Lincoln, T8 : Le démon des tranchées


Titre : Lincoln, T8 : Le démon des tranchées
Scénariste : Olivier Jouvray
Dessinateur : Jérôme Jouvray
Parution : Août 2013


Lincoln est une série que j’ai découverte il y a quelques années. Les échos que j’en avais eus étaient très positifs. Que ce soit dans la presse spécialisée ou sur la blogosphère bédéphile, chaque nouvelle parution était accompagnée d’éloges certains. Tout cela m’avait donc incité à m’offrir les premiers épisodes. J’y avais découvert un personnage original et un principe narratif à potentiel. La lecture des aventures de ce cowboy était agréable sans pour autant atteindre l’enthousiasme attendu. Malgré tout, je continue à guetter l’apparition de  chaque nouvelle pérégrination de ce héros et de son mauvais caractère. La dernière en date s’intitule Le démon des Tranchées. Sa parution aux éditions Paquet date du 21 août dernier. La couverture nous présente un Lincoln au regard fou et possédé aux abords d’une tranchée. Le ciel est éclairé par les explosions d’obus. A priori, le lecteur est parti pour vivre la première Guerre Mondiale à travers le regard de cet américain blasé et accompagné de Dieu et du Diable. Tout un programme !

Dieu et le diable ont d’autres vues…

La quatrième est habitée par un dialogue entre Dieu et le Diable dans une tranchée sous l’assaut de l’ennemi allemand : « – Si tu t’étais appliqué quand t’as créé le genre humain pour qu’il soit parfait j’aurais compris ! Mais là tu nous as bâclé des singes stupides qui passent leur temps à se foutre sur la gueule. Et toi, t’as rien trouvé de mieux que de leur filer le libre arbitre ? C’est n’importe quoi ! – Ah parce que tu crois que c’est facile ? Vas-y toi, fais ta propre création si t’es si malin. »

Initialement, Lincoln est un cowboy comme a priori tant d’autres. Sa vie va prendre un tournant important le jour où Dieu décide d’en faire un justicier. Il décide de le rendre immortel dans le but de le voir aider la veuve et l’orphelin. Le nouveau sauveur des opprimés accepte le contrat. Il faut dire que la perspective de ne pas mourir est attrayante. Mais Dieu va s’arracher les cheveux en découvrant que son élu n’a pas l’âme charitable naturellement. S’ensuit donc des aventures dans lesquelles Dieu et son protégé sont en conflit perpétuel quant à l’attitude à avoir en toute situation. En effet, l’amour de l’alcool et de l’argent n’est pas toujours compatible avec le rôle de chevalier… L’idée est, à mes yeux, excellente. Le personnage de Lincoln est bien écrit. Son côté bougon et égoïste en fait un héros original qui tord le cou aux codes habituels. De plus, voir Dieu sous les traits d’un petit vieux qui peut apparaitre à tout moment offre des dialogues décalés souvent savoureux.

Cet épisode décide de plonger son héros dans les tranchées. Nous sommes en 1917, les américains s’apprêtent à débarquer gagner la guerre. On découvre Lincoln en route vers les côtes normandes. Son objectif n’est évidemment pas de sauver le monde. Il a pour but d’accumuler des sous en gagnant au poker ou en exploitant le marché noir. Ensuite, il sera temps de se trouver un coin de France bien tranquille pour mener une belle vie. Évidemment, rien ne se passe comme il l’espère car Dieu et le Diable ont d’autres vues.

L’immersion de Lincoln au beau milieu du conflit européen permet à l’intrigue d’offrir un nouveau décor et de nouveaux enjeux au quotidien de ce cowboy. Ce choix scénaristique permet à la série de ne pas tomber dans une trop grande routine narrative. Le caractère nombriliste du héros prend une ampleur toute particulière mis en perspective avec les enjeux des événements qui l’entourent. Les auteurs arrivent à exploiter plus que correctement le cheminement décalé de leur personnage principal au milieu d’un débarquement ou des guerres de tranchée. Il s’agit d’un des aspects les mieux construits de cet ouvrage. Le lecteur est sidéré par l’indifférence presque rationnelle de Lincoln à l’égard de son environnement.

Au-delà du contexte géographique et historique original, l’album se construit en utilisant la même recette que les opus précédents. Lincoln pense à lui, Dieu pense aux autres et le Diable crée la discorde entre les deux loulous. Le dilemme se construit autour de la mise aux arrêts d’un soldat américain. Ce dernier est accusé par sa hiérarchie d’avoir piqué dans les stocks de nourriture dont il est responsable. Le vrai coupable est Lincoln qui revendait ses prises aux habitants locaux. Il veut maintenant disparaitre dans la nature avec son pactole. Dieu ne veut pas le laisser abandonner son collègue prisonnier à tort. A mes yeux, les grandes discussions entre Dieu et son protégé sont les meilleurs moments de la lecture. Ils sont pleins de second degré et le ton décalé des propos font bien souvent sourire. Cette relation est le terreau humoristique de l’histoire. Je trouve d’ailleurs dommage qu’une partie des pérégrinations de Lincoln en France se fasse sans Dieu et le Diable à ses côtés. Cela fait perdre ponctuellement la dimension divertissante de l’ensemble.

L’intrigue est plutôt bien construite. Les événements s’enchaînent plutôt bien. Les rebondissements narratifs sont plutôt réussis et sont équitablement répartis au fur et à mesure que l’histoire se déroule. Je ne peux pas dire qu’il s’agit d’un monument d’originalité et que je suis allé de surprise en surprise. Néanmoins, tout est suffisamment dosé pour la lecture s’avère prenante et divertissante. Malgré ses nombreux défauts, Lincoln est un personnage qui dégage une empathie à son égard. Malgré l’amoralité de ses objectifs de vie, j’étais toujours solidaire de lui lorsque tout ne se passait pas comme il le souhaitait. J’avais tendance à reprocher à un certain nombre de tomes de cette série d’offrir une trame brouillonne ou répétitive. Le démon des Tranchées échappe à ce défaut et c’est appréciable. Il est néanmoins dommage que les auteurs n’arrivent pas encore pleinement à faire cohabiter le côté décalé de Dieu & Cie avec une intrigue dense et surprenante. Mais je reste très optimiste quant à l’évolution de cette saga.

Un des domaines sur lequel la série a le plus progressé est celui du dessin. Je trouve que le travail de Jérôme Jouvray est en nette amélioration. Les cases sont davantage travaillées. Les premiers albums étaient très voire trop épurés sur le plan des décors. Ce n’est plus du tout le cas. Les planches sont plus denses et détaillées. Cela permet aux acteurs d’habiter un environnement plus habité et moins factice. En tant que lecteur, cela permet une immersion plus profonde dans l’histoire.

Au final, Le Démon des Tranchées, sans être le meilleur de la série, est un bon cru. J’ai pris énormément de plaisir à suivre les aventures françaises de ce cowboy typiquement américain. L’histoire ne souffre d’aucun temps mort et à aucun moment l’ennui ne m’a gagné. Cet opus peut se lire indépendamment des autres épisodes de la série. Malgré tout  il me parait plus judicieux de lire les albums dans l’ordre afin de profiter pleinement des relations entre Lincoln avec ses deux envahissants compagnons de route. Je conseille donc cet ouvrage aux adeptes de lecture légère et divertissante. Il fait passer un bon moment et ce n’est déjà pas si mal…

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