Titre : De Profundis
Scénariste : Chanouga
Dessinateur : Chanouga
Parution : Avril 2011
« Quelque part entre Ceylan et BornĂ©o, des pĂȘcheurs racontent avoir autrefois ramenĂ© dans leurs filets un drĂŽle de naufragĂ©, une Ă©trange crĂ©ature chassĂ© du pays des sirĂšnes ». VoilĂ ce que lâon peut lire en quatriĂšme de couverture de « De profundis », premiĂšre bande-dessinĂ©e scĂ©narisĂ©e et dessinĂ©e par Chanouga. Sous-titrĂ© « lâĂ©trange voyage de Jonathan Melville », elle raconte lâhistoire incroyable de ce marin.
Jonathan Melville est marin. Alors quâil navigue sur une mer paisible, un typhon gigantesque et imprĂ©visible fait son apparition. Pris en pleine tempĂȘte, il va passer par-dessus bord et se retrouver sur une Ăźle non-rĂ©pertoriĂ©, sauvĂ© par deux jeunes filles Ă lâair faussement innocent.
Ce roman graphique dâune centaine de pages est construit selon un procĂ©dĂ© de narration bien connu : Jonathan Ă©crit une lettre Ă sa belle dans laquelle il raconte ses pĂ©ripĂ©ties. Le tout est donc articulĂ© autour de flashbacks, bien que la chronologie reste respectĂ©e dans lâensemble. On nâa aucun problĂšme Ă suivre les Ă©vĂšnements.
Une fable noire, Ă l’onirisme perpĂ©tuel.
« De profundis » est avant tout une fable bien noire. Son onirisme perpĂ©tuel nous plonge dans une ambiance sombre et malsaine. A force de douter du rĂ©el en permanence, on finit par se demander si, finalement, le rĂȘve nâest pas complĂštement absent de ce rĂ©cit fantastique. Ainsi, cet ouvrage tient avant tout par son ambiance particuliĂšre, qui la renvoie aux contes les plus glauques de notre enfance. Une forme de retour aux sources en quelque sorte.
LâomniprĂ©sence de la narration donne un aspect trĂšs littĂ©raire Ă cette bande-dessinĂ©e. Chanouga possĂšde une belle plume, ce qui renforce lâimpression que le personnage nous Ă©crit sa lettre. Un peu comme si nous avions trouvĂ© une bouteille lancĂ©e Ă la mer et que nous dĂ©couvrions son contenu. Nous nous retrouvons dans la peau de sa femme, rĂ©alisant ce qui est arrivĂ© Ă son mari.
En marge des textes, la contemplation est trĂšs prĂ©sente. Les dialogues restent limitĂ©s et lâobservation des paysages et des personnages se taille une part importante du gĂąteau. LâĂ©quilibre entre action, dialogues, narration et contemplation est vraiment bien dosĂ©, et ce sur les 100 pages. Le rythme de lâouvrage sâen retrouve trĂšs bien Ă©quilibrĂ©.
Difficile de passer Ă cĂŽtĂ© du travail graphique de « De Profundis ». Câest simplement magnifique. Lâauteur garde son crayonnĂ©, sans lâencrer. Cela donne un aspect « dessin » Ă lâensemble, dâune grande richesse. Les couleurs sont splendides et sâaccordent parfaitement Ă cette technique. Dâailleurs, la couleur participe grandement aux ambiances du livre, changeant souvent de tonalitĂ© selon les scĂšnes. Les paysages sont parfois de vĂ©ritables tableaux.
Les personnages ne sont pas en reste. Outre les deux « sirĂšnes », aux airs faussement innocents (et terriblement sensuel !), la petite sirĂšne est parfaitement rĂ©ussie Ă©galement. Sans en rĂ©vĂ©ler trop sur lâhistoire, le travail sur les personnages par Chanouga se rĂ©vĂšle trĂšs subtil. Une seule particularitĂ©, dessinĂ©e sans excĂšs, entraĂźne un malaise immĂ©diat. Un peu comme si le lecteur sâapercevait dâune anomalie comme le personnage, se demandant sâil a bien vu ce quâil a cru voir.
Pour une premiĂšre bande-dessinĂ©e, « De Profundis » est un coup de maĂźtre ! Ambiance glauque, suspense haletant, narration de haute volĂ©e, dessin splendide et personnel⊠Ce roman graphique est un bijou plein de poĂ©sie. Certes, cela ne plaira pas Ă tout le monde tant lâambiance est particuliĂšre, mais cette fable marine mĂ©rite le coup dâĆil. Et plutĂŽt deux fois quâune !