Blast, T4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent – Manu Larcenet

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Titre : Blast, T4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent
Scénariste : Manu Larcenet
Dessinateur : Manu Larcenet
Parution : Mars 2014


« Blast » est un OVNI du neuviĂšme art. Depuis la sortie de son premier tome il y a presque quatre ans, cette sĂ©rie est amenĂ©e Ă  marquer profondĂ©ment ses lecteurs. Ce roman graphique nĂ© de l’imagination et de la plume de Manu Larcenet est un uppercut permanent. Cette saga est une tĂ©tralogie. Le sept mars dernier est apparu l’épisode ultime du parcours de Polza Mancini, ce personnage pas comme les autres. Ce dernier opus s’intitule « Pourvu que les bouddhistes se trompent ». EditĂ© chez Dargaud, cet ouvrage se compose de cent quatre-vingt-quinze pages. Il coĂ»te vingt-trois euros. La couverture se partage en deux plans. Le premier nous prĂ©sente Polza, revenu Ă  l’état sauvage. Le second nous prĂ©sente Carole assise un rĂ©volver dans la main. Le dĂ©nouement approche et nous pouvons lĂ©gitimement l’apprĂ©hender.

La quatriĂšme de couverture fait parler Mancini qui s’adresse Ă  nous : « Un vent lourd, puant suie et cadavre, gronde sur la route et me glace. L’orage approche. Je ne cherche aucun abri, il n’en existe pas Ă  ma taille. Je claudique au bord du chemin, ivre comme toujours, dans l’espoir que la distance entre nous se rĂ©duise que nos peaux se touchent enfin. Sali, battu, hagard, je repousse le moment oĂč, le souffle court et les pieds meurtris par de mauvaises chaussures, je devrai m’arrĂȘter. Serai-je encore assez vivant pour repartir ? »

Tour Ă  tour Ă©mu, touchĂ©, Ă©nervĂ©, choquĂ©, compatissant, dĂ©goĂ»tĂ©, horrifiĂ©…

Polza Mancini est un personnage riche qui ne peut pas laisser indiffĂ©rent. Pire que cela, il arrive Ă  gĂ©nĂ©rer tous les spectres des sentiments possibles. Tour Ă  tour j’ai Ă©tĂ© Ă©mu, touchĂ©, Ă©nervĂ©, choquĂ©, compatissant, dĂ©goĂ»tĂ©, horrifiĂ© et j’en passe. D’une page Ă  l’autre, nos Ă©motions sont chamboulĂ©es. La vie de Polza est celle d’un clochard comme il l’affirme. Elle alterne donc entre des moments de poĂ©sie dans la forĂȘt ou prĂšs d’une riviĂšre avec des moments durs inhĂ©rents Ă  la vie dehors. Tous les marginaux ne sont pas stables et bienveillants, loin s’en faut. D’ailleurs le Mancini n’est pas dĂ©nuĂ© de dĂ©faut : il est alcoolique, droguĂ©, instable, sale. A cela s’ajoute un physique difforme qui incite Ă  dĂ©tourner le regard. Bref, il fait partie des gens qu’on n’oublie mais qu’on ne souhaite pas croiser Ă  nouveau.

Mais Polza ne nous conte pas son histoire au coin du feu. Il est en garde Ă  vue. Il est accusĂ© du meurtre de Carole, une jeune femme que les premiers tomes ont petit Ă  petit fait apparaĂźtre dans la vie de Mancini. L’album prĂ©cĂ©dent se concluait par une rude rĂ©vĂ©lation : Carole aurait tuĂ© son propre pĂšre. C’est donc ici que reprend la trame pour ce dernier acte.

