Ulysse 1781, T1 : Le Cyclope (1/2) – Xavier Dorison & Éric Hérenguel

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Titre : Ulysse 1781 : Le Cyclope (1/2)
Scénariste : Xavier Dorison
Dessinateur : Éric Hérenguel
Parution : Janvier 2015


Ulysse, le Cyclope… Ces quelques mots raisonnent chez tout le monde et indique un voyage dans la mythologie grecque. Un long voyage, un retour à la maison tant espéré… Les enjeux sont connus et universels. Xavier Dorison décide d’immerger cette trame dans les Etats-Unis de la fin du dix-huitième siècle. « Ulysse 1781 » : un héros, une date… Tout un programme. Je suis un grand fan de ce brillant scénariste du neuvième art. « Le troisième testament » a marqué mon Histoire de lecteur. « Long John Silver » a fait rêver l’aficionado de piraterie que je suis. J’étais donc conquis d’avance en tombant sur cette couverture intrigante. Dans un endroit à l’apparence hostile, le trait d’Éric Hérenguel nous présente un personnage charismatique appuyé sur une large épée. Une cascade au second plan semble être la seule manière de quitter l’obscurité qui l’entoure. Nous regarde-t-il ou ses yeux fixent-ils le Cyclope annoncé dans le sous-titre de l’album ?

« 1781, Yorktown. La guerre d’Indépendance américaine vient de finir. Victorieux, le capitaine Ulysse McHendricks s’apprête à rentrer chez lui avec son fils Mack et ses hommes. Mais le retour se précipite lorsqu’il apprend que sa ville, New Itakee, est envahie par les Anglais. Ulysse et ses hommes vont devoir traverser une Amérique fantastique où les boussoles ne trouvent plus le Nord, où les cartes ont perdu leurs repères, un monde entre réalité et mystère… »

Ulysse1781bLes mots ci-dessus accompagnent la quatrième de couverture. Ils présentent clairement les enjeux de l’intrigue. On devine qu’elle se construit autour d’un héros à la personnalité forte. La dimension historique est également intéressante. Quant à la dernière phrase, elle fait naître la perspective d’un aspect fantastique toujours attrayant. On retrouve bien là la capacité de Dorison à offrir un scénario à la densité séduisante. L’album se compose de soixante-deux planches. Cette longueur permet de construire bâtir un schéma narratif consistant. Cela laisse le temps d’installer des jalons solides tant sur les plans des lieux, de l’époque et des protagonistes.

La tension monte vite de plusieurs crans.

Pour caricaturer la structure du tome. Le premier tiers est une introduction de l’histoire et des personnages. Le deuxième tiers présente le quotidien du groupe dans sa traversée du pays. Le dernière tiers voit apparaître les premiers soucis et voit poindre le mystère une dose de surnaturel. Le talent des auteurs fait que chacune de ces trois parties sont prenantes. Aucune n’est négligée. L’introduction est efficace. Dorison s’interdit de la diluer comme le font bon nombre d’auteurs. Il arrive à installer parallèlement les différents aspects de la trame. Ulysse1781cAlors que nous n’avons pas encore quitté Annapolis, notre tension est déjà montée de plusieurs crans. Les premiers moments de la traversée font transpirer un sentiment de fuite en avant vers le danger. La curiosité s’en trouve alors alimentée de manière soutenue. Cela fait que nous sommes mûrs à point quand arrivent les premiers soucis dans un canyon détenu par des indiens sous une pluie battante.

Cet opus est la première partie d’un diptyque. Les dernières pages initient le mystère autour de la présence mystique qui semble protéger les contrées traversées. Elles font résonnance au court prologue qui introduit l’histoire. Je trouve que les ingrédients distillés sont variés et subtilement dosés. Il ne reste plus qu’à les laisser mijoter le temps d’attendre la parution de la suite que j’attends avec une certaine impatience.

