Titre : Le Grand Mort, T6 : Brèche
Scénariste : Régis Loisel & Jean-Blaise Djian
Dessinateur : Vincent Mallié
Parution : Novembre 2015
« Le Grand Mort » est une série née il y a presque dix ans. Elle est le fruit de la collaboration entre Régis Loisel, Jean-Blaise Djian, Vincent Mallié et François Lapierre. C’est le premier auteur cité qui a attiré mon regard sur cette nouvelle aventure. Son travail sur « La Quête de l’oiseau du temps » m’a suffisamment conquis pour que je ne sois pas indifférent à une nouvelle parution signée de son nom. Le premier tome « Larmes d’abeille » était plutôt réussi. Les personnages étaient attachants, l’univers agréable, l’atmosphère dépaysante et les enjeux intrigants. Cet attrait a été consolidé par la lecture de l’opus suivant. Hélas, le troisième acte marque un effritement de la qualité du scénario à mes yeux. La trame est alors diluée et chaque nouvel album ne voit pas beaucoup avancer le schmilblick. Cette évolution a eu tendance à me frustrer et à me rendre pessimiste quant à l’issue de cette intrigue. Néanmoins, je suis un lecteur toujours fidèle et me suis quand même offert le sixième tome sorti en novembre dernier. Intitulé « Brèche », il est de mon point de vue la dernière chance pour l’histoire de trouver l’ampleur que son introduction avait laissée supposer il y a quelques années.
La trame se construit sur l’interaction entre deux univers parallèles. Le premier est le nôtre tel qui nous est familier. Le second est celui du petit peuple et s’avère être un monde fantastique. De l’équilibre entre ces deux sphères semble dépendre la survie de l’ensemble. Pauline et Erwan ont la particularité d’avoir voyager de l’un à l’autre. La première est revenue de son périple enceinte et a donné naissance à Blanche, une enfant bien différente des autres. Sa croissance est exponentielle et surtout elle terrorise chaque personne qui la croise. Sa capacité à provoquer la mort est effrayante. Depuis son arrivée, une ambiance d’Armageddon habite la réalité des héros. Qui est réellement Blanche ? Quel est son rôle ? J’espère que ma lecture m’offrira quelques bribes de réponses à ces interrogations…
Un sentiment de fin du monde.
Ce nouvel opus ouvre sur une matinée ensoleillée. Elle fait suite à une journée cataclysmique qui a vu la nature et les éléments se montrer bien agressifs avec la population locale. A leur réveil, Pauline et son amie Gaëlle découvre un monde détruit. L’électricité est coupée, les routes défoncées, les commerces vandalisés… La société semble faire un bond dans le passé : les communications sont impossibles, les moyens de locomotion sont inutilisables… Nous pourrions espérer que les protagonistes découvrent le calme avant la tempête. Hélas, l’atmosphère qui abrite les planches laisse davantage croire à une légère accalmie précédant une catastrophe d’une plus grande ampleur encore.
Ce sentiment de fin du monde se traduit de plusieurs manières différentes. La première est le retour à la sauvagerie. Des scènes dures témoignent que la société voit ses codes fragilisés. En ces temps difficiles, la solidarité semble mise à mal au profit de l’égoïsme et de l’animalité de certains. Je trouve cet aspect assez intéressant et plutôt bien transcrit par les textes et les illustrations des auteurs.
Parallèlement à Pauline et Gaëlle, Erwan et Blanche vivent une relation plus conflictuelle que jusqu’alors. Le jeune homme se rend bien compte que l’enfant est la cause des catastrophes qui se succèdent à un rythme effréné. Il a conscience que la situation actuelle est également liée aux événements se déroulant dans l’autre monde. Erwan s’agace de ne pas maîtriser la situation. Ses interrogations sont les mêmes que celles qui nous habitent depuis de nombreux tomes. Cette interaction entre les attentes du lecteur et celles du héros est une réussite. Elle nous permet de gérer plus facilement la frustration qui nous accompagnait lors de la découverte des tomes précédents.
Une partie de l’histoire nous immerge dans l’univers du petit peuple. Elle se veut très didactique quant aux événements antérieurs. Les prêtresses se retrouvent et s’expliquent sur le choix fait par l’une d’entre elles de faire naître un enfant dans chaque monde dans le but d’en faire le lien entre les deux mondes. Cet aspect de la trame est plus platonique sur le plan émotionnel. Il semble être une introduction préparatoire à un combat majeur qui devrait décider de l’équilibre à venir entre tout le monde.
Sur le plan graphique, le trait de Vincent Mallié s’inscrit pleinement dans la lignée de celui de Régis Loisel. Je prends toujours énormément de plaisir à découvrir ces superbes planches. Les décors ruraux et forestiers sont particulièrement bien rendus avec l’aide d’un travail de coloriste très sérieux et appliqué. Je dois même avouer que je trouve que le dessin mériterait un scénario plus dense et dramatique pour exploiter pleinement le potentiel de Mallié.
Pour conclure, « Brèche » est un opus honnête. J’ai tendance à être positif à son égard car je le trouve bien meilleur que les trois précédents. Néanmoins, le sentiment de voir l’intrigue sous-exploitée existe toujours. J’espère qu’il disparaitra lors de la découverte du prochain tome. Mais cela est une autre histoire… En attendant, cette série se lit aisément et offre un moment de divertissement sympathique sans pour autant bouleversé son lecteur…