Magasin sexuel, T1 – Turf

MagasinSexuel


Titre : Magasin sexuel, T1
Scénariste : Turf
Dessinateur : Turf
Parution : Mars 2011


Lorsque l’on nomme son livre « Magasin sexuel » (francisation du fameux sex shop), on gĂ©nĂšre forcĂ©ment des attentes chez le lecteur. Celui-ci s’attend Ă  un contenu coquin, voire sulfureux
 Turf cherche ici le dĂ©calage. Dans une petite bourgade de campagne, un sex shop ambulant s’installe Ă  la foire une fois par semaine. De quoi bousculer la vie de ses habitants ? Le tout est construit en diptyque chez Delcourt au format classique d’un 48 pages.

L’ouvrage fait dans l’opposition de style. Il y a d’abord le maire, Orloff, sorti tout droit des aventures de Spirou tant il ressemble au maire de Champignac graphiquement. C’en est gĂȘnant. Il est donc rĂ©ac comme pas possible et assez bĂȘte. Mais il va s’éprendre de la jolie Amandine qui tient le sex shop. Mais elle n’est pas pour autant trĂšs coquine. Seuls ses vĂȘtements courts suggĂšrent une libĂ©ration sexuelle, mais cela ne va pas plus loin. Ses motivations pour le mĂ©tier sont floues (elle prĂ©fĂšre vendre des godemichĂ©s plutĂŽt que des bottes en caoutchouc
 Soit !).

Pas de réel enjeu malgré le thÚme.

MagasinSexuel1aCe premier tome pose des jalons mais n’avance pas beaucoup. Le passĂ© de la jeune fille se dĂ©voile mais sans vraiment nous toucher. Il n’y a pas de rĂ©el enjeu et la description de la campagne, qui se veut humoristique, manque cruellement de sel. Si bien que l’humour tombe Ă  plat systĂ©matiquement. Que dire de ce bistrot vide oĂč va boire le maire ? On y imagine dĂ©jĂ  des scĂšnes vivantes avec des habituĂ©s, mais rien ici. Le thĂšme est effleurĂ© et le pitch de dĂ©part reste inexploitĂ©. Dommage, car il y aurait de la matiĂšre Ă  aller plus loin.

Au niveau du dessin, Turf possĂšde un style particulier qui m’a peu sĂ©duit au final. C’est trĂšs (trop ?) colorĂ©, plein de rose et de couleurs saturĂ©es. On voit par contre qu’il a plaisir de dessiner Amandine, dont il brosse les jambes avec dĂ©lice. MalgrĂ© tout, Turf propose un ensemble cohĂ©rent avec son sujet, qu’il traite avec lĂ©gĂšretĂ©.

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J’ai Ă©tĂ© trĂšs déçu par ce « Magasin sexuel ». Trop lĂ©ger et diluĂ©, il finit comme une description caricatural de la campagne. Mais il aurait fallu en mettre une couche de plus pour en faire un ouvrage plus percutant. L’humour ne touche pas, les Ă©motions sont rares
 Le tout se lit sans forcĂ©ment s’ennuyer mais on se demande un peu l’intĂ©rĂȘt de tout cela en fin de tome. Peut-ĂȘtre que le deuxiĂšme opus apportera des rĂ©ponses à cette interrogation ?

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Note : 8/20

Les chroniques d’un maladroit sentimental, T1 : Petit bĂ©guin & gros pĂ©pins – Vincent Zabus & Daniel Casanave

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Titre : Les chroniques d’un maladroit sentimental, T1 : Petit bĂ©guin & gros pĂ©pins
Scénariste : Vincent Zabus
Dessinateur : Daniel Casanave
Parution : Janvier 2013


Le profil du cĂ©libataire trentenaire soumis Ă  des crises d’angoisse et Ă  une timiditĂ© maladive est devenu ces derniĂšres annĂ©es un grand classique. Lorsque Vincent Zabus (au scĂ©nario) et Daniel Casanave (au dessin) s’attaque au sujet dans « Les chroniques d’un maladroit sentimental », il va falloir qu’ils sortent du lot. Mais comment, sur un sujet aussi banal et rĂ©current, se dĂ©marquer ? PubliĂ© chez Vent d’ouest, ce premier tome intitulĂ© « Petit bĂ©guin & gros pĂ©pins », est prĂ©sentĂ© sous le format album classique. C’est la prĂ©sence de Casanave au dessin qui m’a convaincu de m’approprier le livre.

