Whaligöe, T2 – Yann & Virginie Augustin

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Titre : Whaligöe, T2
Scénariste : Yann
Dessinatrice : Virginie Augustin
Parution : Janvier 2014


 « Whaligoë » est un diptyque créé par le scénariste Yann et la dessinatrice Virginie Augustin. Les couleurs sont confiées à Fabien Alquier. La première partie était parue il y a un petit peu plus d’un an. La conclusion, sujet de ma critique d’aujourd’hui, est apparue dans les rayons de librairie le quinze janvier dernier. Cet ouvrage de format classique est vendu chez Casterman au prix de 13,50 euros. La couverture nous immerge au beau milieu d’un duel à l’épée. La foule qui encadre est nombreuse à encadrer les deux protagonistes à la lumière de torches embrasées. L’heure semble être au règlement de compte. Le programme est ainsi clairement annoncé.

La quatrième de couverture nous offre la présentation suivante : « Ecosse, début du XIXe siècle. Leur cocher égorgé, notre couple sur le déclin ne peut désormais plus refuser l’affrontement final avec Branwell, la brute qui tient sous sa coupe le village de Whaligoë… Mais pour connaître l’identité du mystérieux écrivain Ellis Bell, tous les coups bas sont permis, du duel à la claymore aux morsures littéraires empoisonnées… Et si la vérité ne se trouvait pas à la surface des choses ? … Si elle se dissimulait dans des profondes et inquiétantes ténèbres sous la lande tourbeuse de Whaligoë ? »

Le concept du diptyque est souvent utilisé ses dernières années dans la bande dessinée. Il n’est pas dépourvu d’attraits. En effet, il n’a pas les inconvénients des séries au long cours qui voient bien souvent leur qualité décliner au fur et à mesure que naissent les différents épisodes. De plus, il peut présenter une histoire plus dense et travaillée qu’un simple album d’une petite cinquantaine de page. Malgré le genre possède des risques. Le principal est de générer un univers complexe, des personnages mystérieux, des enjeux forts dans l’introduction et de voir la conclusion de ne pas répondre aux attentes enthousiastes et exigeantes du lecteur après la découverte du premier acte. « Whaligoë » avait offert un tome initial assez réussi. Sur bon nombre de points, il s’agissait d’un bon cru. J’espérais que cette suite allait le confirmer.

“Une atmosphère riche”

La première richesse que j’ai retenue de ma rencontre avec « Whaligoë » est son atmosphère. L’arrivée dans ce village perdu au beau milieu des landes était superbement retranscrite par le trait de Virginie Augustin. Que ce soit au contact d’autochtones parfois patibulaires ou au centre d’étendues désertiques et inquiétantes, la dessinatrice arrivait à dégager de ses planches un vrai envoûtement pour le lecteur. De plus, le fait que bon nombre d’événement se déroule la nuit ajoutait encore une dimension à cette sensation oppressante d’être enfermé au milieu de nulle part. Malgré un léger changement de ton narratif dans ce second opus, cette qualité sensorielle des pages existe toujours. C’est un vrai plaisir. Les auteurs ont accordé de l’importance à construire un univers et des lieux avant d’y insérer des personnages et une histoire. Je leur en suis gré car le voyage à Whaligoë ne laisse ainsi pas indemne.

Le deuxième aspect qui m’avait beaucoup plu était la construction des personnages. Le couple principal était assez unique dans son genre. Lui est un auteur qui a depuis longtemps perdu toute inspiration. Elle est sa Muse qui n’est plus aussi splendide qu’elle a été. Ils sont présentés comme des « has been » qui se reprochent réciproquement d’être la cause de leur déchéance tout en ne se quittant pas, faute d’autre proposition. Leurs échanges fielleux sont des petits bijoux de méchanceté. Chaque dialogue est écrit, rien n’est bâclé. J’ai retrouvé cette patte dans cette suite et en ai savouré les fruits avec gourmandise. Mais les auteurs ne se contentent pas d’offrir un mano a mano entre les deux tourtereaux, ils font également exister leurs personnages secondaires. Je me garderai de les lister. Cela n’a pas grand intérêt et gâcherait en partie la lecture. Néanmoins, il faut savoir qu’aucun protagoniste n’est neutre tant pour l’ambiance que pour la trame.

Concernant la trame, elle est plutôt prenante. Quelques doses mystérieuses sont régulièrement parsemées. Le héros se trouve un adversaire local. Les sentiments amoureux et les secrets de famille sont de sortie. Bref, les ingrédients sont classiques mais solides. La sauce prend plutôt bien sans révolutionner le genre. Le scénariste offre une conclusion à la hauteur des espoirs nés dans son introduction. Ce n’est déjà pas si mal. Ce second album n’est pas une succession de combats ou de poursuites. Les dialogues et les intrigues ne sont pas négligés malgré une place légitime plus importante donnée aux scènes d’action. Le diptyque peut vraiment être perçu comme une entité unique. C’est agréable car ce n’est pas toujours le cas.

