Le banc de touche

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Titre : Le banc de touche
Scénariste : Martin Page
Dessinateur : Clément C. Fabre
Parution : Juillet 2012


Quand je vais à un festival de BD, je prends toujours le temps de m’arrêter au stand Vraoum/Warum. Cette jeune maison d’édition propose des livres de qualité et regroupe des auteurs que j’apprécie. J’ai pu ainsi acquérir « Le banc de touche », une bande-dessinée scénarisée par Martin Page et dessinée par Clément C. Fabre. J’ai été attiré avant tout par le dessin de Clément Fabre, que je connaissais par son blog. La lecture de quelques pages m’a convaincu d’acheter l’ouvrage (avec la belle dédicace qui va avec).

Le pitch n’est pas des plus réjouissants : Louis, Charlotte et Darius sont trois adolescents/jeunes adultes dépressifs. Ils passent leur temps à broyer du noir et ils transpirent la désillusion par tous les pores de leur peau. Le tout est organise en strips, majoritairement de quatre cases. Ponctuellement, une planche ou une illustration viennent s’immiscer entre les strips, amenant une mécanique légèrement différente.

Mais pourquoi tant de désespoir ?

C’est donc de l’humour noir qui nous est servi ici. Et honnêtement, si ça ne va pas trop dans votre vie, je ne suis pas sûr que la lecture de cet ouvrage soit avisée. Car en dehors des jeux de mots sur la mort et des remarques morbides, c’est une vraie désillusion sur la vie et les rapports humains qui est mise en lumière. Louis passe son temps à se faire larguer. Il passe plus de temps en chagrin d’amour qu’en couple, se demandant si tout cela vaut le coup. L’humour cynique et désespéré de l’ouvrage fait mouche heureusement et les trouvailles sont nombreuses. Alors que l’on pourrait croire que ces adulescents désespérés tourneraient en rond, les auteurs parviennent à nous surprendre jusqu’au bout. Il y a quand même dans cette désillusion un petit côté « Peanuts ».

L’ouvrage est bien rythmé, alternant strips et illustrations et variant les situations. On regrettera juste que le postulat de départ, trois jeunes gens désespérés, reste un peu inexpliqué. A la fermeture de l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de se demander « mais pourquoi tant de désespoir ?! » 

Le tout est servi par le dessin de Clément Fabre. Son trait est simple et reconnaissable. Bien que souvent il ne se passe pas grand-chose, il parvient à varier les situations pour que le lecteur n’ait pas l’impression de revoir sans cesse la même scène. Quand il possède un peu plus d’espace pour s’exprimer, il montre toute l’étendue de son talent. Sans jamais être tape-à-œil, son dessin est efficace et parfaitement mis en valeur par des couleurs à l’aquarelle magnifiques. Je suis très fan du graphisme de Fabre, à la fois simple et maîtrisé parfaitement.

Au final, j’ai vraiment été séduit par cet ouvrage. L’humour noir m’a parlé et un véritable univers se dégage des discussions des trois personnages. Le graphisme est à la hauteur et renforce d’autant plus les textes. Une belle découverte qui ne me donne qu’une envie : continuer à suivre ces deux auteurs dans leurs prochains ouvrages.

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note4

Salade, tomate, oignon

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Titre : Salade, tomate, oignon
Scénariste : Joseph Safieddine
Dessinateur : Clément Fabre
Parution : Novembre 2015


Lors du festival Quai des Bulles de Saint Malo, j’en ai profité pour obtenir ma troisième dédicace de Clément Fabre. Le dessinateur officiait avec un troisième scénariste différent, ici en la personne de Joseph Saffieddine. « Salade, tomate, oignon » est un recueil de saynètes faisant intervenir deux personnages (parfois plus) en plein dialogue. Les situations sont souvent absurdes et touchent à toutes les couches de notre société. Le tout est publié chez Vide Cocagne.

L’humour de Safieddine touche à l’absurde et peut se faire trash. Àmes sensibles s’abstenir ! Ainsi, l’une des premières scènes est un modèle du genre. Une nana est invitée chez un mec et elle se retrouve dans un immeuble complètement glauque avec des gitans qui attaquent la porte… La plupart du temps, c’est plutôt réussi, même si l’inégalité de qualité est de mise ici. Globalement, on lit avec plaisir les différentes histoires et on sourit devant les réparties des personnages. Mais comme tout ouvrage d’absurde, on reste parfois à côté du chemin devant certains passages.

Un livre tout en dialogues.

Si les chutes ont souvent un intérêt, ce sont les dialogues qui sont mis en avant. Les grandes gueules sont légions, des collègues de bureau en passant par les mecs de banlieue, sans oublier les petites vieilles bien sûr ! Clairement, c’est dans les passages les plus trash que « Salade, tomate, oignon » touche à la grâce. Racisme et misère humaine sont portés à leur paroxysme dans certaines scènes, et c’est là que le livre se déguste pleinement. Hélas, à la lecture des histoires les unes après les autres, une lassitude s’installe devant certaines répétitions. On est moins surpris. Typiquement, « Salade, tomate, oignon » est fait pour être lu aux toilettes, une scène après l’autre.

