Kraa, T2 : L’Ombre de l’Aigle – Benoît Sokal

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Titre : Kraa, T2 : L’Ombre de l’Aigle
Scénariste : Benoît Sokal
Dessinateur : Benoît Sokal
Parution : Janvier 2012


Benoît Sokal, auteur de la série « Canardo », avait surpris son monde avec la sortie du premier tome de « Kraa » où son talent de dessinateur explosait dans une histoire totalement dénuée d’humour et froide comme la lame d’un couteau. La sortie du deuxième tome de ce triptyque, « L’ombre de l’aigle » confirme la grande qualité de cette série.

Dans un coin reculé de la planète, entre Alaska et Sibérie, un territoire devient la source de convoitises. Un relatif réchauffement local et des minerais précieux dans le sous-sol attirent tous les aventuriers avides de richesses rapidement gagnées. Mais ce n’est pas si simple. Dans la ville nouvelle, tout va trop vite. L’hiver est rude, rendant le travail impossible. Et la nature reste incontrôlée. Démarrent alors de grands travaux destinés à ériger un barrage à la sortie d’une vallée encaissée. Ainsi, les inondations issues du dégel seront contrôlées et de l’électricité sera produite en grosse quantité. Dans cette vallée perdue vivait une tribu indienne, massacrée depuis. Et surtout, il y a cet aigle géant, vénéré auparavant comme un dieu, que la civilisation veut faire disparaître…

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Le premier tome de « Kraa » était avant tout basé sur la relation entre le garçon et l’aigle. Ici, l’hiver a continué son processus d’assimilation et le jeune autochtone est devenu complètement sauvage. Ainsi, le couple fondateur de la série est très en retrait, laissant la place à la jeune infirmière à peine entrevue dans le premier tome. Celle-ci va devoir se rendre dans la vallée, sur les lieux des travaux, à ses risques et périls…

Plus que l’aigle, ce sont les vautours qui sont à l’honneur.

Curieux choix de Sokal de mettre de côté son aigle dans cette partie. Cependant, cette décision n’en est pas mauvaise pour autant. La galerie des personnages s’étoffe et se fait plus pertinente. Car plus que l’aigle, ce sont les vautours qui sont à l’honneur. Le véritable sujet est cette ruée vers l’or et ses conséquences. Et c’est remarquablement traité. Les désillusions, la pauvreté, la misère, les prises de risques… On s’en bien que ce monde en devenir ne peut que s’écrouler. La dureté de cet univers est omniprésente. La violence est partout, tout le temps. Le fait de démarrer ce tome dans la ville donne d’autant plus l’impression que la vallée est tout sauf accueillante. Et pourtant, cette ville est déjà sacrément désagréable pour ses habitants…

La narration reste efficace mais plus classique. Les parties narratives, données par l’aigle, sont plus rares alors qu’elles étaient vraiment la pierre angulaire du premier tome. Tout passe par l’action et le dialogue désormais.

Le dessin de Sokal, en couleur directe, est une nouvelle fois splendide. Outre les paysages magnifiques qui sont une véritable invitation au voyage, les personnages ont de vraies trognes, donnant beaucoup de personnalité à l’ensemble. L’auteur semble très à l’aise pour tout et produit à coup sûr l’une des bande-dessinées les plus belles de l’année.

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Avec « Kraa », Sokal a créé un monde original, dur et implacable. Passionnant de bout en bout, doté d’un vrai suspense, il prend le temps de bâtir toute une série de personnages et de problématiques avant le troisième tome qui clora la série. Difficile encore de savoir où il veut vraiment en venir, mais « Kraa » s’annonce d’ors et déjà comme un chef d’œuvre.

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Note : 18/20

Kraa, T1 : La Vallée Perdue – Benoît Sokal

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Titre : Kraa, T1 : La Vallée Perdue
Dessinateur : Benoît Sokal
Scénariste : Benoît Sokal
Parution : Septembre 2010


 J’ai découvert par hasard le dernier album de Benoît Sokal, intitulé « Kraa » et sous-titrée « La vallée perdue ». Sokal s’est fait connaître notamment par la série Canardo. Très typée franco-belge (tout en rondeur, en traits noirs et en couleurs vives), cette série vaut surtout pour son humour. Avec « Kraa », on change complètement d’univers.