Je vous ai déjà tressé les lauriers du travail graphique de Virginie Augustin sur les décors. Je peux en faire tout autant concernant sa capacité à créer des personnages. Il possède chacun une vraie personnalité et dégage énormément de choses par leurs traits, leurs visages ou leurs postures. Bref, la forme est à la hauteur du fond. Pour conclure, « Whaligoë » est une saga plutôt réussie dans laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir à me plonger. La lecture est prenante et je me suis laissé porter sans mal. Certes, je n’en garde pas d’immenses souvenirs une fois le bouquin terminé, mais est-ce si grave si la dégustation fut agréable ?

gravatar_ericNote : 14/20

La vie secrète des jeunes – Riad Sattouf

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Titre : La vie secrète des jeunes
Scénariste : Riad Sattouf
Dessinateur : Riad Sattouf
Parution : Octobre  2007


Ce que j’aime avant tout chez Riad Sattouf, c’est sa série « Pascal Brutal » que je qualifierai sans peine de culte. Après cette découverte, je me suis intéressé aux autres travaux de l’auteur. Or, une bonne partie des livres qui ont fait la renommée de ce dernier sont des reportages ou de l’autobiographie. J’avoue que je n’ai jamais été pleinement emballé par cette partie de l’œuvre de Sattouf. Mais il me restait encore « La vie secrète des jeunes » pour revoir mon jugement. Il s’agit ici du premier tome paru à L’Association dans la collection Ciboulette. Le tout fait 160 pages pour 160 saynètes.

A l’origine, « La vie secrète des jeunes » paraît dans Charlie Hebdo. L’auteur raconte en une page des anecdotes sur des passants qu’il a pu rencontrer. Cela se passe dans la rue, le métro, au bistrot, dans le taxi… Les histoires ne sont pas forcément des gags à chute puisqu’ils trahissent une réalité de situation, mais le tout est clairement destiné à faire rire (ou à pleurer ?).

Observer ses contemporains

Dès le départ, on voit que Riad Sattouf possède un vrai sens de l’observation. Clairement, il ne doit pas avoir des écouteurs vissés en permanence à ses oreilles car il profite pleinement des conversations de ses contemporains. Vivre à Paris l’aide forcément beaucoup pour observer les comportements erratiques de la faune locale. En revanche, le titre est plutôt mal choisi, car le livre ne se limite pas forcément aux jeunes. Certes, ils sont très présents car bruyants et faciles à écouter, mais toutes les générations sont représentées.

J’ai un sentiment mitigé sur cet ouvrage. Le sujet en lui-même fait que l’ensemble est assez inégal. Certaines anecdotes sont très croustillantes, d’autres sont assez banales. Cependant, l’auteur fait montre d’une vraie capacité de mise en situation. De même, il retranscrit parfaitement les attitues des jeunes, leur façon de se parler et de se comporter. Et on sent qu’il choisit au mieux le point de vue pour raconter. Si bien qu’il faut avouer que le livre est addictif. Lorsque l’on est lancé, on a du mal à décrocher.

Le trait de Sattouf, simple et expressif, est parfaitement adapté au sujet. Le noir et blanc de l’ouvrage et le découpage au gaufrier rendent la lecture simple et efficace. C’est vraiment dans l’expression des personnages et des phylactères que l’auteur fait passer le rire.

« La vie secrète des jeunes » possède un charme particulier. Observant le même genre de comportements dans mon quotidien, je vois bien que Riad Sattouf n’a pas besoin d’inventer quoique ce soit et qu’il est avant tout un fin observateur de ses contemporains. Une belle découverte, qui donne envie de lire les tomes suivants.

avatar_belz_jol

Note : 15/20

Kraa, T3 : La colère blanche de l’orage – Benoît Sokal

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Titre : Kraa, T3 : La colère blanche de l’orage
Scénariste : Benoît Sokal
Dessinateur : Benoît Sokal
Parution : Janvier 2014


« Kraa » est le titre d’un triptyque imaginé, scénarisé et dessiné par Benoît Sokal. C’est le nom du créateur de « Canardo » qui avait attiré mon regard sur la couverture du premier acte de cette nouvelle aventure il y a presque quatre ans. Je n’ai pas regretté le voyage dans la lecture des deux premiers épisodes s’est montrée intense et envoutante. En janvier dernier, est sorti le dernier tome intitulé « La colère blanche de l’orage ». L’ouvrage nous accueille avec le visage inquiétant d’un grand aigle accompagné d’un ciel orageux illuminé par des éclairs. Edité chez Casterman, cet album se compose de soixante-sept planches et se conclue par deux pages consacrées au chamanisme, thème central de la trame.