A la suite de son Ă©vasion de l’hĂŽpital, Polza est hĂ©bergĂ© chez un des anciens pensionnaires prĂ©nommĂ© Roland. Ce dernier vit dans une ferme reculĂ©e avec sa fille Carole. Mancini ne quittera plus cette ferme jusqu’à son interpellation par la police. Pour la premiĂšre fois, Polza est sĂ©dentaire. Bien qu’il affirme ĂȘtre irrĂ©mĂ©diablement attirĂ© par un dĂ©part dans la forĂȘt, il ne franchit jamais le pas. Il semble attachĂ© Ă  sa nouvelle famille. L’équilibre qui rĂ©git la vie de cette petite communautĂ© est remarquable dĂ©crit par Larcenet. Alors qu’on pourrait y voir une fille aimante et dĂ©vouĂ©e qui s’occupe de son pĂšre malade et qui accueille un sans-abri en quĂȘte d’affection. Mais tout cela est bien plus compliquĂ©, malsain et inquiĂ©tant. Chaque rayon de soleil prĂ©cĂšde une longue pĂ©riode sombre sans lumiĂšre. L’issue nous est connue. Elle est triste et fatale. Le moins que nous puissions dire est que le chemin qui y mĂšne n’est pas plus joyeux.

CĂŽtĂ© dessin, le voyage est intense. Le travail graphique de Larcenet est impressionnant. Son Ɠuvre est quasiment entiĂšrement en noir et blanc. Il fait naĂźtre une grande galerie d’atmosphĂšre. Que les scĂšnes soient intimes ou que ce soient des paysages, que les moments soient lĂ©gers ou horribles, tout nous pĂ©nĂštre profondĂ©ment. Je n’ai pas le vocabulaire suffisamment riche pour vous transcrire les sentiments ressentis devant les planches ou les termes prĂ©cis et techniques qui permettraient d’expliquer la qualitĂ© du travail. Je ne peux donc que vous inciter Ă  ouvrir aux hasards ce tome et en lire quelques pages. Ce sera la meilleure maniĂšre de vous imprĂ©gner et de savourer les remarquables illustrations qui accompagnent cette histoire qui l’est tout autant.

« Pourvu que les bouddhistes se trompent » conclue avec maestria cette grande saga. La derniĂšre partie de l’ouvrage est une invitation Ă  la redĂ©couvrir avec un regard neuf. Cette sĂ©rie est une Ɠuvre majeure de ma bibliothĂšque. Je pense que je m’y plongerai rĂ©guliĂšrement quitte Ă  prendre du plaisir de lecteur Ă  souffrir. « Blast », c’est une expĂ©rience qui ne laisse pas indemne


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Note : 19/20

MĂ©tronom’, T4 : Virus psychique – Éric Corbeyran & Grun

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Titre : Metronom’, T4 : Virus psychique
ScĂ©nariste : Éric Corbeyran
Dessinateur : Grun
Parution : Janvier 2014


 « Metronom’ » est une sĂ©rie nĂ©e il y a quatre ans. Elle est le fruit du scĂ©nariste Eric Corbeyran et du dessinateur Grun. Le premier est un auteur qui m’est familier et le second une dĂ©couverte pour moi. C’est donc le nom de Corbeyran qui m’a attirĂ© vers le premier Ă©pisode de cette nouvelle aventure. En feuilletant quelques pages, j’ai Ă©tĂ© intriguĂ© par les enjeux posĂ©s et l’univers dans lequel s’inscrivait la trame. Sans rĂ©volutionner le neuviĂšme art, les trois premiers actes montraient une intrigue solide qui se laissait dĂ©couvrir avec plaisir. C’est donc avec joie que j’ai accueilli le quatriĂšme tome « Virus psychique » dans les librairies en janvier dernier.