Sur le plan graphique, je découvre ici le travail d’Éric Hérenguel. Dorison a l’habitude d’être bien accompagné dans ses projets. La tradition perdure avec ce nouveau collaborateur. Le dessinateur offre des planches denses dont chaque détail apparaît avec application. Les décors dégagent une atmosphère de plus en plus oppressante au fur et à mesure de l’avancée de la quête du groupe. Le voyage temporel dans cette Amérique sortant de la guerre d’Indépendance passe également par les illustrations développées par le trait de l’auteur. Les personnages sont également réussis. Ils possèdent une identité qui leur est propre. Cela permet de se les approprier sans difficulté.Ulysse1781a

Pour conclure, « Le Cyclope » est un beau début qui permet à « Ulysse 1781 » d’être considérée comme une série de qualité au potentiel intéressant. La deuxième lecture m’a permis de saisir chaque détail tant les dialogues, les dessins que l’intrigue. Je la conseille aux lecteurs adeptes de Dorison, ils ne seront pas déçus du voyage. Quant à ceux pour qui le scénariste est encore inconnu, pourquoi ne pas le découvrir en embarquant au côté d’Ulysse McHendricks ? 

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Le grand méchant renard – Benjamin Renner

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Titre : Le grand méchant renard
Scénariste : Benjamin Renner
Dessinateur : Benjamin Renner
Parution : Janvier 2015


 

Sous le nom de Reineke, Benjamin Renner avait publié un ouvrage des plus sympathiques, « Un bébé à livrer ». Ce livre faisait intervenir les animaux de basse-cour dans une histoire rocambolesque pleine de rebondissements. À l’occasion de Noël, l’auteur avait proposé sur son blog une nouvelle histoire où, cette fois, les animaux essayaient de sauver les fêtes de fin d’année après avoir exécuté (pensaient-ils…) le Père Noël… « Le grand méchant renard », paru dans la collection Shampooing, reprend les personnages déjà connus mais peut être lu indépendamment du reste. Comme son nom l’indique, le personnage principal est ici le renard. Le tout pèse quand même plus de 180 pages.

Dans cette histoire, le renard ne fait peur à personne, au grand dam de l’intéressé. Il vient à la ferme tous les jours, essayant de récupérer une poule, mais se fait martyriser en permanence. Si bien que plus personne ne fait vraiment attention à lui. Afin de manger enfin du poulet, il décide de voler des œufs. Car, après tout, qu’y a-t-il de plus inoffensif qu’un poussin ? Bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu.

Un ouvrage destiné autant aux publics jeunesse et adulte.

LeGrandMechantRenard1Le style de Benjamin Renner se caractérise par une succession d’actions. Chaque décision en amène une autre, enfonçant le personnage de plus en plus dans son trou. Son personnage de renard est complètement dépassé par les événements, les subissant en permanence. Cela crée une empathie évidente et l’humour de l’auteur fonctionne à plein. On sourit en permanence, l’histoire ne faisant que peu de pauses dans les péripéties de notre goupil.

Benjamin Renner réussit la difficile tâche de créer un ouvrage aussi bien destiné aux adultes qu’à un public plus jeunesse. Le tout est bon enfant, jamais vulgaire ou violent. Il joue sur les codes classiques du conte pour enfant (rien que le titre est assez évocateur !), mais son traitement humoristique touche les adultes sans problème.

Concernant le dessin, difficile de passer à côté du découpage très dessin animé (qui explique la forte pagination de l’ouvrage). Venant de l’animation, Benjamin Renner décompose les mouvements à merveille. Malgré tout, l’abondance de cases lui permet aussi de caler les nombreux dialogues présents. Au niveau du dessin proprement dit, je suis un grand fan. Le trait est vif, lâché avec dynamisme sur le papier et rehaussé d’aquarelle. Une belle maîtrise d’un style animalier où chaque animal est bien identifié avec peu de traits. Symbole de cette clarté dans la simplicité : cette case où le renard imite les mimiques du loup avec brio !

