

On est en été. Il fait chaud. Au bord d’une petite crique, des familles viennent profiter de la mer (et accessoirement, râlent de voir qu’elles ne sont pas les seules à connaître cette crique !). Mais voilà que l’on retrouve une jeune femme morte. Or, un Algérien traîne dans les parages, sans que l’on comprenne bien ce qu’il fait ici…

Des êtres humains face à des questions existentielles.

ChâteauDeSable1Curieux livre que ce « Château de sable ». Formé autour d’un huis clos très théâtral, il bascule rapidement dans le fantastique. Au-delà de cet aspect, c’est avant tout des êtres humains qui sont placés devant des questions existentielles. Difficile d’en révéler plus sans gâcher la surprise… Malgré le nombre de personnages importants, les auteurs les développent suffisamment pour enrichir le propos et amener de nombreux points de vue. Tous les âges, professions et caractères semblent représentés.

L’aspect humain est une chose, mais ce qui nous prend avant tout est le suspense. La montée en tension est remarquablement menée. On est vraiment pris dans l’histoire et on dévore les pages à toute vitesse. En cela, l’album est remarquablement géré. Les révélations sont données avec parcimonie. Une belle gestion du suspense !

Concernant le dessin, Frederik Peeters propose des personnages affirmés, aux traits aisément reconnaissables. Son trait au pinceau est d’une grande beauté et le noir et blanc lui rend honneur tant les cases sont pleine de matière. La représentation de la chaleur et de tant de personnages aux âges et corpulence différentes force le respect. Un grand dessinateur, s’il était encore besoin de le dire.

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« Château de sable » est un très beau one-shot. Remarquablement dessiné, doté d’une narration aux petits oignons et d’un suspense implacable, il ne vous laissera pas indifférent.

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Note : 16/20

Like a steak machine – Fabcaro

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Titre : Like a Steak Machine
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabcaro
Parution : Septembre 2009


Aujourd’hui, nombreux sont les auteurs à se lancer dans l’autobiographie. Fabcaro n’échappe à la règle. Je le connaissais alors pour « Amour, Passion et CX Diesel » (au scénario) et « Jean-Louis et son encyclopédie », des ouvrages 100% humouristiques. Avec « Le steak hâché de Damoclès » et « Droit dans le mûr » (aux éditions de La Cafétière), il se présentait comme quelqu’un de complètement névrosé, avec des problèmes de communication et de sociabilité très limitée. Bref, un personnage très loin de ce que l’on peut imaginer d’un auteur humoristique. Avec « Like a steak machine », Fabcaro reprend son processus introspectif. Douloureux souvenirs…

Le principe de « Like a steak machine » est décrit dès la première planche. Ici, une chanson sert de base à chaque planche. Chaque morceau rappelle un évènement passé : un premier concert, une nuit blanche, une rupture ou n’importe quoi d’autre. Chaque planche raconte une anecdote. Si bien que l’ouvrage est beaucoup plus orienté « souvenir » qu’ « analyse ».

Des anecdotes musicales pleine d’autodérision.

Le thème étant les souvenirs par la musique, on retrouve ainsi pas mal d’anecdotes musicales (notamment les concerts). Mais surtout, l’aspect introspectif est beaucoup moins fort, ce qui en fait un ouvrage plus léger que les précédents. L’humour est toujours fortement présent, avec une bonne dose d’autodérision.

Il y a également un petit côté désuet et nostalgique pas désagréable dans cet ouvrage. Raconter des souvenirs n’apporte pas toujours cet aspect-là mais ici on reconnaît l’époque sans peine. En effet, les citations de chansons, groupes et artistes sont autant de repères (ou pas justement !) disséminés dans chaque page. Cet aspect marqué dans une époque m’a rappelé de loin « Le Petit Christian » de Blutch.

Je ne cacherais pas que cet ouvrage est moins fort que les deux précédents. Le fait qu’il se construise sur des anecdotes de jeunesse le rend moins original. Il n’est donc pas rare de lire certains souvenirs quasiment à l’identique d’autres artistes. La force de Fabcaro tient avant de sa capacité à mettre de l’humour et de l’autodérision partout.