La quatriĂšme de couverture nous expose le rĂ©sumĂ© suivant : « Dans un avenir proche, au sein d’une sociĂ©tĂ© totalitaire qui Ă©crase l’individu au profit de la toute-puissance et du mensonge Ă©tatiques, une femme mĂšne un combat pour dĂ©couvrir les raisons de la disparition mystĂ©rieuse de son mari parti en mission spatiale
 »

Une société totalitaire, des invidualités vouées à disparaßtre

Ce qui m’a attirĂ© en premier dans cette saga, est la sociĂ©tĂ© qu’elle dĂ©crit. Elle apparait totalitaire. Les individualitĂ©s sont vouĂ©es Ă  disparaitre. La description qui en est faite est relativement fine. Il n’y a pas de grands exposĂ©s pour magistraux pour prĂ©senter les codes politiques, sociaux et Ă©conomiques. Au fur et Ă  mesure que la pelote narrative se dĂ©roule, les informations se succĂšdent et densifient notre connaissance de la situation. Ce nouveau tome n’échappe Ă  la rĂšgle et participe activement Ă  notre maĂźtrise de l’univers de la sĂ©rie.

L’histoire se construit autour d’un personnage central prĂ©nommĂ© Lynn. Tout est construit autour de son destin et de son parcours. Le personnage est plutĂŽt bien construit. On s’y attache rapidement. Les Ă©preuves qu’elle subit couplĂ©es Ă  son caractĂšre fort et dĂ©terminĂ© forment un cocktail classique et efficace. Son identitĂ© graphique la dĂ©marque Ă©galement du reste du casting. Bref, l’hĂ©roĂŻne n’est pas un modĂšle d’originalitĂ© mais possĂšde suffisamment de qualitĂ©s pour rendre la lecture interactive. En effet, on peut aisĂ©ment s’identifier Ă  elle et s’approprier ses craintes et ses interrogations.

Concernant l’intrigue en elle-mĂȘme, elle avance Ă  un rythme rĂ©gulier. Les auteurs ne tombent pas dans le dĂ©faut de beaucoup de sĂ©ries qu’est une trop grande dilution des Ă©vĂ©nements. Ce nouvel opus conserve cette qualitĂ© en faisant Ă©voluer de maniĂšre relativement importante les aventures de Lynn et des autres protagonistes. Le scĂ©nario donne autant de rĂ©ponses qu’il fait naĂźtre de questions. Bref, tout cela est plutĂŽt bien rythmĂ©. Je ne peux pas vous dire que je sois complĂštement enthousiasmĂ© et possĂ©dĂ© quand je vois les pages dĂ©filer. Par contre, je n’ai aucun mal Ă  affirmer que je dĂ©couvre tout cela avec une vraie curiositĂ©.

Un des attraits de cette sĂ©rie concerne ses dessins. Le trait de Grun et son travail trĂšs intĂ©ressant sur les couleurs offre une vraie particularitĂ© Ă  l’univers de la sĂ©rie. MĂȘme si je suis moins fan de leurs Ă©motions graphiques, je trouve que les protagonistes possĂšdent suffisamment d’épaisseur pour ĂȘtre aisĂ©ment identifiĂ©s et appropriĂ©s. Mais le gros point fort concerne les dĂ©cors que je trouve superbes qu’ils soient urbains ou dĂ©sertiques. De plus, les tons chromatiques gris, bleus et marron dĂ©gagent une atmosphĂšre trĂšs rĂ©ussie.

Pour conclure, ce quatriĂšme tome est dans la lignĂ©e des trois prĂ©cĂ©dents. Il possĂšde les mĂȘmes qualitĂ©s et les mĂȘmes dĂ©fauts. La trame reste globalement assez classique mais sa construction narrative est suffisamment rigoureuse pour permettre une lecture agrĂ©able et divertissante. Je m’offrirai donc avec plaisir le prochain opus. Les aventures de Lynn ne sont pas terminĂ©es et je suis curieux d’en connaitre la suite


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Note : 13/20

Top BD des blogueurs – Juillet 2014

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Le Top BD des blogueurs est un collectif rassemblant des blogs de critiques de bande-dessinĂ©es. DĂšs qu’un titre possĂšde au moins trois notes, il entre dans le top. Vous pouvez dĂ©couvrir chaque mois les cinquante titres les mieux notĂ©s.