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« Le grand méchant renard » est un ouvrage bon enfant qui vous fera sourire et rire tout au long de ses pages. On est pris dans l’histoire, plein d’empathie pour ce pauvre renard qui voudrait être craint mais qui apprendra finalement qu’il vaut peut-être mieux être aimé…

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Note : 16/20

Barracuda, T4 : Révoltes – Jean Dufaux & Jérémy

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Titre : Barracuda, T4 : Révoltes
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Jérémy
Parution : Novembre 2013


Les pirates m’ont toujours fasciné. Ils sont hors-la-loi et aventuriers. Ils ont des looks inégalables et leur code d’honneur est légendaire. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour en mettre plein les mirettes. « Long John Silver » de Dorison et Jauffray a ouvert récemment une renaissance pour le genre dans le neuvième art. « Barracuda » né de la plume de Jean Dufaux et Jérémy s’inscrit dans cette lignée. Ma critique d’aujourd’hui porte sur quatrième de tome de cette saga intitulé « Révoltes ». Edité chez Dargaud, cet ouvrage de cinquante-six pages coûte quatorze euros. Il nous offre une couverture splendide. Le personnage représenté affronte notre regard de face. Il semble émerger de l’eau, prêt à en découdre. Les tons chromatiques bleus nuit font naître une atmosphère envoûtante de cette illustration. La quatrième de couverture nous annonce : « Pas de pitié. Pour personne. Jamais. » Tout un programme…

Le début de la narration est précédé par un résumé du tome précédent : « Puerto Blanco révèle ses secrets… La liaison entre Maria et Raffy est dévoilée. Ferrango fait payer cher ses années d’humiliation : le corps du jeune homme est marqué à vie et Marie est vendue à Morkam. Mais celui-ci n’en profitera pas. Emilio l’achève sans pitié, comme Mr Flynn l’a été. Dans une ambiance feutrée, les découvertes ne sont pas moindres : la gouverneure était la maîtresse du Faucon Rouge ! … et le danger guette. Tandis que le Barracuda se rapproche des côtes, porteur de la malédiction du diamant du Kashar, le capitaine de La Loya et ses deux galions espagnols attaquent l’île ! »

Une intrigue terrienne

Beaucoup de trames narratives mettant en œuvre des pirates se construisent autour d’épopée maritime vers des terres inconnues en quête de trésors légendaires. « Barracuda » se démarque de ces codes en déroulant une intrigue quasiment uniquement terrienne. Sur les trois premiers tomes, très peu de planches se déroulent en mer. Cet angle de vue sur ce fascinant univers de flibustiers est intéressant et offre une identité originale à la série de Dufaux et Jérémy. « Révoltes » ne déroge pas à la règle. Seules les trois dernières pages se déroulent sur l’eau et à aucun moment nous ne nous éloignons des rives de Puerto Blanco.

La localisation de l’histoire s’inscrit dans la continuité des épisodes précédents. Par contre, l’ambiance change. L’équilibre qui semblait régir la vie sur l’île est complètement chamboulé. La révolution est en marche. Elle se construit sur plusieurs plans. Les statuts des uns et des autres sont chamboulés. Les rapports sociaux hiérarchiques sont amenés à être bouleversés. Le scénario dégage avec talent cette atmosphère de chaos qui accompagne la lecture. Le lecteur ressent avec intensité ce sentiment d’angoisse qui existe à chaque coin de rue. Il est compliqué de savoir de quoi sera fait le lendemain tant les batailles se multiplient et les camps sont nombreux. Cet ouvrage est vraiment une belle réussite en arrivant à maintenir son rythme effréné et oppressant du début à la fin.

Le plaisir dégagé par cette série découle en partie de l’empathie générée par son trio de personnages principaux. Ils sont tout justes sortis de l’adolescence. L’un est fils de pirate, le second est une fille de noble espagnol et le dernier est à l’identité sexuelle indéfinie. Ils sont liés par leurs trajectoires et leurs destins. Chacun possède une identité et une aura qui touche le lecteur. De plus, le fait qu’ils soient trois densifie ainsi l’intensité dramatique et émotionnelle de l’histoire. « Révoltes » ne déçoit pas sur cet aspect. En effet, les révoltes en cours ne prêchent pas forcément pour la survie paisible de nos héros. La lecture est donc intense tant l’inquiétude pour le devenir de tout ce beau monde est forte.