Tout commence par un rendez-vous. GĂ©rard Latuile a rencard avec une certaine Florence. Il nous explique alors que d’habitude il est trĂšs maladroit, qu’il a ratĂ© ses autres relations. GĂ©rard n’hĂ©site pas Ă  parler directement au lecteur, donnant le ton de la BD. De mĂȘme, de nombreux personnages n’hĂ©sitent pas Ă  intervenir dans l’histoire de façon complĂštement absurde comme la mĂšre dans la salle de bain pendant une crise d’angoisse ou alors GĂ©rard plus vieux. Ce mĂ©lange entre l’histoire en elle-mĂȘme et toutes ces apparitions/interventions qui la « parasitent » donnent un ensemble original, un peu bordĂ©lique, mais surtout trĂšs attachant. Et c’est lĂ  que se trouve tout l’intĂ©rĂȘt de l’ouvrage.

Une comédie romantique.

« Les chroniques d’un maladroit sentimental » est avant tout une comĂ©die romantique. Le ton est toujours lĂ©ger, GĂ©rard Ă©tant une sorte d’ingĂ©nu sacrĂ©ment romantique. Ainsi, l’humour distillĂ© est trĂšs rĂ©ussi. On verra GĂ©rard trĂšs Ă©tonnĂ© d’ĂȘtre attirĂ© par Florence car elle a une petite poitrine alors qu’il a toujours Ă©tĂ© attirĂ© par les femmes Ă  forte poitrine. « Elle me plaĂźt quand mĂȘme, c’est dingue » se dit-il ! Mais surtout, l’homme fantasme Ă©normĂ©ment son idylle, se projetant beaucoup trop. Clairement, il n’a pas les pieds sur terre, comme le montre parfaitement la couverture !

Je tiens Ă  prĂ©ciser que ce premier tome pourrait presque ĂȘtre un one-shot. MĂȘme s’il reste des pistes Ă  explorer, il se suffit Ă  lui-mĂȘme. C’est assez rare pour ĂȘtre signalé !

Concernant le dessin, une fois encore Daniel Casanave m’a sĂ©duit. Son trait dynamique, Ă  la fois simple et expressif est parfaitement adaptĂ© au propos. Il possĂšde toute la lĂ©gĂšretĂ© nĂ©cessaire Ă  l’ouvrage, tout en Ă©tant capable de faire passer les Ă©motions quand il le faut. La mise en couleur, par Patrice Larcenet, est toute en simplicitĂ©. Elle met en valeur le trait de Casanave tout en proposant des ambiances bien diffĂ©renciĂ©es. Un travail discret mais efficace.

Ces « Chroniques d’un maladroit sentimental » portent trĂšs bien leur nom. Plein de romantisme et de lĂ©gĂšretĂ©, cet ouvrage nous propose un personnage de GĂ©rard Latuile trĂšs attachant. La narration est bien menĂ©e, Ă©vitant l’écueil d’une trop grande simplicitĂ©. On espĂšre finalement une suite, histoire de voir si GĂ©rard va enfin arriver Ă  passer un repas sans faire une crise d’angoisse aux toilettes.

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Note : 15/20

Un ver dans le fruit – Pascal RabatĂ©

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Titre : Un ver dans le fruit
Scénariste : Pascal Rabaté
Dessinateur : Pascal Rabaté
Parution : Avril 1997


Je n’ai jamais rien lu de RabatĂ©. Il Ă©tait temps de m’y mettre. C’est pourquoi, de passage Ă  la bibliothĂšque, j’ai embarquĂ© « Un ver dans le fruit », paru en 1997 (prĂšs de 20 ans dĂ©jà !). Ce roman graphique de 150 pages se situe dans un petit village entourĂ© de vignobles dans les annĂ©es 60. Le tout est publiĂ© chez Vents d’Ouest.

Tout dĂ©marre par un conflit entre deux vignerons. Ce dernier tourne au drame lorsque l’un des deux meure dans l’explosion d’une cabane, du aux agents chimiques utilisĂ©s pour traiter la vigne. Quelques jours plus tard arrivent en ville le nouveau prĂȘtre de la paroisse et l’inspecteur chargĂ© de l’enquĂȘte. Contrairement Ă  ce que la couverture de la rĂ©Ă©dition peut laisser penser (et qui met en avant l’inspecteur), c’est bien le curĂ© qui a le rĂŽle central ici (ce que la premiĂšre couverture montrait explicitement). Ce jeune prĂȘtre va essayer de comprendre cet univers viticole qui lui est inconnu tout en tentant de garder Ă  distance son envahissante mĂšre.