1- (=) Le journal de mon pÚre 18.67
Jiro Taniguchi, Casterman

2- (+) Asterios Polyp     18.65
David Mazzuchelli, Casterman

3- (=) Persépolis    18.64
Marjanne Satrapi, L’Association

4- (=) Le loup des mers 18.55
Riff Reb, Soleil

5- (=) Idées Noires       18.5
Franquin, Fluide Glacial

6- (=) NonNonBù         18.5
Shigeru Mizuki, Cornélius

7- (=) Maus        18.49
Art Spiegelmann, Flammarion

8- (-) Un printemps à Tchernobyl  18.45
Emmanuel Lepage, Futuropolis

9- (=) Le pouvoir des Innocents Cycle 2- Car l’enfer est ici   18.41
Tome 1, Tome 2,

10- (=) Tout seul            18.38
Christophe ChaboutĂ©, Vents d’Ouest

11- (=) Le sommet des dieux       18.33
Yumemuka Bura, JirĂŽ Taniguchi, Casterman
Tome 1,Tome 2,Tome 3, Tome 4, Tome 5.

12- (=) Universal War One   18.33
Denis Bajram, Soleil Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5, Tome 6.

13- (=) Daytripper           18.27
Fabio Moon, Gabriel Ba, Urban Comics

14- (=) V pour Vendetta  18.22
Alan Moore, David Lloyd, Delcourt

15- (=) Le Grand pouvoir du Chninkel   18.19
Van Hamme, Rosinski, Casterman

16- (-) Les vieux fourneaux tome 1   18.19
Wilfrid Lupano, Paul Cauuet, Dargaud

17- (=) Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes?  18.13
BenoĂźt Zidrou, Roger, Dargaud

18- (-) Les derniers jours de Stefan Zweig   18.06
L. Seksik, G. Sorel, Casterman

19- (+) Herakles   18.05
Tome 1, Tome 2, Edouard Cour, Akiléos

20- (=) Abélard     18.04
RĂ©gis HautiĂšre, Renaud Dillies, Dargaud
Tome 1, Tome 2.

21- (=) Universal War Two tome 1    18
Denis Bajram, Casterman

22- (N) La fille maudite du capitaine pirate  18
Jérémy Bastian, Editions de la Cerise

23- (=) Il était une fois en France    17.98
Fabien Nury, Sylvain Vallée, Glénat

Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5,Tome 6.

24- (=) Habibi       17.95
Craig Thompson, Casterman

25- (=) Les derniers jours d’un immortel     17.92
Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Futuropolis

26- (=) Gaza 1956     17.92
Joe Sacco, Futuropolis

27- (=) Les ombres     17.88
Zabus, Hippolyte, Phébus

28- (=) Scalped            17.86
Jason Aaron, R.M. Guerra, Urban Comics
Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5, Tome 6, Tome 7,

29- (=) Manabé Shima 17.83
Florent Chavouet, Editions Philippe Picquier

30- (-) Trois Ombres       17.78
Cyril Pedrosa, Delcourt

31- (=) Anjin-san    17.75
Georges Akiyama, Le LĂ©zard Noir

32- (=) Joker                17.75
Brian Azzarello, Lee Bermejo, Urban Comics

33- (=) Mon arbre     17.75
SĂ©verine Gauthier, Thomas labourot, Delcourt

34- (=) L’histoire des trois Adolf,              17.75
Osamu Tezuka, Tonkam

35- (=) Blankets  17.73
Craig Thompson, Casterman

36- (=) Le pouvoir des innocents Cycle 3- Les enfants de Jessica tome 1  17.73
L. Brunschwig, L. Hirn, Futuropolis

37- (+) Holmes               17.7
Luc Brunschwig, Cecil, Futuropolis
Tome 1, Tome 2, Tome 3.