Pour conclure, cet album est un bon cru. Il s’inscrit parfaitement dans la continuité des trois précédents épisodes tout en changeant le rythme et le ton de la narration. Comme à son habitude, Dufaux arrive à faire naître de vraies interrogations de sa dernière planche et attise ardemment la curiosité de son lecture dans l’attente du tome suivant. Mais cela est une autre histoire…

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Note : 16/20

Route 78

Route78


Titre : Route 78
Scénariste : Éric Cartier & Audrey Alwett
Dessinateur : Éric Cartier
Parution : Février 2015


En 1978, Éric Cartier et sa copine Pat partent aux Etats-Unis. Arrivés à New-York, ils veulent traverser le pays en stop et repartir de San Francisco. Ils viennent retrouver l’univers de Kerouac et tracer la route. Mais évidemment, tout cela est bien plus compliqué que ce qu’ils avaient imaginé. Rapidement sans le sou, le road trip va s’avérer être une véritable épreuve. Continuer la lecture de « Route 78 »

Smart monkey – Winshluss

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Titre : Smart monkey
Scénariste : Winshluss
Dessinateur : Winshluss
Parution : Avril 2004


L’évolution est un curieux chemin dévoilé par Darwin. Alors quand Winshluss décide de s’y attaquer, on sait que l’on va forcément s’éloigner des sentiers battus. « Smart monkey » est l’histoire d’un singe, plus malin qu’intelligent, qui tente de survivre dans une jungle paléolithique sans pitié. En effet, après avoir copulé avec une femelle, il a été exclu de son groupe, s’étant rebellé sans avoir la force physique qui aurait pu lui permettre de rivaliser. Cette histoire est paru aux Éditions Cornélius, elle pèse près de 100 pages et est dessinée entièrement en noir et blanc.

Un exercice de style ?

smartmonkey1Le sujet de l’ouvrage pousse presque le livre dans l’exercice de style. L’ensemble est muet puisque l’on a affaire qu’à des animaux. Tout est donc dans l’action. Le livre est donc dans la veine de « Nid des Marsupilamis » de Franquin ou plus récemment de la série « Love » par Brrémaud et Bertolucci. Le propos se veut cruel, même si le petit singe finit toujours par sans sortir, souvent aidé par de grosses bestioles bien plus dangereuses que le tigre à dents de sabre qui le harcèle.

L’histoire alterne les passages d’actions, d’humour et de tristesse avec pertinence, sans chercher à trop appuyer chaque émotion. L’humour n’est donc pas omniprésent. La chute permet de donner un sens au livre, traitant du rapport entre force et intelligence dans l’évolution. L’épilogue, faisant intervenir des humains bien plus tard, est réussi mais finalement anecdotique. Son intérêt est finalement assez limité.

Pour faire fonctionner un livre muet, il faut que le dessin soit expressif. C’est le cas. Winshluss possède un trait un peu crado, mais très riche. Certaines pleines pages sont simplement splendides. La narration est maîtrisée et permet au lecteur de suivre sans peine l’histoire. Cependant, certaines cases manquent un peu de lisibilité par moment. Il est nécessaire de ne pas chercher à lire le livre trop vite, mais d’adopter un rythme de croisière tranquille pour pleinement profiter des dessins de l’auteur.

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Avec cet ouvrage, Winshluss parvient à nous tenir en haleine sans un mot. Doté d’un dessin personnel, fouillé et inventif, il se relit avec plaisir afin de mieux saisir les nuances de l’épopée de ce « Smart monkey ». Une réussite !

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Note : 16/20

Lune l’envers – Blutch

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Titre : Lune l’envers
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Janvier 2014


Blutch reste l’un des auteurs de bande-dessinée que j’admire le plus. La variété des moyens avec lesquels il a pu me toucher en tant que lecteur m’étonne toujours. De ses histoires d’enfance (« Le petit Christian »), à l’humour grinçant (« Blotch ») en passant par le déstabilisant « Vitesse moderne », j’ai eu droit à tous les sentiments. Cependant, cette force dans la variété a fait que je suis également passé à côté de certains ouvrages… « Lune l’envers » est un nouveau one-shot publié par l’auteur chez Dargaud. Le livre se présente sous la forme d’un album classique d’une cinquantaine de pages.

LuneLenvers2Quel est le réel sujet de « Lune l’envers » ? Difficile de le dire. Profondément narcissique (plusieurs personnes sont Blutch), on peut y voir une sorte de fable surréaliste sur le milieu de la bande-dessinée (et de l’art en général). Mais les critiques sur le monde du travail sont également bien présentes. L’auteur nous montre notre société, façon futur dystopique. C’est affreux, sans aucune morale et les méchants gagnent à la fin. Et devant le côté absurde de certaines situations, il va falloir s’accrocher.