Sale ambiance au village

Un_ver_dans_le_fruit1HonnĂȘtement, l’histoire ici prĂ©sente peu de suspense. MĂȘme si le tout est prĂ©sentĂ© comme un polar, c’est bien de l’ambiance au village viticole qui est le nƓud central de l’intrigue. Non-dits, vieilles histoires, ragots
 Tout cela pollue et pourrit les relations du coin. Et lorsque l’on n’est pas du coin comme ce pauvre curĂ©, il est bien difficile de s’y retrouver. Mais ce dernier, bien dĂ©cidĂ© Ă  faire changer les choses, va mettre son nez lĂ  oĂč il ne devrait pas.

L’ensemble se rĂ©vĂšle des plus intĂ©ressants. La lecture se fait rapidement, RabatĂ© sachant aussi gĂ©rer le silence et les regards avec talent. A aucun moment on ne s’ennuie malgrĂ© la relative tranquillitĂ© de l’ensemble. Le jeune curĂ© est attachant, car plein de bonne volontĂ©. Et les personnages qui gravitent autour de lui sont marquants sans forcĂ©ment ĂȘtre trop caricaturaux.

Le dessin de RabatĂ© donne beaucoup de force Ă  l’ouvrage. Le tout est maĂźtrisĂ© de bout en bout dans un noir et blanc splendide. Outre les trognes des personnages, la force des contrastes lui permet d’asseoir les ambiances avec brio. Pour mon premier contact avec RabatĂ©, j’ai Ă©tĂ© franchement Ă©bloui.

Sans ĂȘtre particuliĂšrement transcendant, « Un ver dans le fruit » est l’Ɠuvre d’un auteur qui maĂźtrise son sujet, tant dans la narration que dans le graphisme. En prenant le point de vue du jeune curĂ©, l’auteur nous met dans la peau de quelqu’un qui dĂ©couvrirait un village entourĂ© de vignes dans les annĂ©es 60. Un village oĂč il y aurait un ver dans le fruit.

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Note : 14/20

Les petits ruisseaux – Pascal RabatĂ©

LesPetitsRuisseaux


Titre : Les petits ruisseaux
Scénariste : Pascal Rabaté
Dessinateur : Pascal Rabaté
Parution : Mai 2006


Peut-on encore profiter de la vie lorsque l’on est une personne ĂągĂ©e ? C’est la question que va se poser Émile Ă  la mort de son meilleur ami et compagnon de pĂȘche Edmond. Ce dernier, avant de passer l’arme Ă  gauche, lui a montrĂ© une nouvelle facette : il aime peindre des nus et fait des rencontres par l’intermĂ©diaire d’une agence matrimoniale. Car ce n’est pas parce qu’il est veuf qu’il doit cesser de vivre. Émile se pose alors la question de sa propre existence. Que veut-il faire des annĂ©es qui lui restent ? PubliĂ© chez Futuropolis, le tout pĂšse prĂšs de cent pages.

LesPetitsRuisseaux1Le livre est assez justement sous-titrĂ© « Sex, drug and rock’n roll » ! C’est un sujet peu abordĂ© qui est traitĂ© ici avec RabatĂ©. Si on retrouve le contexte du village de campagne avec ses parties de pĂȘche et son bistrot (avec ses habituĂ©s hauts en couleur), c’est bien de l’ñge dont il est question. Comment assumer le dĂ©sir lorsque l’on est veuf sans avoir l’impression de trahir celle qui fut sa femme ? Comment assumer le dĂ©sir lorsqu’on se sent vieux et usé ? C’est avec beaucoup de dĂ©licatesse et d’humour que RabatĂ© traite le sujet. Il trouve un ton juste et agrĂ©able, jamais sentimentaliste. Il Ă©vite l’écueil de se moquer Ă©galement, ce qui est souvent l’angle choisi pour parler des personnes ĂągĂ©es.

Le droit de vivre et de profiter.

Le livre repose donc entiĂšrement sur Émile. DĂšs les premiĂšres pages, Edmond lui apporte une rĂ©vĂ©lation : il a encore le droit de vivre et de profiter. Mais le chemin Ă  cette acceptation n’est pas si Ă©vident. Émile fera des rencontres qui lui permettront d’évoluer. RabatĂ© maĂźtrise parfaitement sa narration et tout dĂ©coule naturellement, sans excĂšs et avec les quelques surprises qui Ă©maillent le tout. Mais cela reste cohĂ©rent et le sentiment d’empathie pour Émile fonctionne Ă  plein rĂ©gime.