L’histoire de « Kraa » se situe entre la Sibérieet l’Alaska, dans une vallée encaissée. Suite à un réchauffement climatique, cette vallée devient économiquement exploitable. L’homme moderne vient alors s’y installer, rêvant de richesses. Or, la vallée est habitée par une tribu indienne, où déjà l’influence du colonisateur se fait sentir. Cependant, les indiens vivent en harmonie avec la nature qui les entoure. Pour l’instant…

kraa1bKraa est le nom d’un aigle. Il est l’un des deux héros de l’album. En effet, il créera un lien particulier avec Yuma, un jeune indien. Ensemble, ils représentent ce que le nouveau monde ne veut plus : la nature sauvage et les autochtones, freins à l’expansion économique et industrielle.

De véritables tableaux.

Ce qui marque dès les premières pages, c’est le dessin. Il est simplement magnifique d’un bout à l’autre. On ne retrouve pas du tout le dessinateur de Canardo ! Les traits sont moins appuyés, les couleurs moins vives et le tout est simplement superbe. Mention spécial aux paysages vides et au personnage de l’aigle, plus vrai que nature. On retrouve un peu les ambiances et les teintes d’albums de Sokal plus anciens comme « L’Amerzone » ou « La Mort Douce ». Rien que pour son dessin, cet album vaut le coup. Certaines cases sont de véritables tableaux.

Heureusement, l’histoire n’est pas en reste. La relation entre Kraa et Yuma est remarquablement rendu par une narration différente. Ainsi, Kraa est le point de vue du narrateur, la « voix-off » de l’album. Ses discours de départ sont particulièrement cruels, mélange d’instinct et de cruauté. En cela, il n’est pas particulièrement sympathique. Bien sûr, son lien avec Yuma le rendra beaucoup plus « humain ». Cette évolution est loin d’être immédiate. En cela, elle est réussie. Yuma est l’opposé de Kraa. Très attaché aux valeurs traditionnelles indiennes, il est très généreux. Une perle d’humanité dans un monde qui ne l’est pas du tout.

Sokal prend le temps de poser son sujet. Ainsi, ce tome qui introduit les protagonistes fait 94 pages. Cela permet aux personnages d’évoluer à un rythme cohérent. De plus, les cases sont souvent grandes pour permettre à son dessin de s’exprimer pleinement.

Au final, cet album est une excellente surprise. J’ai eu le plaisir de retrouver les ambiances malsaines de fin du monde de l’Amerzone traitées avec un dessin magnifique. Je ne peux évidemment que vous le conseiller et attendre avec impatience le prochain tome !

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Note 17/20

Kraa, T3 : La colère blanche de l’orage – Benoît Sokal

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Titre : Kraa, T3 : La colère blanche de l’orage
Scénariste : Benoît Sokal
Dessinateur : Benoît Sokal
Parution : Janvier 2014


« Kraa » est le titre d’un triptyque imaginé, scénarisé et dessiné par Benoît Sokal. C’est le nom du créateur de « Canardo » qui avait attiré mon regard sur la couverture du premier acte de cette nouvelle aventure il y a presque quatre ans. Je n’ai pas regretté le voyage dans la lecture des deux premiers épisodes s’est montrée intense et envoutante. En janvier dernier, est sorti le dernier tome intitulé « La colère blanche de l’orage ». L’ouvrage nous accueille avec le visage inquiétant d’un grand aigle accompagné d’un ciel orageux illuminé par des éclairs. Edité chez Casterman, cet album se compose de soixante-sept planches et se conclue par deux pages consacrées au chamanisme, thème central de la trame.