Combattre l’aseptisation

Un peu abrupte dans son début, l’ouvrage s’éclaircit au fur et à mesure des pages. Les tenants et les aboutissants se dévoilent et le puzzle se constitue. De façon générale, l’ouvrage s’attaque à l’aspect aseptisé et bien pensant qui s’installe dans notre monde. Ainsi, un jeune éditeur (qui porte le nom… Blütch !) déclare : « votre projet est conventionnel, poussif, sans élan… Parfaitement inoffensif… Bravo, mon vieux. On va vous préparer un contrat. » C’est le message qui découle de l’histoire.

Forcément, en crachant dans la soupe et en flinguant tout le monde (de l’auteur indé à l’auteur mainsteam, en passant par l’éditeur), Blutch se devait d’être cohérent. C’est le cas ! Son récit est complexe et riche, son graphisme excellent. J’ai depuis longtemps été séduit par le trait de l’auteur, mais il adopte ici une esthétique qui rappelle les années 70, impression renforcée par des couleurs originales et marquantes.

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Critiquer l’univers de la BD est facile, le faire avec une telle créativité est une autre paire de manches. Blutch confirme ici, si besoin était, son grand talent et sa virtuosité. « Lune l’envers » est un ouvrage corrosif et riche. Une belle épopée surréaliste dans le monde d’édition de bande-dessinée !

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Note : 16/20

Gisèle & Béatrice – Benoît Feroumont

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Titre : Gisèle & Béatrice
Scénariste : Benoît Feroumont
Dessinateur : Benoît Feroumont
Parution : Septembre 2013


Actuellement, je suis très attiré par la bande-dessinée érotique. Cela tombe bien, « Gisèle & Béatrice », autoproclamé « contenu coquin pour adultes coquins » a reçu de nombreuses éloges chez les critiques de BD ce mois-ci. Du coup, une fois acquis, je me plongeais dans la bête réalisée par Benoît Feroumont. Le tout, publié chez Dupuis dans la collection Aire Libre (assez logiquement), pèse pas moins de 112 pages.

Le pitch de départ est posé dès les premières pages. Béatrice est mal considérée dans son boulot et harcelée sexuellement par son boss. Excédée, elle finit par céder à ses avances. Mais au moment de passer à l’acte, voilà que son patron se transforme en femme… La nouvelle Gisèle, immigrée et sans papier, devient le jouet sexuel de Béatrice et, accessoirement, sa femme de ménage…

Un conte érotique et féministe

C’est un conte érotique et féministe que nous propose là Benoît Feroumont. En renversant les rôles, il permet au personnage de Gisèle de comprendre ce qu’endurent les femmes. Passé de patron macho à immigré harcelé par… un peu tout le monde, elle vit le quotidien de certaines femmes. Ainsi, elle se plaint que Béatrice veuille des rapports sexuels tous les soirs…

L’histoire de « Gisèle & Béatrice » est pourtant pleine de subtilité malgré un pitch qui peut paraître excessif. Car si l’auteur n’hésite pas à faire dans l’excès, avec beaucoup d’humour, le traitement des personnages est particulièrement réussi. Son évolution d’homme à femme se fait difficilement, de même que sa découverte du plaisir féminin. Et que dire de sa relation avec son bourreau Béatrice ?

Benoît Feroumont trouve ici un très bel équilibre entre l’histoire et son suspense réel, l’humour et le sexe. Ce dernier est explicite, mais pas vulgaire. L’auteur prend soin de ne pas être exhibitionniste. Ce qui est représenté a toujours un intérêt et on nage plus en terre d’érotisme que de pornographie. Le tout émoustille quand même le lecteur, pour son plus grand plaisir !

Au niveau du dessin, l’aspect cartoon est très agréable à lire, convenant parfaitement aux nombreux passages décalés et humoristiques. Ce graphisme sait aussi être affriolant, Benoît Feroumont sachant parfaitement jouer des courbes de ses deux personnages. Le tout est expressif et parfaitement mis en valeur par une colorisation adaptée. Un vrai plaisir pour les yeux. Voilà typiquement un trait qui est au service de son scénario.