38- (=) Calvin et Hobbes,              17.7
Bill Watterson, Hors Collection
Tome 1, Tome 2, Tome 15, tome 17,

39- (=) Les seigneurs de Bagdad  17.7
Brian K. Vaughan, Niko Henrichon, Urban Comics

40- (=) Urban              17.69
Luc Brunschwig, Roberto Ricci, Futuropolis
Tome 1, Tome 2,

41- (=) Washita     17.69
Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4, Tome 5.

42- (=) Lorenzaccio              17.67
RĂ©gis Peynet, 12 Bis

43- (N) Match!   17.67
Grégory Panaccione, Editions Delcourt

44- (=) Tokyo Home  17.67
Thierry Gloris, Cyrielle, Kana

45- (=) Les Carnets de Cerise
Joris Chamblain, Aurélie Neyret, Soleil
Tome 1, Tome 2,

46- (=) L’Orchestre des doigts      17.65
Osamu Yamamoto, Editions Milan
Tome 1, Tome 2, Tome 3, Tome 4.

47- (+)Melville     17.64
Romain Renard, Le Lombard

48- (+) Les ignorants             17.63
Etienne Davodeau, Futuropolis

49- (-) Rouge Tagada   17.63
Charlotte Bousquet, Stéphanie Rubini, Gulf Stream Editeur

50- (=) Une métamorphose iranienne   17.6
Maya Mayestani, Editions Ca et lĂ 

Whaligöe, T2 – Yann & Virginie Augustin

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Titre : Whaligöe, T2
Scénariste : Yann
Dessinatrice : Virginie Augustin
Parution : Janvier 2014


 « WhaligoĂ« » est un diptyque crĂ©Ă© par le scĂ©nariste Yann et la dessinatrice Virginie Augustin. Les couleurs sont confiĂ©es Ă  Fabien Alquier. La premiĂšre partie Ă©tait parue il y a un petit peu plus d’un an. La conclusion, sujet de ma critique d’aujourd’hui, est apparue dans les rayons de librairie le quinze janvier dernier. Cet ouvrage de format classique est vendu chez Casterman au prix de 13,50 euros. La couverture nous immerge au beau milieu d’un duel Ă  l’épĂ©e. La foule qui encadre est nombreuse Ă  encadrer les deux protagonistes Ă  la lumiĂšre de torches embrasĂ©es. L’heure semble ĂȘtre au rĂšglement de compte. Le programme est ainsi clairement annoncĂ©.

La quatriĂšme de couverture nous offre la prĂ©sentation suivante : « Ecosse, dĂ©but du XIXe siĂšcle. Leur cocher Ă©gorgĂ©, notre couple sur le dĂ©clin ne peut dĂ©sormais plus refuser l’affrontement final avec Branwell, la brute qui tient sous sa coupe le village de Whaligoë  Mais pour connaĂźtre l’identitĂ© du mystĂ©rieux Ă©crivain Ellis Bell, tous les coups bas sont permis, du duel Ă  la claymore aux morsures littĂ©raires empoisonnĂ©es
 Et si la vĂ©ritĂ© ne se trouvait pas Ă  la surface des choses ? 
 Si elle se dissimulait dans des profondes et inquiĂ©tantes tĂ©nĂšbres sous la lande tourbeuse de WhaligoĂ« ? »

Le concept du diptyque est souvent utilisĂ© ses derniĂšres annĂ©es dans la bande dessinĂ©e. Il n’est pas dĂ©pourvu d’attraits. En effet, il n’a pas les inconvĂ©nients des sĂ©ries au long cours qui voient bien souvent leur qualitĂ© dĂ©cliner au fur et Ă  mesure que naissent les diffĂ©rents Ă©pisodes. De plus, il peut prĂ©senter une histoire plus dense et travaillĂ©e qu’un simple album d’une petite cinquantaine de page. MalgrĂ© le genre possĂšde des risques. Le principal est de gĂ©nĂ©rer un univers complexe, des personnages mystĂ©rieux, des enjeux forts dans l’introduction et de voir la conclusion de ne pas rĂ©pondre aux attentes enthousiastes et exigeantes du lecteur aprĂšs la dĂ©couverte du premier acte. « WhaligoĂ« » avait offert un tome initial assez rĂ©ussi. Sur bon nombre de points, il s’agissait d’un bon cru. J’espĂ©rais que cette suite allait le confirmer.