Le dessin est trĂšs agrĂ©able. RabatĂ© adopte un style nerveux, mais plein de douceur. Pas d’aplats noirs, juste des hachures pour les ombres. Les couleurs sont douces et mettent parfaitement en valeur le trait. Ce choix de dessin et de colorisation est parfaitement adaptĂ© Ă  l’ouvrage, qui en est d’autant plus dĂ©licat.

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À la fois tendre, touchant et drĂŽle, « Les petits ruisseaux » est une vraie rĂ©ussite. Abordant un sujet souvent tabou, RabatĂ© s’en sort Ă  merveille avec son personnage torturĂ© par un dĂ©sir qu’il avait oubliĂ©. DotĂ© d’une galerie de personnages rĂ©ussis, « Les petits ruisseaux » vous prend par tous les sentiments !

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Note : 16/20

MĂąle occidental contemporain – François BĂ©gaudeau & ClĂ©ment Oubrerie

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Titre : MĂąle occidental contemporain
Scénariste : François Bégaudeau
Dessinateur : Clément Oubrerie
Parution : Octobre 2013


La bande-dessinĂ©e se dĂ©mocratise. Plus adulte, moins dĂ©criĂ©e, elle attire dĂ©sormais des lecteurs qui n’y auraient pas jetĂ© un seul regard auparavant. Les Ă©diteurs l’ont compris et confient de plus en plus de scĂ©narii Ă  des personnes extĂ©rieures. Ce coup-ci, c’est François BĂ©gaudeau (scĂ©nariste, Ă©crivain, critique, etc.) qui s’y colle avec « MĂąle occidental contemporain », un one-shot de 80 pages. Afin de soutenir l’effort, on retrouve au dessin ClĂ©ment Oubrerie. Le dessinateur m’avait sĂ©duit avec « Jeangot » et a sĂ©duit un plus grand public encore avec la sĂ©rie « Pablo ». Le tout est Ă©ditĂ© chez Delcourt dans la collection Mirage.

Curieux ouvrage que voilĂ . On suit plus ou moins l’histoire d’un jeune homme cherchant Ă  draguer. Mais aucun background n’est donnĂ©, ce n’est qu’une succession de saynĂštes oĂč l’homme se fait Ă©masculer (mĂ©taphoriquement) par des femmes fortes pleines de caractĂšre. Beau retournement de situation oĂč la femme moderne maĂźtrise le mĂąle. De lĂ  Ă  dire que ce retournement est crĂ©dible, il y a un pas que je ne franchirai pas


Manque de rythme, manque de fond…

Retourner les clichĂ©s de la drague pourrait ĂȘtre pertinent s’il y avait un message. Mais ce n’est pas le cas. Notre homme ne suscite aucune empathie. Le voir draguer pour draguer n’a aucun intĂ©rĂȘt. Le scĂ©nario prouve ici sa vacuité : pourquoi drague-t-il ? Que cherche-t-il ? On a l’impression d’ĂȘtre devant des sortes de gags montrant un mec cherchant Ă  draguer par tous les moyens. Et cela ne fonctionne pas. La redondance finit par ennuyer et, finalement, on sourit peu devant les situations, trĂšs inĂ©gales.

MaleOccidentalContemporain1Du coup, l’ensemble manque de rythme et la conclusion n’apportera aucun message supplĂ©mentaire (et donnera mĂȘme une impression encore plus nĂ©gative). Tout est convenu et clichĂ©, un comble ! Car il y a une volontĂ© de montrer que le fĂ©minisme a fait son Ɠuvre ! Le tout est bien Ă©videmment baignĂ© dans un parisianisme de tous les instants. Difficile d’imaginer ce genre de situations autre part qu’à Paris. Plus qu’une Ă©tude du « MĂąle occidental contemporain », le livre est plutĂŽt une Ă©tude des Parisiennes.

Concernant le dessin, ClĂ©ment Oubrerie nous ravie de son trait. A se demander ce qu’il est allĂ© faire dans cette galĂšre
 Je prĂ©fĂšre de loin son trait anthropomorphe, mais force est de constater qu’il relĂšve le niveau sans peine. HĂ©las, avec un ouvrage oĂč il ne se passe pas grand-chose et oĂč le rythme est problĂ©matique, il n’y a pas de miracle non plus.