Au final, j’ai été particulièrement séduit par « Gisèle & Béatrice ». L’histoire ne lit avec plaisir, l’humour est réussi et l’aspect coquin donne un sel supplémentaire à l’ensemble Comme quoi, le marketing avait bien raison : si vous êtes un adulte coquin, nul doute que ce livre saura vous conquérir !

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Note : 16/20

C’est du propre ! – Zelba

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Titre : C’est du propre !
Scénariste : Zelba
Dessinatrice : Zelba
Parution : Juin 2011


Zelba est une illustratrice allemande qui s’est lancée dans la bande-dessinée. « C’est du propre » est un ouvrage autobiographique narrant de multiples anecdotes de l’auteure, qu’elles soient actuelles ou passées. Le tout est publié aux Editions Jarjilles et pèse 160 pages.

Ce qui marque tout de suite à la lecture de l’ouvrage, c’est la part très importante donnée à la narration. La quantité de texte est importante, expliquant les faits dans les détails, l’image servant avant tout à l’illustrer le propos et à intégrer les dialogues. Ainsi, on a parfois l’impression de lire une histoire dessinée, ce qui n’est pas désagréable en soit. On se rapproche donc du roman graphique.

Dans l’intimité de l’auteure.

Les anecdotes sont très souvent fouillées et s’étalent sur plusieurs mois. Zelba ne laisse rien au hasard dans sa narration, comme si elle avait peur que le lecteur n’ait pas tous les éléments en mains pour comprendre. Cela densifie le propos et implique d’autant le lecteur qui a l’impression de vraiment toucher à l’intimité de l’auteure. En effet, Zelba parvient à créer un lien spécial avec son lectorat, avec à la fois des histoires émouvantes et pleines de sensibilité, comme avec des traits d’humour. Cet équilibré, peu évident à trouver, est le gros point fort du livre.

Outre les histoires plus longues et détaillées, riches en narration, on retrouve des anecdotes plus rapides, basées avant tout sur l’humour et sur les enfants de l’auteure. Leurs remarques drôles, leurs comportements étranges suffisent à nous faire sourire.

Le trait de Zelba se reconnaît très vite. Il est axé essentiellement sur les personnages. Les attitudes sont variées et toujours bien rendues. Le tout est rehaussé de gris au crayon, ce qui va très bien avec le trait de l’auteure. Les cases ici ne sont pas fermées, une liberté que Zelba exploite, variant les constructions de planches plus souvent qu’il n’y parait.

En conclusion, j’ai été séduit par cet ouvrage. L’équilibre en émotion et rires est parfaitement maîtrisé. L’auteure possède une capacité à créer un lien avec son lecteur qui, s’il vous prend, ne vous lâchera plus.

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Note : 16/20

L’atelier Mastodonte – Lewis Trondheim, Yoann, Cyril Pedrosa, Alfred, Julien Neel, Tébo & Guillaume Bianco

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Titre : L’atelier Mastodonte
Scénaristes : Alfred, Guillaume Bianco, Julien Neel, Cyril Pedrosa, Tebo, Lewis Trondheim & Yoann
Dessinateurs : Alfred, Guillaume Bianco, Julien Neel, Cyril Pedrosa, Tebo, Lewis Trondheim & Yoann
Parution : Juin 2013


Lorsque je tombe sur un ouvrage de Lewis Trondheim, je suis bien incapable de résister à la pulsion de l’achat. Alors lorsqu’il s’associe à d’autres auteurs que j’apprécie (Neel, Bianco, Yoann, Alfred…), il m’est impossible de ne pas passer à la caisse… « L’atelier Mastodonte » raconte le quotidien de quelques auteurs de bande-dessinée réunis en atelier. Ils dessinent tous des strips sur les anecdotes de l’atelier. Ainsi, il n’est pas rare qu’ils se répondent… Publiés dans le journal de Spirou, ceux-ci se voient regroupés dans un ouvrage au format paysage de belle facture. L’écrin est même dessiné par Bilal… Mais alors que donne cet ouvrage réunissant une véritable dream team de la BD ?