“Une atmosphĂšre riche”

La premiĂšre richesse que j’ai retenue de ma rencontre avec « WhaligoĂ« » est son atmosphĂšre. L’arrivĂ©e dans ce village perdu au beau milieu des landes Ă©tait superbement retranscrite par le trait de Virginie Augustin. Que ce soit au contact d’autochtones parfois patibulaires ou au centre d’étendues dĂ©sertiques et inquiĂ©tantes, la dessinatrice arrivait Ă  dĂ©gager de ses planches un vrai envoĂ»tement pour le lecteur. De plus, le fait que bon nombre d’évĂ©nement se dĂ©roule la nuit ajoutait encore une dimension Ă  cette sensation oppressante d’ĂȘtre enfermĂ© au milieu de nulle part. MalgrĂ© un lĂ©ger changement de ton narratif dans ce second opus, cette qualitĂ© sensorielle des pages existe toujours. C’est un vrai plaisir. Les auteurs ont accordĂ© de l’importance Ă  construire un univers et des lieux avant d’y insĂ©rer des personnages et une histoire. Je leur en suis grĂ© car le voyage Ă  WhaligoĂ« ne laisse ainsi pas indemne.

Le deuxiĂšme aspect qui m’avait beaucoup plu Ă©tait la construction des personnages. Le couple principal Ă©tait assez unique dans son genre. Lui est un auteur qui a depuis longtemps perdu toute inspiration. Elle est sa Muse qui n’est plus aussi splendide qu’elle a Ă©tĂ©. Ils sont prĂ©sentĂ©s comme des « has been » qui se reprochent rĂ©ciproquement d’ĂȘtre la cause de leur dĂ©chĂ©ance tout en ne se quittant pas, faute d’autre proposition. Leurs Ă©changes fielleux sont des petits bijoux de mĂ©chancetĂ©. Chaque dialogue est Ă©crit, rien n’est bĂąclĂ©. J’ai retrouvĂ© cette patte dans cette suite et en ai savourĂ© les fruits avec gourmandise. Mais les auteurs ne se contentent pas d’offrir un mano a mano entre les deux tourtereaux, ils font Ă©galement exister leurs personnages secondaires. Je me garderai de les lister. Cela n’a pas grand intĂ©rĂȘt et gĂącherait en partie la lecture. NĂ©anmoins, il faut savoir qu’aucun protagoniste n’est neutre tant pour l’ambiance que pour la trame.

Concernant la trame, elle est plutĂŽt prenante. Quelques doses mystĂ©rieuses sont rĂ©guliĂšrement parsemĂ©es. Le hĂ©ros se trouve un adversaire local. Les sentiments amoureux et les secrets de famille sont de sortie. Bref, les ingrĂ©dients sont classiques mais solides. La sauce prend plutĂŽt bien sans rĂ©volutionner le genre. Le scĂ©nariste offre une conclusion Ă  la hauteur des espoirs nĂ©s dans son introduction. Ce n’est dĂ©jĂ  pas si mal. Ce second album n’est pas une succession de combats ou de poursuites. Les dialogues et les intrigues ne sont pas nĂ©gligĂ©s malgrĂ© une place lĂ©gitime plus importante donnĂ©e aux scĂšnes d’action. Le diptyque peut vraiment ĂȘtre perçu comme une entitĂ© unique. C’est agrĂ©able car ce n’est pas toujours le cas.

