Titre : Chùteaux Bordeaux, T4 : Les millésimes
Scénariste : Eric Corbeyran
Dessinateur : Espé
Parution : Septembre 2013
Eric Corbeyran est un de mes auteurs de bandes dessinĂ©es prĂ©fĂ©rĂ©es. Il est particuliĂšrement productif et possĂšde une forte capacitĂ© Ă faire exister des univers trĂšs diffĂ©rents. ChĂąteaux Bordeaux est une saga qui sâinscrit dans lâunivers viticole. Il y fait exister le destin dâune jeune femme, Alexandra, qui cherche Ă faire exister Ă nouveau le domaine familial. Le quatriĂšme tome est apparu le 4 septembre dernier dans les librairies. EditĂ© dans la collection Grafica chez GlĂ©nat, il sâintitule Les millĂ©simes. Dâun format classique, il coĂ»te 14 euros. Comme pour les prĂ©cĂ©dents opus, la couverture est habitĂ©e par lâhĂ©roĂŻne. On la dĂ©couvre  ici dans une cave, un verre la main. Elle donne lâimpression de vouloir trinquer avec le lecteur. Tout un programmeâŠ
La quatriĂšme de couverture offre la mise en bouche suivante : « Alexandra Beaudricourt a repris en main lâexploitation familiale aprĂšs la mort de son pĂšre, malgrĂ© la rĂ©ticence de ses frĂšres et surtout en dĂ©pit de son absence totale de connaissances en matiĂšre de viticulture. Une Ă©nergie et un enthousiasme hors du commun additionnĂ©s Ă un amour immodĂ©rĂ© pour le bon vin sont ses principaux atouts. Suffiront-ils Ă lui permettre de surmonter les coups tordus du milieu et les vicissitudes du marchĂ© ? »
ChĂąteaux Bordeaux sâinscrit dans la lignĂ©e de grandes sagas familiales telles que Les MaĂźtres de lâorgepar exemple. La diffĂ©rence est quâelle ne traverse pas les gĂ©nĂ©rations et se concentre sur le destin dâun seul protagoniste. NĂ©anmoins, Ă travers lâhistoire, lâauteur arrive Ă nous faire dĂ©couvrir le passĂ© du domaine viticole et de la famille Beaudricourt. La structure narrative fait quâil est indispensable dâavoir lu les trois premiers Ă©pisodes pour ne pas se sentir perdu en dĂ©couvrant Les millĂ©simes. Lâintrigue se dĂ©roule de maniĂšre classique et sâadresse Ă un public large.
Un véritable panier de crabe
Quand elle dĂ©cide de prendre en main lâentreprise familiale, Alexandra revient de plusieurs annĂ©es aux Etats-Unis. Elle nâest pas du tout familier des us et coutumes locaux et dĂ©couvre que lâunivers viticole est un vĂ©ritable panier de crabes. Cet aspect est habilement dĂ©crit par Corbeyran. Jâai eu le sentiment quâun petit groupe de personnes font la pluie et le beau temps quant Ă la cĂŽte des crus locaux. En tant quâĂ©trangĂšre au milieu, Alexandra souffre. Chaque nouvel espoir est souvent suivi par une dĂ©sillusion imprĂ©vue et souvent douloureuse. Corbeyran utilise Ă©galement de maniĂšre pertinente les arcanes administratives que sont la gestion dâun domaine. A aucun moment, il dĂ©cide de rendre les choses plus simples pour laisser uniquement la place Ă une jeune fille qui arrive Ă faire un vin merveilleux. En ne nĂ©gligeant pas les contraintes juridiques, financiĂšres et humaines, il rend la trame crĂ©dible et offre une tension dramatique plutĂŽt rĂ©ussie.
Le tome prĂ©cĂ©dent sâĂ©tait conclu par une vision positive. Alors que lâhĂ©roĂŻne Ă©tait au fond du trou, elle se voit aider par son frĂšre qui lui recrute une Ă©quipe compĂ©tente pour faire naĂźtre de ses vignes un vin de grande qualitĂ©. La consĂ©quence est que ce nouvel opus nous fait dĂ©couvrir entre autre le travail de cette nouvelle Ă©quipe et apporte au lecteur un vrai cours de viticulture et dâĆnologie. Une scĂšne de dĂ©gustation nous permet de comprendre tous les aspects qui influencent la qualitĂ© dâun vin. Il nous est listĂ© les diffĂ©rentes erreurs qui ont fait des derniĂšres cuvĂ©es des Ă©checs. Ce moment est envoutant. Bien que personnellement je ne boive pas de vin, jâĂ©tais fascinĂ© par le cours dĂ©roulĂ© dans cette cave.
Cette sĂ©rie a nĂ©cessitĂ© une forte et dense recherche documentaire. Le monde du vin et de lâĆnologie nâest pas aisĂ© Ă comprendre et Ă maĂźtriser. Les auteurs se sont investis de maniĂšre sĂ©rieuse et appliquĂ©e pour offrir une narration crĂ©dible. Certes, Ă certains moments, cela offre des scĂšnes au contenu magistral. NĂ©anmoins, lâintĂ©rĂȘt lâemporte bien souvent sur ce lĂ©ger dĂ©faut de forme. A aucun moment, je nâai eu le sentiment que ChĂąteaux Bordeaux se contentait dâĂȘtre un cours universitaire sur le vin, sa conception et son environnement. Comme toute saga, la sĂ©rie offre son lot de trahisons, de drames et de secrets. Tout cela reste classique mais est plutĂŽt bien amenĂ©. Lâempathie gĂ©nĂ©rĂ©e par lâhĂ©roĂŻne fait que je me suis laissĂ© prendre sans mal par cette vieille recette sĂ©rieusement cuisinĂ©e.
Par contre, je ne suis pas totalement sous le charme du trait dâEspĂ©. Les planches sont travaillĂ©es. Le travail sur les dĂ©cors est Ă©vident. Câest important quand une histoire sâimplique dans lâunivers local. Les personnages sont suffisamment bien dessinĂ©s pour que le lecteur nâait aucun mal Ă les diffĂ©rencier et Ă se les approprier. NĂ©anmoins, je trouve quâils manquent de personnalitĂ© et que les dessins sont froids. Je trouve que les illustrations se contentent de servir de support au texte et Ă la narration. Je regrette que quâils ne subliment pas la trame. La thĂ©matique et lâhĂ©roĂŻne se prĂȘtent Ă des envolĂ©es sensorielles et Ă©motionnelles. HĂ©las, le travail dâEspĂ© reste en retrait dans le domaine.
Pour conclure, Les millĂ©simes poursuit avec qualitĂ© les aventures dâAlexandra. LâhĂ©roĂŻne est attachante et gĂ©nĂšre une rĂ©elle curiositĂ© chez le lecteur quant Ă la rĂ©ussite de son entreprise. Les personnages nous sont dĂ©sormais familiers et câest donc avec un vrai plaisir que je les ai retrouvĂ©s. La derniĂšre page fait naĂźtre un vrai suspense pourtant imprĂ©visible. Tout est donc fait que je sois attentif Ă la sortie du cinquiĂšme tome dans les mois Ă venir. Mais cela est une autre histoireâŠ
Note : 14/20