Tout démarre par la volonté de Trondheim d’ouvrir un atelier. Les premiers strips font donc part de cette envie et nous présente les auteurs. Ainsi, Guillaume Bianco est intimidé par Lewis Trondheim, Julien Neel se balade avec une marionnette, Cyril Pedrosa souhaite que les auteurs se syndiquent… Et rapidement s’instaure ce qui fera la force de l’ouvrage : la réponse du berger à la bergère ! Ainsi, lorsqu’un auteur se moque d’un autre dans son strip, celui-ci lui répond dans le strip suivant. Cela instaure une vraie dynamique. Il me semble d’ailleurs que dans le journal de Spirou, les strips étaient publiés par deux sur une page. Ceux-ci font chacun une demi-page de huit cases.

Une vraie diversité dans les humours.

La diversité des humours fait la force de l’ouvrage. Même si chacun sera plus ou moins sensible à tel ou tel auteur, globalement il y a une ligne directrice qui se dégage. Comme les auteurs se répondent, on reste souvent dans les mêmes humours au final. Et après des débuts plus classiques, les délires se développent et chaque personnage prend une ampleur intéressante, car son caractère est vu par différents auteurs. Et l’atelier parvient à dégager de vrais délires collectifs (on pense au collectionneur par exemple) qui donne l’impression d’une vraie cohésion de groupe.

L’autre intérêt est évidemment la diversité des graphismes. Tout est assez différent puisque l’on passe de dessins d’humains à de l’animalier… Là encore, c’est un plaisir de découvrir les différentes visions de chacun. Pour ma part, j’aime beaucoup les styles graphiques de beaucoup d’auteurs de cet ouvrage. On notera que de nombreux guests viennent enrichir l’ensemble et pas des moindres : Bouzard, Buchet, Delaf, Feroumont, Frantico, Keramidas, Libon, Nob, Plessix, Sapin, Stan & Vince et Vivès. Rien que ça !

Cet « Atelier Mastodonte » est une véritable réussite. Voilà un exemple à suivre en termes d’ouvrage collectif. Tout est entremêlé et c’est cela qui fait toute la force de ce livre. Plein d’humours différents, du scatologique au plus subtil, il est aussi une source de blagues sur les auteurs et leurs différences. A lire absolument.

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Note : 16/20

Châteaux Bordeaux, T1 : Le Domaine – Eric Corbeyran & Espé

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Titre : Châteaux Bordeaux, T1 : Le Domaine
Scénariste : Eric Corbeyran
Dessinateur : Espé
Parution : Mars 2011


 « Châteaux Bordeaux » est une nouvelle série de bandes dessinées née de l’imagination d’Eric Corbeyran. Ce dernier est un scénariste particulièrement prolifique. Il faut être en effet perpétuellement aux aguets pour guetter chacune de ses nouvelles parutions. Néanmoins, l’apparition de « Le domaine », premier opus de cette nouvelle saga n’est pas passée inaperçue. Nombreux ont été les articles l’évoquant dans la presse généraliste. Il va sans dire que les médias plus habitués du neuvième art ne l’ont pas passée sous silence non plus. Etant un grand adepte de Corbeyran depuis ma découverte de « Le chant des stryges », je me suis donc empressé de m’offrir ce nouvel ouvrage. Paru le mois dernier, il est édité chez Glénat dans un format classique d’une cinquantaine de pages. Son prix est également sans grande surprise. Il est possible de se le procurer pour un petit peu plus de treize euros. Le scénariste s’est associé à un dessinateur que je ne connaissais que de nom jusqu’à maintenant nommé Espé. Cette lecture était donc l’occasion de découvrir son style. Le premier contact eu lieu en regardant la couverture nous présentant une ravissante jeune femme appréciant un verre de vin au beau milieu des vignes, le tout sous un ciel orangé.

chateauxbordeaux1a« Le domaine » étant le premier tome de la série, il ne nécessite donc aucun pré-requis avant de s’y plonger. Comme on pouvait s’en douter, l’histoire nous immerge dans la région bordelaise. On y suit les pas d’Alexandra, venue assister à l’enterrement de son père. Mais à peine la cérémonie terminée, les guerres de succession se déclenchent. Ses deux frères veulent vendre le domaine viticole dont ils héritent. La propriété est criblée de dettes et un acheteur est intéressé. Le souci apparaît quand Alexandra, pas œnologue pour deux sous, décide de reprendre en main l’affaire et de lui donner à nouveau le prestige qu’elle possédait jadis. Mais tout n’est pas si simple et beaucoup de gens ne semblent pas se satisfaire de sa décision…

Une découverte de l’univers viticole.