Il faut croire que les Ă©diteurs pensent que n’importe quel Ă©crivain/scĂ©nariste/journaliste/humoriste peut Ă©crire une bande-dessinĂ©e. C’est nier complĂštement la spĂ©cificitĂ© du scĂ©nario de bande-dessinĂ©e. Les Ă©cueils sont flagrants ici : manque de fond, manque d’empathie, manque de rythme
 Il faudrait arrĂȘter d’essayer de toucher le grand public avec des noms, mais plutĂŽt avec des Ɠuvres de qualitĂ©.   

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Note : 6/20

 

Breakfast after noon

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Titre : Breakfast after noon
Scénariste : Andi Watson
Dessinateur : Andi Watson
Parution : Septembre 2002


Les romans graphiques ont explosĂ© dans les annĂ©es 2000, rĂ©vĂ©lant Ă  la fois des pĂ©pites comme des Ɠuvres sans grand intĂ©rĂȘt. L’allongement de la pagination a permis aux auteurs de s’exprimer plus longuement et de travailler Ă  la psychologie de leurs personnages plus en profondeur. Atteignant prĂšs de 200 pages, « Breakfast after noon » d’Andi Watson saura-t-il titiller l’intĂ©rĂȘt jusqu’au bout de la lecture ? Surtout que c’est le trait au pinceau de l’auteur qui m’a au premier abord attirĂ©. Le tout est publiĂ© chez Casterman dans la collection Ă©critures. Continuer la lecture de « Breakfast after noon »

Le chien qui louche – Etienne Davodeau

LeChienQuiLouche


Titre : Le chien qui louche
Scénariste : Etienne Davodeau
Dessinateur : Etienne Davodeau
Parution : Octobre 2013


 Etant un fervent et rĂ©gulier visiteur du Louvre, j’aime lire la collection qui y est consacrĂ© chez Futuropolis en partenariat avec les instances du MusĂ©e. Faisant appel Ă  de (trĂšs) grands noms de la bande-dessinĂ©e, cela reste hĂ©las souvent des Ɠuvres de commande oĂč les bĂ©dĂ©astes peinent Ă  pleinement s’accomplir. J’avais confiance en Etienne Davodeau. Ce dernier aborde le point de vue d’un gardien de musĂ©e
 Le tout pĂšse quand mĂȘme 134 pages.

Fabien est donc agent de surveillance au Louvre. Pour la premiĂšre fois, il rencontre sa belle-famille, dont les deux frĂšres et le pĂšre sont peu commodes et trĂšs beaufs, Ă  la tĂȘte d’une entreprise de vente de meubles. Mais un aĂŻeul a Ă©tĂ© peintre au cours du XIXĂšme siĂšcle. On n’a gardĂ© de lui qu’une toile d’un chien qui louche. Ce tableau est Ă©videmment une croĂ»te sans intĂ©rĂȘt. Mais Fabien doit essayer de la faire entrer au Louvre.

LeChienQuiLouche2Etienne Davodeau apporte vraiment sa patte au thĂšme. Ainsi, il pose la question de la lĂ©gitimitĂ© de la prĂ©sence d’une Ɠuvre au Louvre. Qui dĂ©cide, comment et pourquoi ? Il amĂšne aussi par la famille trĂšs beauf le problĂšme de la vision de la culture par certaines personnes. On voit ainsi des gens toucher les Ɠuvres et ne pas les respecter du tout. Quant Ă  la culture, clairement, ils n’y comprennent rien, reprochant la nuditĂ© des statues et faisant des remarques complĂštement dĂ©placĂ©es et dĂ©calĂ©es sur ce qu’ils voient.

Dialogues truculents et burlesque.

HĂ©las ces rĂ©flexions ne vont pas bien loin et l’histoire part finalement dans l’absurde, voire le burlesque une fois l’apparition de la curieuse RĂ©publique du Louvre. Le soufflet retombe et Ă  la fermeture de l’ouvrage, on se demande si l’auteur n’aurait pas pu aller plus loin, surtout avec une si abondante pagination. MalgrĂ© tout, la galerie de personnages est plaisante et certains dialogues truculents. Etienne Davodeau appose ton style, mais sans rĂ©ellement arriver Ă  s’approprier le sujet. C’est certainement un choix de ne pas vouloir intellectualiser trop fortement le propos.

