Bone, T1 : La forĂȘt sans retour – Jeff Smith

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Titre : Bone, T1 : La ForĂȘt Sans Retour
Scénariste : Jeff Smith
Dessinateur : Jeff Smith
Parution : Septembre 1995


Il y a des jours oĂč des circonstances particuliĂšres vous font dĂ©couvrir des pĂ©pites. Des jours oĂč l’on dĂ©couvre « Bone » et oĂč d’un coup, plus rien n’est pareil. Et pourtant, rien ne m’avait prĂ©parĂ© Ă  un pareil choc tant j’avais pris ce comics Ă  la bibliothĂšque par simple curiositĂ© et envie d’étendre ma culture des comics amĂ©ricains


« Bone » est une sĂ©rie de comics faisant intervenir les bones, des ĂȘtres mi-humains, mi-animaux tout en rondeurs. Cette sĂ©rie compte 11 tomes (ou 9 selon l’édition originale). « La forĂȘt sans retour » est le nom du premier opus.

Ils sont trois cousins, trĂšs diffĂ©rents. Fone Bone, le hĂ©ros, est naĂŻf, honnĂȘte, sensible, romantique… Il est aussi dĂ©pourvu de tout signe distinctif (et tout nu !). De quoi pouvoir parfaitement s’identifier Ă  lui ! Phoney Bone est lui irascible, malhonnĂȘte et toujours prĂȘt Ă  faire un mauvais coup. Il Ă©tait le bone le plus riche de Boneville grĂące Ă  ses nombreuses arnarques. Pour les monter, il utilise souvent Smiley Bone grand et souriant, mais un peu bĂȘte sur les bords.

L’histoire commence alors que les trois bones ont Ă©tĂ© chassĂ©s de Boneville Ă  cause d’une nouvelle malversation de Phoney Bone. Ses cousins l’aident Ă  Ă©chapper Ă  l’ire populaire. Les voilĂ  perdus dans le dĂ©sert. Une attaque de criquets va alors rapidement les sĂ©parer. On suit le pĂ©riple de Fone Bone dĂ©couvrant une vallĂ©e encaissĂ©e et sa forĂȘt. Il va alors s’y retrouver bloquĂ© pour l’hiver et va essayer de retrouver ses cousins.

Un patchwork incroyable d’influences

La force de « Bone » est de ne rien dĂ©voiler trop vite. On commence par dĂ©couvrir les bones, ne sachant trop s’ils sont une reprĂ©sentation des humains ou pas. Puis on dĂ©couvre que les bones peuvent parler avec certains animaux. Puis des monstres apparaissent. Puis des humains. Et ainsi de suite. La complexitĂ© et la fĂ©Ă©rie du monde de Jeff Smith est rĂ©vĂ©lĂ©e au compte-goutte, l’auteur prenant le temps de nous immerger petit Ă  petit dans son univers. Et quel univers ! Car sous ses aspects enfantins indĂ©niables, il y a une noirceur persistente dans cette BD. L’humour est Ă©galement omniprĂ©sent et souvent complĂštement absurde (Ă  l’image de Mamy qui fait des courses contre les vaches
). C’est un patchwork incroyable d’influences, de Disney jusqu’à Tolkien.

L’histoire est trĂšs prenante bien que dans ce premier tome, il ne se passe pas tant de choses que ça. On dĂ©couvre cette vallĂ©e en mĂȘme temps que Fone Bone. Jeff Smith n’hĂ©site pas Ă  passer des pages entiĂšres Ă  faire descendre Fone vers la vallĂ©e, mais Ă  aucun moment on ne s’ennuie.

