
Titre : Canardo, T22 : Piège de miel
Scénariste : Benoît Sokal
Dessinateurs : Benoît Sokal & Pascal Regnauld
Parution : Octobre 2012
« Canardo » est une série que j’apprécie énormément. Suivre les enquêtes de ce détective au physique de palmipède et à l’allure de Colombo procure un plaisir certain. Je suis assez admiratif de la capacité de son auteur, Sokal, à conserver une qualité d’écriture toujours élevée plus de trente ans après les premières aventures de son héros. J’étais donc confiant et impatient de me plonger dans cette nouvelle épopée intitulée « Piège de miel ». Sa parution date du mois de septembre dernier. Le père historique de la saga s’associe une nouvelle fois à Pascal Regnauld pour faire naitre cet opus.
Comme dans une grande partie de ses histoires récentes, Canardo se trouve proche du plat pays. La Belgique est le nouveau lieu star des pérégrinations du célèbre enquêteur. Cela permet de faire apparaitre une ambiance grise et triste. On a le sentiment que le soleil n’est jamais de sortie. On ne peut pas dire que Sokal milite pour l’office de tourisme belge. Je me garderais de toute comparaison avec la réalité sur les plans géographiques et météorologiques mais je tiens à préciser que j’apprécie toujours d’être envouté par cette atmosphère. Le travail sur les couleurs participe activement à la force de cette dernière. Le dépaysement est immédiat. On ressent un vrai plaisir à retrouver cet univers qui nous est familier et qui ne nous laisse pas insensible.
Une partie de Cluedo des plus passionnantes.
Le héros étant détective, il lui faut donc trouver une affaire pour expliquer sa charismatique présence sur les lieux. Il est ici en mission. On apprend rapidement qu’il surveille de près un ministre au physique peu avenant. Une parenté avec notre cher ancien-futur président de la France ne serait qu’un hasard malencontreux. Canardo arrange une rencontre entre ce ponte et une femme splendide qui s’avère être une prostituée de luxe. Tout cela sent le guet-apens. Mais l’intrigue prend vite une tournure différente quand tout ce beau monde est pris par une tempête de neige. La solution de repli pour passer la nuit est une curieuse résidence isolée et habitée par une famille noble à défaut d’être riche.
Tout est donc réuni pour nous plonger dans une partie de Cluedo des plus passionnantes. Il n’y a pas de crime mais tous les autres ingrédients sont présents. L’unité de lieu est imposée par la météo. De plus, ce lieu possède un charme certain. C’est un château perdu au milieu de la forêt. On retrouve une galerie de personnages importante. Chacun donne lieu à des interrogations. Les secrets semblent nombreux et les cadavres doivent inonder les placards. Notre ami palmipède semble vouer à arbitrer tout ce petit monde et les différentes interactions qui vont lier les uns avec les autres. Cet état des lieux attise donc notre curiosité et fait que notre immersion est immédiate. Dès les premières pages, par les décors, les personnages et l’atmosphère, on est conquis.
Notre plaisir ne diminuera jamais au fur et à mesure que les pages défilent. A aucun moment, notre attention et notre attrait ne s’atténuera. La narration ne souffre d’aucun temps mort. Bien au contraire, l’intensité ne cesse d’augmenter. Chaque personnage, par son apparition dans l’intrigue, relance la trame. Le dénouement est à la hauteur du chemin qui y mène. Il n’y a aucune déception. La dernière page est un modèle de conclusion tant sur le plan graphique que du texte. Ce nouvel opus ravira les adeptes du célèbre détective. Ils y retrouveront tous les ingrédients qu’ils ont l’habitude de savourer. Pour ceux qui n’ont encore jamais rencontré Canardo, je ne peux que vous conseiller de découvrir « Piège de miel ». Il s’agit d’un excellent cru pour un premier rendez-vous avec le célèbre palmipède…

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De son côté, Canardo a d’autres soucis. Cette ravissante demoiselle amnésique lui occupe tout son temps. Elle a été retrouvée au milieu d’un lac par un pêcheur d’anguilles qui depuis l’a recueillie. L’essentiel des échanges entre le palmipède et sa cliente se déroule donc dans un bouiboui spécialisé dans la cuisson de l’anguille. Cela permet aux auteurs de créer quelque chose qu’ils adorent et pour lesquels ils sont particulièrement talentueux : une petite communauté vivant quasiment en autarcie au milieu de nulle part. Chacune de ces immersions dans ces lieux gris où grouille cette faune particulière est un véritable bonheur. Le séjour chez Harry confirme ce postulat.