L’attrait premier de l’album réside dans la découverte de l’univers viticole qu’il nous offre. Tout au long de la lecture, on navigue dans les vignes mais également dans les bureaux qui régulent cet univers a priori particuliers. En plus de cet aspect documentaire, « Le domaine » nous fait découvrir une histoire familiale avec les secrets, les non dits et les manipulations qui l’accompagnent nécessairement. On rencontre des personnages ambigus et on se doute que chacun n’est pas forcément celui qu’il parait être. Ensuite, on suit la mission que se fixe une jeune femme à la mort de son père. Novice en la manière, elle se fixe comme quête de redonner ses lettres de noblesse au domaine familiale. Tout cela rend la lecture de cet album intéressante et offre une lecture s’adressant à un public large.

Comme je le sous-entends précédemment, j’ai trouvé le scénario plutôt réussi. Bien qu’introductif, cet album nous amène un certain nombre d’informations. Quelques retournements de situation apparaissent, les personnages prennent place. Les dialogues sont riches. Etant personnellement étranger à l’univers du Bordelais, je goûte avec plaisir les informations sur ce milieu qui parsèment notre lecture. Elles concernent autant la fabrication pure et simple du breuvage que ses aspects économiques. Sans être magistral, l’auteur arrive à mettre en avant le côté documenté de son travail. Cela donne une dimension très réaliste à l’ensemble.

chateauxbordeaux1bDu fait de la trame scénaristique, on découvre une grande galerie de personnages. Le protagoniste principal est donc Alexandra. Exilée jusqu’alors aux Etats-Unis, elle décide changer de vie en s’installant au domaine. Très rapidement, on ressent de l’empathie pour elle. On sent une jeune femme accompagnée d’un idéal se plonger dans un milieu difficile dans lequel les règles paraissent rares et obscures. Son côté « chevalier blanc » et « seule contre tous » déclenche forcément la sympathie du lecteur. Je ne vais pas lister les autres intervenants de la trame car ce serait alors bien trop vous la divulguer. Mais sachez qu’ils sont nombreux et plutôt bien amenés.

La lecture est prenante. Dès les premières pages, on prend plaisir à naviguer dans les pas d’Alexandra. Sur ce plan-là, l’ambiance est très réussie. Notre lecture n’est pas neutre. On n’est pas indifférent à ce que l’on découvre. La narration n’est pas monotone. Bien au contraire, notre curiosité est souvent alimentée par une nouvelle information ou un nouvel événement. Le dépaysement est certain est c’est une avec une légère frustration qu’on découvre la dernière page et que notre voyage doit s’arrêter là.

Il va sans dire que l’apport des dessins est certain. Dans un premier temps, je trouve que les décors et les paysages sont très réussis. Qu’ils soient champêtres ou urbains, on n’a aucun mal à ressentir ou reconnaître les endroits dans lesquels on se trouve. Qu’on se balade dans des vignes ou sur une barque, qu’on découvre des caves ou des bureaux d’avocats, tout est réaliste et tout participe à développer le plaisir de la lecture. De plus, je trouve les personnages bien dessinés. On n’a aucune difficulté ni à les reconnaître ni à sentir les caractères. Chacun dégage une impression personnelle qui densifie l’histoire.

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Pour conclure, cette découverte de « Le domaine » a été un moment très agréable. Je me suis très vite passionné pour l’histoire et je ne vous cache pas que je guetterai l’apparition de la suite avec une grande attention. J’espère que cette saga familiale prendra l’ampleur que semble lui offrir son premier opus et qu’elle ne tombera pas à la manière d’un soufflet. C’est toujours la crainte que je ressens après un tome initial réussi et prometteur. De plus, le fait que l’intrigue se déroule dans le milieu viticole est quelque chose qui m’a beaucoup plu, il est toujours intéressant de découvrir un univers jusqu’alors inconnu. Il ne me reste plus qu’à vous conseiller d’aller à sa rencontre à votre tour.

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Note : 16/20