Et cet humour est fortement appuyé par le trait de l’auteur. En effet, ces personnages sont très expressifs (bien que moins « cartoons » que dans d’autres de ses BDs), notamment son alter-égo. Le trait relâché, en noir et blanc, est très agréable et lisible. Je le préfère de loin à son dessin « cartoon ».

Au final, « Like a steak machine » est peut-être l’ouvrage autobiographique de Fabcaro le moins original, mais aussi clairement le plus accessible. Moins axé sur ses névroses, le livre permet au lecteur de beaucoup plus s’identifier au personnage. Tout dépendra donc de ce que vous recherchez !

avatar_belz_jolNote : 16/20

Habibi – Craig Thomson

Habibi


Titre : Habibi
Scénariste : Craig Thomson
Dessinateur : Craig Thomson
Parution : Octobre 2011


Craig Thomson avait marqué les esprits avec la sortie de « Blankets », un récit autobiographique fleuve où il abordait entre autres son enfance et le fondamentalisme religieux. Changement d’ambiance ici avec « Habibi » sorti en 2011. C’est toujours aussi long (plus de 600 pages), mais c’est une fiction se passant dans un pays imaginaire tiré des mille et une nuits à une époque également indéterminée. Les références à la Bible laissent place au Coran. Le tout est publié chez Casterman dans la collection Écritures.

« Habibi » est l’histoire d’un petit noir, Habibi (aussi appelé Zam) et de Dodola, une jeune femme arabe. Cette dernière recueille Zam alors qu’il est encore un petit garçon. Elle-même n’est même pas encore vraiment une jeune fille, bien qu’elle ait été mariée. Elle est surtout une esclave en fuite. « Habibi » raconte donc leur destinées, sous forme d’une grande fable où le pire leur arrive mais où l’Amour finit toujours par triompher.

Deux personnages au lien unique.

Habibi3L’intérêt du livre est basé sur une relation très particulière qui unit les deux êtres. Dodola est à la fois une mère, une grande sœur, une amie… Puis, elle devient une source d’excitation pour Zam qui a bien du mal à supporter ses coupables pensées. La dureté de l’histoire (prostitution, viol, mutilation et j’en passe) donne de la force au propos, sur tout qu’il n’y a rien de vraiment gratuit dans la violence, tout sert l’histoire. Le tout s’englobe dans un milieu où le désert est roi et où l’eau vaut de l’or.

A côté de tout ça, Craig Thomson ajoute des passages sur le Coran, les carrés magiques, l’écriture arabe… Ces passages servent à faire des parallèles entre l’histoire des protagonistes et les légendes du Coran et de l’Ancien Testament. Cela donne un aspect onirique à l’ouvrage, mais pour ma part cela m’a profondément gêné. Cela coupe régulièrement la lecture et la narration et on finit par les lire en diagonales pour revenir à l’histoire. L’auteur veut montrer qu’il connaît la culture musulmane visiblement, mais à vouloir être érudit, on en devient pompeux. Surtout que ces pages sont des prétextes à une surenchère graphique (souvent magnifique) qui ne sert guère la narration. Et comme on est devant un pavé de plusieurs centaines de pages, on aurait apprécié quelques coupes.

Concernant le graphisme, c’est simplement splendide. Le trait au pinceau est une merveille et la narration est maîtrisée au plus haut point. Certaines planches sont classiques, d’autres beaucoup plus dynamique. Craig Thomson a l’intelligence de ne pas surcharger en permanence mais avec parcimonie, rendant les passages les plus forts d’autant plus impressionnants. Une vraie révélation graphique, dans un noir et blanc des plus remarquables.

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« Habibi » est clairement un ouvrage à lire. Puissant par son texte, doté de personnages attachants aux liens si particuliers et parfaitement maîtrisé graphiquement, il vous captivera à coup sûr. Il est dommage que les passages oniriques et les nombreuses digressions n’alourdissent l’ensemble déjà bien fourni en pagination.