Je vous ai dĂ©jĂ  tressĂ© les lauriers du travail graphique de Virginie Augustin sur les dĂ©cors. Je peux en faire tout autant concernant sa capacitĂ© Ă  crĂ©er des personnages. Il possĂšde chacun une vraie personnalitĂ© et dĂ©gage Ă©normĂ©ment de choses par leurs traits, leurs visages ou leurs postures. Bref, la forme est Ă  la hauteur du fond. Pour conclure, « WhaligoĂ« » est une saga plutĂŽt rĂ©ussie dans laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir Ă  me plonger. La lecture est prenante et je me suis laissĂ© porter sans mal. Certes, je n’en garde pas d’immenses souvenirs une fois le bouquin terminĂ©, mais est-ce si grave si la dĂ©gustation fut agrĂ©able ?

gravatar_ericNote : 14/20

Kraa, T3 : La colĂšre blanche de l’orage – BenoĂźt Sokal

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Titre : Kraa, T3 : La colĂšre blanche de l’orage
Scénariste : Benoßt Sokal
Dessinateur : BenoĂźt Sokal
Parution : Janvier 2014


« Kraa » est le titre d’un triptyque imaginĂ©, scĂ©narisĂ© et dessinĂ© par BenoĂźt Sokal. C’est le nom du crĂ©ateur de « Canardo » qui avait attirĂ© mon regard sur la couverture du premier acte de cette nouvelle aventure il y a presque quatre ans. Je n’ai pas regrettĂ© le voyage dans la lecture des deux premiers Ă©pisodes s’est montrĂ©e intense et envoutante. En janvier dernier, est sorti le dernier tome intitulĂ© « La colĂšre blanche de l’orage ». L’ouvrage nous accueille avec le visage inquiĂ©tant d’un grand aigle accompagnĂ© d’un ciel orageux illuminĂ© par des Ă©clairs. EditĂ© chez Casterman, cet album se compose de soixante-sept planches et se conclue par deux pages consacrĂ©es au chamanisme, thĂšme central de la trame.

Le site BDGest’ propose le rĂ©sumĂ© suivant : « Dans l’un des hĂŽpitaux de la ville de Klowtown, au dĂ©but des annĂ©es soixante, une femme mĂ©decin qui n’est plus toute jeune, Emily, se souvient de l’époque enfuie de sa jeunesse
 Flash-back : en ces temps lointains, au cƓur de la vallĂ©e sauvage menacĂ©e par la poussĂ©e urbaine de Klowtown en plein essor, la jeune Emily a appris Ă  vivre en autarcie avec Yuma, l’indien mutique, et son inquiĂ©tant compagnon ailĂ©, l’aigle Kraa, avec lequel s’est instaurĂ© un lien d’essence chamanique. Au prix de bien des souffrances, paix et tranquillitĂ© semblent enfin rĂ©gner. HĂ©las, ce n’est qu’un leurre. Les travaux de construction du futur barrage viennent juste de commencer ; une menace directe et immĂ©diate pour le paradis jusqu’alors inaccessible d’Emily, Yuma et Kraa. Il est temps pour le rapace et son compagnon de reprendre l’offensive contre les envahisseurs. Et tous les coups sont permis
 »

Une marche vers l’industrialisation

Cet ouvrage n’est pas une ode au chamanisme. Ce n’est pas non plus un documentaire sur cette pratique. Le lien entre Yuma et Kraa est pleinement intĂ©grĂ© dans une intrigue aux enjeux bien plus variĂ©s et complexes. Le propos dĂ©nonce le progrĂšs Ă  tout prix. La construction du barrage n’est vu par certains que comme une marche vers l’industrialisation et les profits gĂ©nĂ©rĂ©s. Le fait que cela dĂ©truise la nature environnante et la communautĂ© humaine et animale qui y vit ne rentre pas du tout en ligne de compte. NĂ©anmoins, je n’ai pas perçu ce discours Ă©cologique ni trop radical ni trop idĂ©ologique. En tout cas, cette revendication ne m’a pas dĂ©rangĂ©.

