Titre : Blast, T4 : Pourvu que les bouddhistes se trompent
Scénariste : Manu Larcenet
Dessinateur : Manu Larcenet
Parution : Mars 2014
« Blast » est un OVNI du neuviĂšme art. Depuis la sortie de son premier tome il y a presque quatre ans, cette sĂ©rie est amenĂ©e Ă marquer profondĂ©ment ses lecteurs. Ce roman graphique nĂ© de lâimagination et de la plume de Manu Larcenet est un uppercut permanent. Cette saga est une tĂ©tralogie. Le sept mars dernier est apparu lâĂ©pisode ultime du parcours de Polza Mancini, ce personnage pas comme les autres. Ce dernier opus sâintitule « Pourvu que les bouddhistes se trompent ». EditĂ© chez Dargaud, cet ouvrage se compose de cent quatre-vingt-quinze pages. Il coĂ»te vingt-trois euros. La couverture se partage en deux plans. Le premier nous prĂ©sente Polza, revenu Ă lâĂ©tat sauvage. Le second nous prĂ©sente Carole assise un rĂ©volver dans la main. Le dĂ©nouement approche et nous pouvons lĂ©gitimement lâapprĂ©hender.
La quatriĂšme de couverture fait parler Mancini qui sâadresse Ă nous : « Un vent lourd, puant suie et cadavre, gronde sur la route et me glace. Lâorage approche. Je ne cherche aucun abri, il nâen existe pas Ă ma taille. Je claudique au bord du chemin, ivre comme toujours, dans lâespoir que la distance entre nous se rĂ©duise que nos peaux se touchent enfin. Sali, battu, hagard, je repousse le moment oĂč, le souffle court et les pieds meurtris par de mauvaises chaussures, je devrai mâarrĂȘter. Serai-je encore assez vivant pour repartir ? »
Tour Ă tour Ă©mu, touchĂ©, Ă©nervĂ©, choquĂ©, compatissant, dĂ©goĂ»tĂ©, horrifiĂ©…
Polza Mancini est un personnage riche qui ne peut pas laisser indiffĂ©rent. Pire que cela, il arrive Ă gĂ©nĂ©rer tous les spectres des sentiments possibles. Tour Ă tour jâai Ă©tĂ© Ă©mu, touchĂ©, Ă©nervĂ©, choquĂ©, compatissant, dĂ©goĂ»tĂ©, horrifiĂ© et jâen passe. Dâune page Ă lâautre, nos Ă©motions sont chamboulĂ©es. La vie de Polza est celle dâun clochard comme il lâaffirme. Elle alterne donc entre des moments de poĂ©sie dans la forĂȘt ou prĂšs dâune riviĂšre avec des moments durs inhĂ©rents Ă la vie dehors. Tous les marginaux ne sont pas stables et bienveillants, loin sâen faut. Dâailleurs le Mancini nâest pas dĂ©nuĂ© de dĂ©faut : il est alcoolique, droguĂ©, instable, sale. A cela sâajoute un physique difforme qui incite Ă dĂ©tourner le regard. Bref, il fait partie des gens quâon nâoublie mais quâon ne souhaite pas croiser Ă nouveau.
Mais Polza ne nous conte pas son histoire au coin du feu. Il est en garde Ă vue. Il est accusĂ© du meurtre de Carole, une jeune femme que les premiers tomes ont petit Ă petit fait apparaĂźtre dans la vie de Mancini. Lâalbum prĂ©cĂ©dent se concluait par une rude rĂ©vĂ©lation : Carole aurait tuĂ© son propre pĂšre. Câest donc ici que reprend la trame pour ce dernier acte.
A la suite de son Ă©vasion de lâhĂŽpital, Polza est hĂ©bergĂ© chez un des anciens pensionnaires prĂ©nommĂ© Roland. Ce dernier vit dans une ferme reculĂ©e avec sa fille Carole. Mancini ne quittera plus cette ferme jusquâĂ son interpellation par la police. Pour la premiĂšre fois, Polza est sĂ©dentaire. Bien quâil affirme ĂȘtre irrĂ©mĂ©diablement attirĂ© par un dĂ©part dans la forĂȘt, il ne franchit jamais le pas. Il semble attachĂ© Ă sa nouvelle famille. LâĂ©quilibre qui rĂ©git la vie de cette petite communautĂ© est remarquable dĂ©crit par Larcenet. Alors quâon pourrait y voir une fille aimante et dĂ©vouĂ©e qui sâoccupe de son pĂšre malade et qui accueille un sans-abri en quĂȘte dâaffection. Mais tout cela est bien plus compliquĂ©, malsain et inquiĂ©tant. Chaque rayon de soleil prĂ©cĂšde une longue pĂ©riode sombre sans lumiĂšre. Lâissue nous est connue. Elle est triste et fatale. Le moins que nous puissions dire est que le chemin qui y mĂšne nâest pas plus joyeux.
CĂŽtĂ© dessin, le voyage est intense. Le travail graphique de Larcenet est impressionnant. Son Ćuvre est quasiment entiĂšrement en noir et blanc. Il fait naĂźtre une grande galerie dâatmosphĂšre. Que les scĂšnes soient intimes ou que ce soient des paysages, que les moments soient lĂ©gers ou horribles, tout nous pĂ©nĂštre profondĂ©ment. Je nâai pas le vocabulaire suffisamment riche pour vous transcrire les sentiments ressentis devant les planches ou les termes prĂ©cis et techniques qui permettraient dâexpliquer la qualitĂ© du travail. Je ne peux donc que vous inciter Ă ouvrir aux hasards ce tome et en lire quelques pages. Ce sera la meilleure maniĂšre de vous imprĂ©gner et de savourer les remarquables illustrations qui accompagnent cette histoire qui lâest tout autant.
« Pourvu que les bouddhistes se trompent » conclue avec maestria cette grande saga. La derniĂšre partie de lâouvrage est une invitation Ă la redĂ©couvrir avec un regard neuf. Cette sĂ©rie est une Ćuvre majeure de ma bibliothĂšque. Je pense que je mây plongerai rĂ©guliĂšrement quitte Ă prendre du plaisir de lecteur Ă souffrir. « Blast », câest une expĂ©rience qui ne laisse pas indemneâŠ
Note : 19/20