Le dessin est largement Ă  la hauteur du propos. Etonnamment, il est dans un noir et blanc pur (pas de trames ou de niveaux de gris). Etant donnĂ© l’aspect enfantin du trait, la couleur paraissait un choix Ă©vident. Mais le noir et blanc apporte justement la noirceur qui donne toute sa force Ă  « Bone ». La forĂȘt la nuit est des plus angoissantes avec ces aplats de noir. De plus, le trait de Jeff Smith est incroyable et il aurait Ă©tĂ© dommage de l’attĂ©nuer par de la couleur. Je suis tombĂ© amoureux de ses courbes au pinceau. La souplesse et les courbes des bones, associĂ©s Ă  une expressivitĂ© incroyable des personnages m’ont sĂ©duit plus que de raison. Car Jeff Smith mĂ©lange les styles allĂšgrement pour les besoins de son histoire. Les bones font partie d’un style trĂšs cartoon, enfantin, naĂŻf, alors que Thorn est dessinĂ©e de façon rĂ©aliste. Mamy sera elle dans un style proche de la caricature, et les rat-garous appartiennent Ă  l’univers du cauchemar. Cette facultĂ© Ă  manier et mĂ©langer les styles, tant narratifs que picturaux, est unique. C’est vraiment un plaidoyer contre le cloisonnement des genres.

Au final, ce premier tome de « Bone », introduction Ă  l’univers de Jeff Smith, m’a particuliĂšrement sĂ©duit. MĂȘme s’il s’adresse Ă  des adultes par son double degrĂ© de lecture, il est Ă©vident qu’il parlera d’avantage aux grands enfants, qui ont su garder une part d’imaginaire et de magie en eux (Ă  la maniĂšre d’un Toy Story). Je suis sorti de ma lecture joyeux, Ă©mu et nostalgique. Une vĂ©ritable rĂ©vĂ©lation.

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Note : 19/20

Kraa, T3 : La colĂšre blanche de l’orage – BenoĂźt Sokal

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Titre : Kraa, T3 : La colĂšre blanche de l’orage
Scénariste : Benoßt Sokal
Dessinateur : BenoĂźt Sokal
Parution : Janvier 2014


« Kraa » est le titre d’un triptyque imaginĂ©, scĂ©narisĂ© et dessinĂ© par BenoĂźt Sokal. C’est le nom du crĂ©ateur de « Canardo » qui avait attirĂ© mon regard sur la couverture du premier acte de cette nouvelle aventure il y a presque quatre ans. Je n’ai pas regrettĂ© le voyage dans la lecture des deux premiers Ă©pisodes s’est montrĂ©e intense et envoutante. En janvier dernier, est sorti le dernier tome intitulĂ© « La colĂšre blanche de l’orage ». L’ouvrage nous accueille avec le visage inquiĂ©tant d’un grand aigle accompagnĂ© d’un ciel orageux illuminĂ© par des Ă©clairs. EditĂ© chez Casterman, cet album se compose de soixante-sept planches et se conclue par deux pages consacrĂ©es au chamanisme, thĂšme central de la trame.

Le site BDGest’ propose le rĂ©sumĂ© suivant : « Dans l’un des hĂŽpitaux de la ville de Klowtown, au dĂ©but des annĂ©es soixante, une femme mĂ©decin qui n’est plus toute jeune, Emily, se souvient de l’époque enfuie de sa jeunesse
 Flash-back : en ces temps lointains, au cƓur de la vallĂ©e sauvage menacĂ©e par la poussĂ©e urbaine de Klowtown en plein essor, la jeune Emily a appris Ă  vivre en autarcie avec Yuma, l’indien mutique, et son inquiĂ©tant compagnon ailĂ©, l’aigle Kraa, avec lequel s’est instaurĂ© un lien d’essence chamanique. Au prix de bien des souffrances, paix et tranquillitĂ© semblent enfin rĂ©gner. HĂ©las, ce n’est qu’un leurre. Les travaux de construction du futur barrage viennent juste de commencer ; une menace directe et immĂ©diate pour le paradis jusqu’alors inaccessible d’Emily, Yuma et Kraa. Il est temps pour le rapace et son compagnon de reprendre l’offensive contre les envahisseurs. Et tous les coups sont permis
 »

Une marche vers l’industrialisation

Cet ouvrage n’est pas une ode au chamanisme. Ce n’est pas non plus un documentaire sur cette pratique. Le lien entre Yuma et Kraa est pleinement intĂ©grĂ© dans une intrigue aux enjeux bien plus variĂ©s et complexes. Le propos dĂ©nonce le progrĂšs Ă  tout prix. La construction du barrage n’est vu par certains que comme une marche vers l’industrialisation et les profits gĂ©nĂ©rĂ©s. Le fait que cela dĂ©truise la nature environnante et la communautĂ© humaine et animale qui y vit ne rentre pas du tout en ligne de compte. NĂ©anmoins, je n’ai pas perçu ce discours Ă©cologique ni trop radical ni trop idĂ©ologique. En tout cas, cette revendication ne m’a pas dĂ©rangĂ©.