La force de cette série est de présenter un héros particulièrement froid et violent, doté d’une morale minimale. Pourtant, notre empathie pour lui est bien réelle puisqu’on espère qu’il s’en sortira. La violence est omniprésente, portée par une narration parfaitement maîtrisée. C’était déjà un des points forts du premier album, on le retrouve ici. Les textes sont un véritable plaisir de lecture, sublimés par la mise en image. Les cases longues et grandes donnent une vraie dimension cinématographique à l’ensemble. Mais qu’on ne s’y trompe pas : « Tyler Cross » s’inspire du cinéma, mais utilise au mieux les codes de la bande-dessinée.

Vous l’aurez compris aisément, il est difficile de s’immerger dans cette lecture sans avoir quelques prérequis solides. Je vais vous offrir les grandes lignes de l’intrigue. Les Stryges sont des créatures ailées qui accompagnent dans l’ombre l’humanité depuis toujours. Leurs destins sont intimement liés sans qu’on arrive réellement à maîtriser la nature exacte de leur « association ». Weltman est un homme qui avait passé une alliance avec ses monstres. En échange d’une quasi-immortalité, il devait chercher à soigner leur stérilité. Tout ne s’est pas passé comme prévu. Cette lutte qui a duré des siècles s’est conclu lorsque Debrah, une mystérieuse femme aux talents nombreux a hérité de l’empire de Weltman après l’avoir tué. Depuis, elle cherche à mettre la main sur tous les hybrides dont elle fait partie pour choisir définitivement son camps : avec ou contre les stryges ?
Ce seizième tome nous présente une bataille rangée entre Debrah et Carlson. La première veut sauver les hybrides, le second veut les exterminer. Par les temps qui courent, le second est en train de prendre le dessus. La conclusion de cet album sur ce plan est une belle réussite. Parallèlement, l’héroïne et ses acolytes sont arrivés à reproduire deux Stryges. Ils sont donc en passe de résoudre le problème de stérilité. La question se pose donc de savoir que faire de ce nouveau pouvoir. Cette interrogation ne trouve pas vraiment de réponse dans cet opus. D’ailleurs le fond de l’intrigue avance relativement peu dans cet acte. Les événements s’enchainement mais aucun ne révolutionne vraiment l’ensemble. La lecture est donc agréable mais n’est pas aussi prenante qu’à l’habitude. En effet, elle est plus linéaire que dans les albums précédents. Il n’y a de réels rebondissements. Peut-être s’agit-il d’une transition avec la suite ? Néanmoins, rien n’est bâclé mais disons que l’ensemble manque légèrement d’ampleur.





Cette mutation de Clovis est particulièrement réussie, car elle se fait au fur et à mesure des pages. Elle est remarquable de cohérence. Les révélations familiales sont moins originales, mais leur parallèle avec le tableau de Millet leur donne un intérêt certain. Mais au-delà du secret, c’est bien de la renaissance d’un homme dont ce diptyque traite.

Ce premier tome sert avant tout à poser les jalons de l’histoire. Nous avons d’abord la vie de Clovis. Vivant dans le village qui l’a vu naître, il exerce un métier qui ne le passionne guère et supporte la vie de famille en se faisant marcher dessus par son aîné en pleine crise d’adolescence. Perturbé par le tableau de Millet, il commence des recherches sur l’histoire de ce tableau. Le fait qu’il ne sache pas utiliser internet (une honte pour son fils), fait qu’il y perd beaucoup de temps. Au fur et à mesure que l’obsession grandit, sa vie se délite et Clovis tout autant.
Les auteurs utilisent parfaitement les 56 pages pour poser l’intrigue. Même si les personnages sont un peu caricaturaux (la prof d’arts plastiques et le côté « village de province » en général), le tout fonctionne très bien. Tout semble cohérent et naturel et les relations entre eux sont crédibles. Ainsi la professeur et Clovis semblent assez proches d’entamer une relation et l’ambiguïté persiste sans que rien ne vienne vraiment.


Bien souvent, la première partie d’un diptyque a pour objectif de poser la situation, de présenter les enjeux et de mettre le héros dans une situation complexe générant ainsi un suspense à la fin de la lecture. « Chassé-croisé » n’échappe pas à cette règle. Les personnages principaux arrivent à Londres, s’installent. Pendant ce temps, des inconnus font leur apparition. On les devine animés de mauvaises intentions mais les zones d’ombre restent nombreuses. Tout ce petit monde se rencontre et de ces interactions naissent des questions pour l’instant sans réponse. La recette est efficace mais exécutée ici avec une sensation de paresse. Je n’ai pas retrouvé dans cet album l’intensité dramatique habituelle. J’avais le souvenir que la lecture d’un tome de cette série était toujours accompagnée du sentiment d’être au beau milieu d’un tourbillon d’événements qui ne faisaient qu’aggraver la situation de Largo. Ici, le ton est plus léger. Les amourettes des différents personnages tendent presque cette histoire d’espionnage vers le vaudeville.