Concernant le dessin, c’est du beau travail. Le trait dynamique est parfaitement mis en valeur par le lavis. La narration est fluide et agrĂ©able. L’auteur n’est pas n’importe qui, cela ressent tout de suite ! Et alors que le livre parle avant tout d’une peinture, c’est bien les sculptures du Louvre qui obsĂšdent Davodeau qui les dessine Ă  tort et Ă  travers. On reconnaĂźt sans peine les Ɠuvres, mais du coup le parallĂšle entre les sculptures et la peinture du chien qui louche ne se fait pas. C’est dommage, on passe peut-ĂȘtre Ă  cĂŽtĂ© de quelque chose d’intĂ©ressant.

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« Le chien qui louche » est un peu inĂ©gal. Si certaines scĂšnes et dialogues sont formidables (lorsque les provinciaux dĂ©couvrent qu’il y a des meubles en exposition au Louvre par exemple), mais le sens gĂ©nĂ©ral de l’ouvrage manque un peu de substance et de rĂ©flexion. A la fermeture du livre, on a l’impression que l’auteur n’est pas allĂ© au bout de sa dĂ©marche. Dommage.

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Note : 12/20

Hello fucktopia – Souillon

HelloFucktopia


Titre : Hello fucktopia
Scénariste : Souillon
Dessinateur : Souillon
Parution : Novembre 2014


 Si je n’ai jamais accrochĂ© Ă  « Maliki », j’ai toujours Ă©tĂ© fan du trait de Souillon. Un peu frustrĂ©, j’ai Ă©tĂ© trĂšs rĂ©ceptif Ă  l’annonce de la sortie d’un one-shot plus sombre intitulĂ© « Hello Fucktopia » (et sous-titrĂ© « un vrai conte de fĂ©e »). J’ai pu suivre alors le blog du projet, montrant des extraits plus beaux les uns que les autres. Le livre pĂšse 80 pages et est publiĂ© chez Ankama.

HelloFucktopia2Souillon commence par prĂ©facer son livre avec un mot Ă  son lecteur. Une habitude de blogueur certainement. Il y prĂ©sente « Hello Fucktopia » comme un projet qui lui tient particuliĂšrement Ă  cƓur et qu’il a mis des annĂ©es Ă  arriver Ă  mettre en place. Il implique le lecteur Ă©galement et pose l’idĂ©e d’une forme d’autobiographie cachĂ©e. Cela m’a profondĂ©ment dĂ©rangĂ©. C’est comme si Souillon souhaitait mettre, avant la lecture, une part d’affectif dans notre lecture. Clairement, cela fonctionne pour beaucoup. Mais si l’on n’est pas fan de l’auteur, on est un peu dĂ©routĂ© par cette entrĂ©e en matiĂšre.

« Hello Fucktopia » prĂ©sente l’histoire de Mali venue Ă  Paris (la dite « Fucktopia ») pour Ă©tudier les arts plastiques. Ayant ratĂ© les concours d’entrĂ©e dans les Ă©coles prestigieuses, elle se retrouve Ă  la facultĂ© avec des cours qui ne l’intĂ©ressent guĂšre. A cela s’ajoutent ses amis, ThĂ©mis et StĂ©phane, qui sont bien plus parisiens visiblement.

Un passage Ă  l’Ăąge adulte.

Comme son nom l’indique, « Fucktopia » est une dystopie. Mali n’y trouve pas ce qu’elle cherche et prend des risques. Elle doit passer Ă  l’ñge adulte. HĂ©las, le livre manque un peu d’enjeux. Les intrigues se multiplient sans forcĂ©ment d’intĂ©rĂȘt ou sans ĂȘtre refermĂ©es rĂ©ellement (notamment toutes les histoires avec ThĂ©mis et StĂ©phane n’ont que peu d’intĂ©rĂȘt). La lecture avance et Ă  la fermeture de l’ouvrage, on se demande finalement quel est le sens de cette histoire. Beaucoup de discussions des personnages entre eux, quelques situations avec un peu de suspense, mais on se demande oĂč veut en venir l’auteur.

HelloFucktopia3« Hello Fucktopia » narre la jeunesse de Souillon puisque cela se passe pendant les annĂ©es 90. On regrettera quand mĂȘme que ce soit si peu ancrĂ© dans l’époque. PassĂ©s deux/trois dĂ©tails, on a l’impression d’ĂȘtre en 2014. Mali est clairement encore trĂšs adolescente et a du mal Ă  passer Ă  l’ñge adulte. Mais certaines rĂ©vĂ©lations manquent clairement de puissance Ă©motionnelle pour un adulte. Du coup, je me suis demandĂ© si je faisais partie du public visĂ©. MalgrĂ© tout, la lecture avance bien et certaines scĂšnes sont rĂ©ussies. J’ai accrochĂ© Ă  l’humour de l’ensemble qui pointe son nez par moment, mais la partie rĂ©flexion sur la vie m’a paru un peu lĂ©gĂšre et simpliste. Dommage.