Le site BDGest’ propose le résumé suivant : « Dans l’un des hôpitaux de la ville de Klowtown, au début des années soixante, une femme médecin qui n’est plus toute jeune, Emily, se souvient de l’époque enfuie de sa jeunesse… Flash-back : en ces temps lointains, au cœur de la vallée sauvage menacée par la poussée urbaine de Klowtown en plein essor, la jeune Emily a appris à vivre en autarcie avec Yuma, l’indien mutique, et son inquiétant compagnon ailé, l’aigle Kraa, avec lequel s’est instauré un lien d’essence chamanique. Au prix de bien des souffrances, paix et tranquillité semblent enfin régner. Hélas, ce n’est qu’un leurre. Les travaux de construction du futur barrage viennent juste de commencer ; une menace directe et immédiate pour le paradis jusqu’alors inaccessible d’Emily, Yuma et Kraa. Il est temps pour le rapace et son compagnon de reprendre l’offensive contre les envahisseurs. Et tous les coups sont permis… »

Une marche vers l’industrialisation

Cet ouvrage n’est pas une ode au chamanisme. Ce n’est pas non plus un documentaire sur cette pratique. Le lien entre Yuma et Kraa est pleinement intégré dans une intrigue aux enjeux bien plus variés et complexes. Le propos dénonce le progrès à tout prix. La construction du barrage n’est vu par certains que comme une marche vers l’industrialisation et les profits générés. Le fait que cela détruise la nature environnante et la communauté humaine et animale qui y vit ne rentre pas du tout en ligne de compte. Néanmoins, je n’ai pas perçu ce discours écologique ni trop radical ni trop idéologique. En tout cas, cette revendication ne m’a pas dérangé.

La narration est vécue dans les pas de Yuma. Par voie de conséquence, Kraa est également très présent. En effet, le concept chamanique veut qu’il ne fasse qu’un et l’auteur arrive particulièrement à transmettre cette dimension fusionnelle. Le deuxième tome avait introduit Emily et le duo était devenu trio avec toutes les complications qui peuvent naître. Ce nouvel album marque une rupture avec les deux premiers. Nous le vivons à travers le regard et les mots d’Emily qui apparaît donc omnisciente quant au déroulement des événements. Elle est maintenant au crépuscule de sa vie et se retourne sur un passé qui l’a marquée à jamais. Je ne suis pas contre une variation de ton mais je trouve que l’histoire y perd en intensité. D’une part, ces allers retours entre deux époques ne permettent pas une immersion complète dans l’univers de Yuma. D’autre part, le fait de voir les événements contés par un personnage a tendance à éloigner le lecteur du héros. La force dramatique qui envahissait chaque page a tendance à être moindre dans « La colère blanche de l’orage ». Bien que tout cela soit mené avec talent, je trouve dommage d’atténuer l’atmosphère qui était incontestablement la plus grande qualité de la série.

Le scénario est toujours aussi bien écrit. L’auteur arrive à faire cohabiter les événements liés à la construction du barrage et la révolution en marche à l’échelle de la région avec le développement de ses personnages principaux. Des moments d’action et de suspense côtoient des scènes plus spirituelles et sensibles. Le dosage n’est pas simple mais habilement géré par Benoît Sokal. Sur ce plan-là, la saga fait preuve d’une constante qualitative assez rare et qui se doit d’être signalée.

Sur le plan graphique, les planches sont de petits bijoux. La capacité de l’auteur à créer cette ville de Klowtown à la frontière de cette nature sauvage dans les années vingt. Que ce soit les moments passés avec Yuma, Kraa et Emily au beau milieu des forêts et des montagnes ou les scènes se déroulant dans cette cité boueuse et sombre, tout transpire la sueur et la dureté. Les choix de couleur sont particulièrement bien adaptés pour dégager des pages une ambiance qui absorbe le lecteur par tous les pores de sa peau. Le travail sur les personnages est également remarquable. Aucun protagoniste ne laisse indifférent. Certains nous touchent, d’autres nous apeurent ou nous dégoûtent. Une chose est sûre, les temps sont durs et la loi du plus fort semble être la règle locale.

« La colère blanche de l’orage » conclue merveilleusement ce triptyque qui est amené à être une œuvre importante du neuvième art. Cette série possède une identité forte qui la démarque de bon nombre de western du vingtième siècle. Je ne peux que vous conseiller de vous offrir cette saga. Le tome coûte seize euros. Je vous assure à ce prix-là c’est cadeau…

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Note : 14/20