La narration est vĂ©cue dans les pas de Yuma. Par voie de consĂ©quence, Kraa est Ă©galement trĂšs prĂ©sent. En effet, le concept chamanique veut qu’il ne fasse qu’un et l’auteur arrive particuliĂšrement Ă  transmettre cette dimension fusionnelle. Le deuxiĂšme tome avait introduit Emily et le duo Ă©tait devenu trio avec toutes les complications qui peuvent naĂźtre. Ce nouvel album marque une rupture avec les deux premiers. Nous le vivons Ă  travers le regard et les mots d’Emily qui apparaĂźt donc omnisciente quant au dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements. Elle est maintenant au crĂ©puscule de sa vie et se retourne sur un passĂ© qui l’a marquĂ©e Ă  jamais. Je ne suis pas contre une variation de ton mais je trouve que l’histoire y perd en intensitĂ©. D’une part, ces allers retours entre deux Ă©poques ne permettent pas une immersion complĂšte dans l’univers de Yuma. D’autre part, le fait de voir les Ă©vĂ©nements contĂ©s par un personnage a tendance Ă  Ă©loigner le lecteur du hĂ©ros. La force dramatique qui envahissait chaque page a tendance Ă  ĂȘtre moindre dans « La colĂšre blanche de l’orage ». Bien que tout cela soit menĂ© avec talent, je trouve dommage d’attĂ©nuer l’atmosphĂšre qui Ă©tait incontestablement la plus grande qualitĂ© de la sĂ©rie.

Le scĂ©nario est toujours aussi bien Ă©crit. L’auteur arrive Ă  faire cohabiter les Ă©vĂ©nements liĂ©s Ă  la construction du barrage et la rĂ©volution en marche Ă  l’échelle de la rĂ©gion avec le dĂ©veloppement de ses personnages principaux. Des moments d’action et de suspense cĂŽtoient des scĂšnes plus spirituelles et sensibles. Le dosage n’est pas simple mais habilement gĂ©rĂ© par BenoĂźt Sokal. Sur ce plan-lĂ , la saga fait preuve d’une constante qualitative assez rare et qui se doit d’ĂȘtre signalĂ©e.

Sur le plan graphique, les planches sont de petits bijoux. La capacitĂ© de l’auteur Ă  crĂ©er cette ville de Klowtown Ă  la frontiĂšre de cette nature sauvage dans les annĂ©es vingt. Que ce soit les moments passĂ©s avec Yuma, Kraa et Emily au beau milieu des forĂȘts et des montagnes ou les scĂšnes se dĂ©roulant dans cette citĂ© boueuse et sombre, tout transpire la sueur et la duretĂ©. Les choix de couleur sont particuliĂšrement bien adaptĂ©s pour dĂ©gager des pages une ambiance qui absorbe le lecteur par tous les pores de sa peau. Le travail sur les personnages est Ă©galement remarquable. Aucun protagoniste ne laisse indiffĂ©rent. Certains nous touchent, d’autres nous apeurent ou nous dĂ©goĂ»tent. Une chose est sĂ»re, les temps sont durs et la loi du plus fort semble ĂȘtre la rĂšgle locale.

« La colĂšre blanche de l’orage » conclue merveilleusement ce triptyque qui est amenĂ© Ă  ĂȘtre une Ɠuvre importante du neuviĂšme art. Cette sĂ©rie possĂšde une identitĂ© forte qui la dĂ©marque de bon nombre de western du vingtiĂšme siĂšcle. Je ne peux que vous conseiller de vous offrir cette saga. Le tome coĂ»te seize euros. Je vous assure Ă  ce prix-lĂ  c’est cadeau


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Note : 14/20