Concernant le dessin, je n’ai pas Ă©tĂ© déçu. L’ensemble est influencĂ© par le manga, mais prĂ©sente une bonne synthĂšse avec des influences plus franco-belge. Les dĂ©cors sont riches, les personnages bien identifiĂ©s et fort graphiquement. Et il y a de vraies qualitĂ©s dans le dĂ©coupage des planches, dynamique et variĂ©. Les couleurs enrichissent les ambiances et le trait sans problĂšme. C’est une belle bande-dessinĂ©e que l’on a dans les mains, avec un dessinateur des plus douĂ©s.

HelloFucktopia1

J’ai pris du plaisir Ă  lire cette bande-dessinĂ©e, mais les dĂ©fauts de l’ensemble me sont apparus ensuite. En insistant sur l’importance qu’avait ce projet pour lui, Souillon a aussi perturbĂ© ma lecture. Car « Hello Fucktopia » ne propose pas un scĂ©nario trĂšs original. BasĂ© avant tout sur des personnages, il nous manque un peu d’empathie pour eux pour pleinement adhĂ©rer.

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Note : 11/20

Comme tout le monde – Rudy Spiessert, Denis LapiĂšre & Pierre-Paul Renders

CommeToutLeMonde


Titre : Comme tout le monde
Scénaristes : Denis LapiÚre & Pierre-Paul Renders
Dessinateur : Rudy Spiessert
Parution : Octobre 2007


Au dĂ©part, il y a un scĂ©nario. De ce scĂ©nario originel accoucheront deux Ɠuvres : la premiĂšre sera un film, la seconde une bande-dessinĂ©e. « Comme tout le monde » n’a pas laissĂ© beaucoup de souvenirs aux cinĂ©philes, qu’en est-il de sa version dessinĂ©e qui se veut une « version longue » de son cousin sur grand Ă©cran. L’ensemble pĂšse quand mĂȘme 140 pages, ce qui laisse aux auteurs le temps de dĂ©velopper les enjeux et les personnages. PubliĂ© chez Dupuis, le livre est dessinĂ© par Rudy Spiessert et scĂ©narisĂ© par Denis LapiĂšre et Pierre-Paul Renders.

CommeToutLeMonde2Tout commence par une Ă©mission, la bien nommĂ©e « comme tout le monde ». Sur le principe de « La famille en or », les participants doivent trouver la rĂ©ponse la plus souvent citĂ©e par un panel de sondĂ©s. Or, le grand champion Jalil ne se trompe jamais. Au point qu’il dĂ©finit la plus pur français moyen. Une aubaine pour les marques qui peuvent l’utiliser comme panel Ă  moindre coĂ»t. Mais Ă  son insu


 Voyeurisme & célébrité

« Comme tout le monde » s’intĂšgre parfaitement dans un monde de voyeurisme et de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ©. La cĂ©lĂ©britĂ© du français moyen qui exhibe son intimitĂ© est traitĂ©e ici. Si le sujet de la bande-dessinĂ©e n’est simplement jamais crĂ©dible, on se prend au jeu de cette histoire qui sait nous dĂ©voiler les secrets petit Ă  petit. Quelques retournements de situation sont bien vus et surprendront le lecteur. En cela, la pagination importante est adaptĂ©e, permettant de dĂ©velopper pleinement tous les aspects de l’histoire.

CommeToutLeMonde1C’est peut-ĂȘtre au niveau des personnages que l’ensemble pĂȘche un peu. Jalil, trop moyen, manque vraiment de charisme. C’est son personnage, certes, mais on n’a finalement que trĂšs peu de sympathie pour lui, au contraire de sa jeune compagne, Ă  laquelle on s’attache. Mais le tout manque cruellement d’analyse. Claire accepte de se mettre en couple pour de l’argent, sans que la notion de prostitution ne soit relevĂ©e. C’est bien un livre de chez Dupuis qui reste bien gentillet. On aurait pu imaginer une critique mordante, ce ne sera pas le cas. Dommage, car le sujet est plutĂŽt intĂ©ressant et la narration bien menĂ©e.