Le site BDGest’ propose le résumé suivant : « Dans l’un des hôpitaux de la ville de Klowtown, au début des années soixante, une femme médecin qui n’est plus toute jeune, Emily, se souvient de l’époque enfuie de sa jeunesse… Flash-back : en ces temps lointains, au cœur de la vallée sauvage menacée par la poussée urbaine de Klowtown en plein essor, la jeune Emily a appris à vivre en autarcie avec Yuma, l’indien mutique, et son inquiétant compagnon ailé, l’aigle Kraa, avec lequel s’est instauré un lien d’essence chamanique. Au prix de bien des souffrances, paix et tranquillité semblent enfin régner. Hélas, ce n’est qu’un leurre. Les travaux de construction du futur barrage viennent juste de commencer ; une menace directe et immédiate pour le paradis jusqu’alors inaccessible d’Emily, Yuma et Kraa. Il est temps pour le rapace et son compagnon de reprendre l’offensive contre les envahisseurs. Et tous les coups sont permis… »

Une marche vers l’industrialisation

Cet ouvrage n’est pas une ode au chamanisme. Ce n’est pas non plus un documentaire sur cette pratique. Le lien entre Yuma et Kraa est pleinement intégré dans une intrigue aux enjeux bien plus variés et complexes. Le propos dénonce le progrès à tout prix. La construction du barrage n’est vu par certains que comme une marche vers l’industrialisation et les profits générés. Le fait que cela détruise la nature environnante et la communauté humaine et animale qui y vit ne rentre pas du tout en ligne de compte. Néanmoins, je n’ai pas perçu ce discours écologique ni trop radical ni trop idéologique. En tout cas, cette revendication ne m’a pas dérangé.

La narration est vécue dans les pas de Yuma. Par voie de conséquence, Kraa est également très présent. En effet, le concept chamanique veut qu’il ne fasse qu’un et l’auteur arrive particulièrement à transmettre cette dimension fusionnelle. Le deuxième tome avait introduit Emily et le duo était devenu trio avec toutes les complications qui peuvent naître. Ce nouvel album marque une rupture avec les deux premiers. Nous le vivons à travers le regard et les mots d’Emily qui apparaît donc omnisciente quant au déroulement des événements. Elle est maintenant au crépuscule de sa vie et se retourne sur un passé qui l’a marquée à jamais. Je ne suis pas contre une variation de ton mais je trouve que l’histoire y perd en intensité. D’une part, ces allers retours entre deux époques ne permettent pas une immersion complète dans l’univers de Yuma. D’autre part, le fait de voir les événements contés par un personnage a tendance à éloigner le lecteur du héros. La force dramatique qui envahissait chaque page a tendance à être moindre dans « La colère blanche de l’orage ». Bien que tout cela soit mené avec talent, je trouve dommage d’atténuer l’atmosphère qui était incontestablement la plus grande qualité de la série.

Le scénario est toujours aussi bien écrit. L’auteur arrive à faire cohabiter les événements liés à la construction du barrage et la révolution en marche à l’échelle de la région avec le développement de ses personnages principaux. Des moments d’action et de suspense côtoient des scènes plus spirituelles et sensibles. Le dosage n’est pas simple mais habilement géré par Benoît Sokal. Sur ce plan-là, la saga fait preuve d’une constante qualitative assez rare et qui se doit d’être signalée.

Sur le plan graphique, les planches sont de petits bijoux. La capacité de l’auteur à créer cette ville de Klowtown à la frontière de cette nature sauvage dans les années vingt. Que ce soit les moments passés avec Yuma, Kraa et Emily au beau milieu des forêts et des montagnes ou les scènes se déroulant dans cette cité boueuse et sombre, tout transpire la sueur et la dureté. Les choix de couleur sont particulièrement bien adaptés pour dégager des pages une ambiance qui absorbe le lecteur par tous les pores de sa peau. Le travail sur les personnages est également remarquable. Aucun protagoniste ne laisse indifférent. Certains nous touchent, d’autres nous apeurent ou nous dégoûtent. Une chose est sûre, les temps sont durs et la loi du plus fort semble être la règle locale.

« La colère blanche de l’orage » conclue merveilleusement ce triptyque qui est amené à être une œuvre importante du neuvième art. Cette série possède une identité forte qui la démarque de bon nombre de western du vingtième siècle. Je ne peux que vous conseiller de vous offrir cette saga. Le tome coûte seize euros. Je vous assure à ce prix-là c’est cadeau…

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Note : 14/20