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Note : 16/20

Droit dans le mûr – Fabcaro

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Titre : Droit dans le mûr
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabcaro
Parution : Décembre 2007


Après un premier ouvrage autobiographique qui mettait à nu ses névroses (« Le steak hâché de Damoclès »), Fabcaro remet le couvert avec « Droit dans le mûr ». Comme il le dit lui-même : « Faut être maso ». C’est donc reparti pour une série d’anecdotes pleine d’autodérision sur les problèmes relationnels de l’auteur. On retrouve notamment son incapacité à dire « non » et, de façon générale, à s’imposer.

Si certaines anecdotes ne font qu’une page (ce sont rarement les plus intéressantes), d’autres sont un poil plus longue, amenant souvent une réflexion plus large (l’achat de la maison, le mec au walkman, etc.). Evidemment, une chute nous attend toujours à la fin. Heureusement, la chute n’est pas le seul moment où l’ont ri. L’humour est omniprésent. Parfois absurde, parfois touchant, Fabcaro a un humour vraiment particulier, une vraie patte. Un bonheur pour les zygomatiques.

Un bilan de l’autobiographie et un bilan autobiographique.

Le début de l’ouvrage démarre sur le bilan de la première autobiographie. En effet, Fabcaro expose les problèmes liés à la publication d’un tel ouvrage… Evidemment, c’est passionnant et le fait que l’auteur n’assume absolument pas le contenu rend le tout encore plus intéressant. Ainsi, « Droit dans le mûr » et « Le steak hâché de Damoclès » fonctionnent clairement comme un diptyque. Assemblés, ils traitent plus ou moins des mêmes thèmes et donnent finalement plus de cohérence à l’ensemble.

Comme son nom l’indique, « Droit dans le mûr » s’attarde sur le vieillissement de l’auteur. Ce dernier, la trentaine passée, doit laisser certaines de ses anciennes convictions au passé. Ainsi, rien ne s’arrange vraiment quand on vieillit (alors qu’il était persuadé du contraire !) et on finit par faire des choses terribles comme devenir propriétaire (ce passage est d’une justesse incroyable) alors qu’on rejetait le concept de propriété à 20 ans. Fabcaro n’hésite d’ailleurs pas à se représenter en conversation avec son alter-ego plus jeune. Si le procédé n’est pas nouveau, il est ici utilisé avec parcimonie, énormément d’humour et se révèle finalement touchant. On a tous en nous quelque chose de Fabcaro.

Le dessin est toujours efficace avec un noir et blanc élégant et maîtrisé. Les expressions des personnages, très travaillées et marquées, renforcent l’humour des situations. Le tout est souvent articulé en planches composées de trois bandes horizontales, apportant de la cohérence à l’ensemble (et un peu de rigidité, il est vrai).

Après un « Steak hâché de Damoclès » réussi, « Droit dans le mûr » est clairement un cran au-dessus de part une certaine cohérence et une patte de l’auteur plus affirmée. Les deux ouvrages tirent un portrait hilarant de Fabcaro, plein d’autodérision. Indispensable pour tous les fans de l’auteur !

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Note : 16/20

Vingt-trois prostituées – Chester Brown

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Titre : Vingt-trois prostituées
Scénariste : Chester Brown
Dessinateur : Chester Brown
Parution : Septembre 2012


 Chester Brown découvre un jour qu’il n’est plus intéressé par l’amour, qu’il trouve vain et compliqué. Il s’aperçoit qu’il préfère être ami avec ses ex, afin d’éviter tous les problèmes de couple. Hélas, au bout d’un certain temps, le besoin de sexualité se présenter. Il décide alors de se tourner vers la prostitution. C’est cette expérience de plusieurs années que nous présente l’auteur dans un pavé de près de 300 pages. Intitulé « Vingt-trois prostituées », il revient donc sur ces femmes qu’a rencontrées le dessinateur. Le tout est publié aux éditions Cornélius.