Au niveau du dessin, Rudy Spiessert est à lui seul un argument pour le bouquin. Clairement influencé par Dupuy et Berberian, il propose un dessin simple en apparence mais trÚs riche, à la mise en scÚne soignée. Une véritable découverte et un auteur à suivre assurément.

« Comme tout le monde » est un ouvrage qui se lit d’une traite, mĂ©nageant son suspense intelligemment. HĂ©las, on sent qu’avec un sujet pareil, le livre aurait pu ĂȘtre plus intĂ©ressant en Ă©tant plus sombre ou cynique. Une sympathique dĂ©couverte.

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Note : 14/20

La cicatrice – Gilles Rochier

LaCicatrice


Titre : La cicatrice
Scénariste : Gilles Rochier
Dessinateur : Gilles Rochier
Parution : Mars 2014


Je me rappelle avoir rencontrĂ© Gilles Rochier au Festival d’AngoulĂȘme alors qu’il soutenait « TMLP ». AurĂ©olĂ© d’un prix, le voilĂ  de retour avec « La cicatrice ». Son prĂ©cĂ©dent livre Ă©tait puissant et teintĂ© d’autobiographie. « La cicatrice » est une fiction sous forme de chronique sociale. On retrouve Denis, un cadre moyen, sur le point de signer un gros contrat. Tout semble aller pour le mieux. Mais Denis se dĂ©couvre une cicatrice. Et impossible de savoir pourquoi il a cette cicatrice
 Le tout est paru chez 6 pieds sous terre.

En utilisant le fil conducteur de cette cicatrice, Gilles Rochier met le doigt sur le malaise de la classe moyenne. On refait la salle de bain, on signe des contrats, on reçoit la belle-famille, on Ă©coute les plaintes de sa mĂšre
 C’est surtout un homme entourĂ© mais trĂšs seul qui nous est dĂ©crit. Car Denis tente de parler de son problĂšme Ă  tout son entourage, mais personne ne l’écoute rĂ©ellement. L’homme s’enferme alors de plus en plus. Et le pire, c’est que les autres lui reprochent de ne pas s’épancher plus fortement


Un malaise grandissant

Le thĂšme n’est pas nouveau bien Ă©videmment, mais Gilles Rochier parvient Ă  mettre une vraie dose de suspense dans cette histoire. La montĂ©e en tension est trĂšs rĂ©ussie et on ressent pleinement le malaise grandissant du personnage principal. Clairement, « TMLP » proposait un univers plus fort car il se passait dans une citĂ©. Dans le milieu des classes moyennes, « La cicatrice » est un livre moins puissant, car les drames y sont moins exotiques.

C’est donc la narration qui prĂ©vaut ici. Gilles Rochier maĂźtrise son tempo et l’impose au lecteur avec minutie. Denis passe son temps Ă  se toucher la cicatrice dĂšs qu’il est seul. Cette obsession est parfaitement rendue et parlera Ă  tous ceux qui ont dĂ©jĂ  eu des phĂ©nomĂšnes soudains et stressants sur leur corps. Cela ressemble Ă  un homme hypocondriaque, mais c’est bien plus que ça, c’est rĂ©vĂ©lateur d’un malaise avant tout psychique. Pour ma part, ce rapport entre la tĂȘte qui ne va pas et le corps qui en est le rĂ©vĂ©lateur m’a parlĂ©.

Concernant le dessin, le trait nerveux et imprĂ©cis de l’auteur ne plaira clairement pas Ă  tout le monde. Mais il est trĂšs efficace et au service de la narration. Si les parties muettes parlent d’elles-mĂȘmes, les parties dialoguĂ©es font la part belle aux phylactĂšres. Ces derniers envahissent l’espace, la case, les visages
 Plus qu’une façon de dessiner, cela montre aussi le poids de la parole, et surtout le flot continu de stress qui en dĂ©coule.

Moins puissant de par son sujet que « TMLP », « La cicatrice » demande au lecteur de faire abstraction du prĂ©cĂ©dent ouvrage de Gilles Rochier pour ĂȘtre pleinement apprĂ©ciĂ©. MalgrĂ© un thĂšme dĂ©jĂ  souvent traitĂ©, l’auteur y apporte sa touche personnelle avec notamment une montĂ©e de tension trĂšs rĂ©ussie. Gilles Rochier confirme ici les espoirs placĂ©s en lui.

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Note : 14/20