La narration est vĂ©cue dans les pas de Yuma. Par voie de consĂ©quence, Kraa est Ă©galement trĂšs prĂ©sent. En effet, le concept chamanique veut qu’il ne fasse qu’un et l’auteur arrive particuliĂšrement Ă  transmettre cette dimension fusionnelle. Le deuxiĂšme tome avait introduit Emily et le duo Ă©tait devenu trio avec toutes les complications qui peuvent naĂźtre. Ce nouvel album marque une rupture avec les deux premiers. Nous le vivons Ă  travers le regard et les mots d’Emily qui apparaĂźt donc omnisciente quant au dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements. Elle est maintenant au crĂ©puscule de sa vie et se retourne sur un passĂ© qui l’a marquĂ©e Ă  jamais. Je ne suis pas contre une variation de ton mais je trouve que l’histoire y perd en intensitĂ©. D’une part, ces allers retours entre deux Ă©poques ne permettent pas une immersion complĂšte dans l’univers de Yuma. D’autre part, le fait de voir les Ă©vĂ©nements contĂ©s par un personnage a tendance Ă  Ă©loigner le lecteur du hĂ©ros. La force dramatique qui envahissait chaque page a tendance Ă  ĂȘtre moindre dans « La colĂšre blanche de l’orage ». Bien que tout cela soit menĂ© avec talent, je trouve dommage d’attĂ©nuer l’atmosphĂšre qui Ă©tait incontestablement la plus grande qualitĂ© de la sĂ©rie.

Le scĂ©nario est toujours aussi bien Ă©crit. L’auteur arrive Ă  faire cohabiter les Ă©vĂ©nements liĂ©s Ă  la construction du barrage et la rĂ©volution en marche Ă  l’échelle de la rĂ©gion avec le dĂ©veloppement de ses personnages principaux. Des moments d’action et de suspense cĂŽtoient des scĂšnes plus spirituelles et sensibles. Le dosage n’est pas simple mais habilement gĂ©rĂ© par BenoĂźt Sokal. Sur ce plan-lĂ , la saga fait preuve d’une constante qualitative assez rare et qui se doit d’ĂȘtre signalĂ©e.

Sur le plan graphique, les planches sont de petits bijoux. La capacitĂ© de l’auteur Ă  crĂ©er cette ville de Klowtown Ă  la frontiĂšre de cette nature sauvage dans les annĂ©es vingt. Que ce soit les moments passĂ©s avec Yuma, Kraa et Emily au beau milieu des forĂȘts et des montagnes ou les scĂšnes se dĂ©roulant dans cette citĂ© boueuse et sombre, tout transpire la sueur et la duretĂ©. Les choix de couleur sont particuliĂšrement bien adaptĂ©s pour dĂ©gager des pages une ambiance qui absorbe le lecteur par tous les pores de sa peau. Le travail sur les personnages est Ă©galement remarquable. Aucun protagoniste ne laisse indiffĂ©rent. Certains nous touchent, d’autres nous apeurent ou nous dĂ©goĂ»tent. Une chose est sĂ»re, les temps sont durs et la loi du plus fort semble ĂȘtre la rĂšgle locale.

« La colĂšre blanche de l’orage » conclue merveilleusement ce triptyque qui est amenĂ© Ă  ĂȘtre une Ɠuvre importante du neuviĂšme art. Cette sĂ©rie possĂšde une identitĂ© forte qui la dĂ©marque de bon nombre de western du vingtiĂšme siĂšcle. Je ne peux que vous conseiller de vous offrir cette saga. Le tome coĂ»te seize euros. Je vous assure Ă  ce prix-lĂ  c’est cadeau


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Note : 14/20