23prostituées2Le livre est à la fois un ouvrage autobiographique qui analyse la pensée de son auteur par rapport aux rapports humains. La prostitution n’est qu’une facette du raisonnement, qui en sera un aboutissement logique. Car Chester Brown ne nous dit pas « je suis allé voir des prostituées ». Il explique pourquoi il l’a fait et pourquoi il a plus ou moins arrêté. Cette analyse est essentielle, car l’auteur livre un plaidoyer en faveur de la prostitution (notamment sur le problème de la dépénalisation et/ou de la légalisation. Le tout est d’ailleurs agrémenté d’une introduction, d’une préface, d’une postface, d’appendices et de notes… Comme si l’auteur considérait que ses planches ne suffisaient pas…

Les dessous du milieu, sans faux-semblants.

Derrière la froideur de l’ouvrage (porté par l’auteur dont les raisonnements choqueront de nombreux lecteurs) se révèle donc un véritable documentaire. L’auteur nous invite à découvrir les dessous du milieu, sans faux-semblants. Si le personnage de Chester peut paraître froid, il n’en paraît pas moins sincère. Il est client et souhaite donc avant tout en avoir pour son argent. Malgré cela, il est avant tout respectueux des femmes qu’il rencontre. Surtout, il discute beaucoup avec elles, ce qui permet d’en savoir plus sur leurs ressentis. Mais à aucun moment il ne dessine leur visage. Une façon de les protéger sans doute plus que de les déshumaniser.

Il n’est pas dit que « Vingt-trois prostituées » convaincra le lecteur que la prostitution est une bonne chose et qu’elle doit obtenir un cadre légal. Cependant, il est indéniable que l’ouvrage fait réfléchir et amène à se poser des questions. On est loin des discours standards. Il est dommage que les appendices cherchent, eux, à convaincre de façon trop évidente. On aurait préféré un livre qui parle de lui-même, sans devoir passer par des pages de texte, façon propagande. Et pourtant, qui sait que je partage de nombreux points de vue de l’auteur.

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Concernant le dessin, il est minimaliste, en noir et blanc. Il est parfaitement maîtrisé par l’auteur qui livre des planches d’une froideur et d’une raideur impressionnante. Cela évite tout pathos qui polluerait le propos. Car derrière cette façade, le lecteur est loin d’être indifférent à ce qui se passe ou ce qui se dit.

« Vingt-trois prostituées » est un ouvrage riche et maîtrisé qui ne laissera pas indifférent. A la fois autobiographique et documentaire, il ne cherche pas forcément à établir de vérité. Il montre le point de vue et l’expérience d’un client lambda et ses motivations. Chester Brown a des amis, n’est pas un loser, n’est pas un obsédé sexuel, mais va voir des prostituées pour des raisons qui lui sont propres. Un livre fort, qui se lit d’une traite et qui, après la lecture, reste dans vos méninges.

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Note : 16/20

De cape et de crocs, T6 : Luna incognita – Alain Ayroles & Jean-Luc Masbou

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Titre : De cape et de crocs, T6 : Luna incognita
Scénariste : Alain Ayroles
Dessinateur : Jean-Luc Masbou
Parution : Avril 2004


« Luna Incognita » est le sixième tome de « De Cape et crocs ». A l’image des opus précédents, cet ouvrage est édité chez « Delcourt » dans la collection « Terres de Légendes ». Composé d’une grosse quarantaine de pages et paru il y a huit ans, cet ouvrage a prix proche de quatorze euros. Comme d’habitude, il est scénarisé par Alain Ayroles et dessiné par Jean-Luc Masbou. La couverture nous présente nos héros dans une nuit lunaire à en croire le clair de Terre qui illumine le ciel…