Concernant le dessin, le trait simple de Clément Fabre est parfaitement adapté aux histoires, essentiellement dialoguées. Il sait donner suffisamment d’expression à ses personnages pour que cela fonctionne. J’étais surpris de ne pas le voir aquareller le tout, mais il a densifié son encrage pour proposer un dessin en noir et blanc très réussi.

De nombreux guests interviennent dans le livre, offrant des personnages aux strips. Honnêtement, j’ai trouvé ça sans intérêt, voir contre-productif. À de rares exceptions près, les styles des dessinateurs ne sont pas du tout adaptés au style de Clément Fabre et se voient comme le nez au milieu de la figure. Plutôt que de transcender les strips, cela gêne la lecture. Dommage.

« Salade, tomate, oignon », comme beaucoup de livres du genre, propose des scènes plus ou moins réussies. L’inégale qualité de l’ensemble n’enlève rien à la puissance de certaines histoires. Un livre qui se lit rapidement, sans prétention.

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note3

Explicite, carnet de tournage – Olivier Milhaud & Clément C. Fabre

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Titre : Explicite, carnet de tournage
Scénariste : Olivier Milhaud
Dessinateur : Clément C. Fabre
Parution : Février 2015


Olivier Milhaud est un ami de John B. Root, réalisateur de films pornographiques. Le voilà un peu dubitatif devant la proposition de ce dernier : jouer dans sa future production ! Certes, ce n’est pas dans des scènes de sexe, mais quand même… Après avoir hésité longtemps, Olivier Milhaud finit par accepter et part dans le sud pour trois jours de tournage où il va découvrir le milieu porno, ses jalousies et son langage cru. Retour de bâton pour John B. Root puisque suite à cette expérience, Olivier Milhaud décide d’en faire un livre, avec la collaboration de Clément C. Fabre au dessin. Comme j’apprécie beaucoup le dessin de ce dernier, il m’était difficile de passer à côté de ce livre ô combien original. Le tout est paru chez Delcourt, dans la collection Mirages pour plus de 120 pages au compteur.

Explicite2« Explicite » est donc un reportage qui n’était pas prévu comme tel. Il ne faut donc pas espérer une grande analyse de fond de comment on tourne un film pornographique. De même, l’auteur n’assiste à aucune scène porno en soit. C’est avant tout la description d’un réalisateur atypique pour le milieu, John B. Root, de ses ambitions et de sa façon de travailler. On y découvre aussi le backstage et c’est ce qui fait tout le sel de l’ouvrage. On ressent parfaitement la gêne d’Olivier Milhaud dans ce milieu, à la fois émoustillé et timide, n’osant trop rien faire ou même regarder. Tout l’inverse des acteurs qu’il croise, dont la pudeur a souvent laissé la place à l’exhibitionnisme. Sans parler du langage bien plus cru que ce dont l’auteur a l’habitude.

Un candide dans le milieu pornographique.

Le livre fonctionne donc avant tout avec son personnage central de candide. Olivier Milhaud découvre le tournage d’un film, le milieu pornographique, les caprices de stars… Il joue donc un rôle parfait pour nous qui apprenons également de tout cela. Et le fait que la bande-dessinée s’échelonne sur trois jours, en un lieu unique, donne un aspect presque théâtral à l’ensemble. Avec beaucoup de choses qui se passent hors champ ! Intelligemment, les auteurs placent toute l’action du point de vue d’Olivier Milhaud. On voit ce qu’il a vu, on entend ce qu’il a entendu : il n’y a aucune projection sur ce qu’il imagine.

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Le tout n’est bien sûr pas dénué d’humour. Outre les clichés qui sont confirmés ou infirmés, de nombreuses situations nous paraissent complètement cocasses. Et que dire d’Olivier Milhaud, complètement en décalage par moment, comme dans cette scène où John B. Root lui demande « mais on dirait que tu as peur de lui ! » et où l’auteur répond « Ben, un peu quand même. » Il faut dire qu’avoir un mec baraqué et tatoué en face, acteur pornographique, ça ne laisse pas indifférent !

Au niveau du dessin, Clément C. Fabre fait des merveilles. J’étais déjà fan de son dessin et de ses couleurs et là il m’a bluffé. Les cases sont détaillées, les décors riches, le dessin dynamique. Quand à sa colorisation à l’aquarelle, elle retranscrit parfaitement l’ambiance du sud ! Son dessin tout en douceur permet d’atténuer aussi la crudité de certains propos et de rendre d’autant plus humain cette expérience. Voilà un dessinateur que j’espère retrouver au plus vite !

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« Explicite » est une bande-dessinée de reportage originale, fortement teintée d’autobiographie. Et ce cela qui fait sa force. Doté d’un ton à la fois cru et bon enfant, les deux auteurs sont au diapason pour parler d’un sujet peu évident avec finalement beaucoup de légèreté. Du beau travail.

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Note : 15/20