La quatrième de couverture nous présente le résumé suivant : « Messieurs de Maupertuis et Villalobos, en font galante et plaisante compagnie, voguent hardiment vers la Lune à bord d’un astronef de fortune. Que découvriront-ils sur cette planète inconnue ? Des géants, des cités qui se meuvent comme dans le roman de Monsieur de Bergerac ? Des trésors à coup sûr, puisque là-haut, l’or pousse sur les arbres ! Mais cet or suscite bien des convoitises : dans le sillage de nos gentilshommes, un inquiétant vaisseau cingle à son tour l’astre lunaire… »

decapeetdecrocs6aCet opus marque le début d’un nouveau cycle. En effet, nos héros partent maintenant dans l’inconnu sur la Lune. On se retrouve donc plongé dans une épopée dont la dimension fantastique prend de l’épaisseur. Voilà un attrait certain qui redonne un souffle à une saga qui n’en manquait déjà pas ! On est donc curieux de connaitre ce nouveau monde. Cherche-t-il à être « réaliste » et « cohérent » ou au contraire se montre-t-il féérique et épique ? « Luna Incognita » allait nous poser les premiers jalons de la réponse. Parallèlement, le fait de retrouver tous les protagonistes regroupés sur ce nouveau « terrain de jeu » ouvrait l’appétit à l’égard de leurs aventures à venir.

Comme dit précédemment, l’attrait principal de cet ouvrage est de nous faire découvrir la vie sur la Lune. On est loin de croiser des petits hommes verts. Au contraire, les Sélénites ressemblent aux Terriens. Evidemment certains détails surprennent et marquent une différence avec la vie extra-lunaire. Mais les grandes lignes sociétales sont proches de la monarchie que nos héros ont quittée. Malgré tout, les différences que je vous laisserai découvrir suffisent à générer un réel dépaysement qui ravira le lecteur. Malgré les ressemblances entre les deux univers, à aucun mot on a le sentiment de se trouver sur Terre. Notre présence sur la Lune nous apparaît toujours évidente au gré des surprises qui agrémentent le parcours des personnages.

Le début d’une nouvelle trame.

Au-delà de la dimension découlant de cette découverte touristique, « Luna Incognita » marque le début d’une nouvelle trame. En effet, les cinq premiers tomes avaient été centrés sur la quête du trésor des îles Tangerines. Maintenant qu’on sait que cette mission ne pouvait réussir du fait de la non-existence de decapeetdecrocs6bl’objet cherché. En arrivant sur la Lune, on découvre un conflit politique à grande échelle opposant le roi local à son frère. Nos héros choisissent rapidement leur cas du fait de leur premier rencontre avec le frère dans les épisodes précédents. Pour rendre la victoire possible, il faut retrouver le maître d’armes. Intrigué par ce curieux et légendaire personnage, nos deux amis préférés décident de se charger de sa recherche. Parallèlement, on voit chacun des protagonistes, bons comme méchants, chercher à trouver sa place dans ce nouveau monde. Chacun n’est pas évidemment pas habité de louables volontés.

Les dessins de Masbou accompagnent parfaitement la narration. Son trait n’a aucun mal à nous immerger dans ces nouveaux paysages. La rupture graphique avec les décors terriens n’est pas radicale. C’est logique car le scénario ne le souhaite pas. On découvre peu de nouveaux personnages. Néanmoins Masbou n’a aucun mal à donner vie aux quelques rencontres qui croisent la rue de nos amis. Sur le plan chromatique, il n’y a pas de révolution non plus. Le dessinateur arrive à garder une constance graphique qui donne une réelle identité à cette grande saga du neuvième art.

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En conclusion, cet album est une nouvelle réussite et nous voit partir en quête sur l’astre lunaire avec un enthousiasme certain. Ayroles et Masbou arrive à construire une série qui ne souffre d’aucun temps mort et d’aucune faiblesse. C’est une chose très rare dans ces grandes aventures au long cours qui s’étalent sur un nombre important de tomes. « De Cape et de crocs » réussit ce tour de force et il faut le signaler. Je ne doute pas que l’opus suivant intitulé « Chasseurs de chimère » devrait poursuivre cette réussite. Mais cela est une autre histoire…

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Note : 16/20