Barracuda, T4 : Révoltes – Jean Dufaux & Jérémy

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Titre : Barracuda, T4 : Révoltes
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Jérémy
Parution : Novembre 2013


Les pirates m’ont toujours fasciné. Ils sont hors-la-loi et aventuriers. Ils ont des looks inégalables et leur code d’honneur est légendaire. Bref, tous les ingrédients sont réunis pour en mettre plein les mirettes. « Long John Silver » de Dorison et Jauffray a ouvert récemment une renaissance pour le genre dans le neuvième art. « Barracuda » né de la plume de Jean Dufaux et Jérémy s’inscrit dans cette lignée. Ma critique d’aujourd’hui porte sur quatrième de tome de cette saga intitulé « Révoltes ». Edité chez Dargaud, cet ouvrage de cinquante-six pages coûte quatorze euros. Il nous offre une couverture splendide. Le personnage représenté affronte notre regard de face. Il semble émerger de l’eau, prêt à en découdre. Les tons chromatiques bleus nuit font naître une atmosphère envoûtante de cette illustration. La quatrième de couverture nous annonce : « Pas de pitié. Pour personne. Jamais. » Tout un programme…

Le début de la narration est précédé par un résumé du tome précédent : « Puerto Blanco révèle ses secrets… La liaison entre Maria et Raffy est dévoilée. Ferrango fait payer cher ses années d’humiliation : le corps du jeune homme est marqué à vie et Marie est vendue à Morkam. Mais celui-ci n’en profitera pas. Emilio l’achève sans pitié, comme Mr Flynn l’a été. Dans une ambiance feutrée, les découvertes ne sont pas moindres : la gouverneure était la maîtresse du Faucon Rouge ! … et le danger guette. Tandis que le Barracuda se rapproche des côtes, porteur de la malédiction du diamant du Kashar, le capitaine de La Loya et ses deux galions espagnols attaquent l’île ! »

Une intrigue terrienne

Beaucoup de trames narratives mettant en œuvre des pirates se construisent autour d’épopée maritime vers des terres inconnues en quête de trésors légendaires. « Barracuda » se démarque de ces codes en déroulant une intrigue quasiment uniquement terrienne. Sur les trois premiers tomes, très peu de planches se déroulent en mer. Cet angle de vue sur ce fascinant univers de flibustiers est intéressant et offre une identité originale à la série de Dufaux et Jérémy. « Révoltes » ne déroge pas à la règle. Seules les trois dernières pages se déroulent sur l’eau et à aucun moment nous ne nous éloignons des rives de Puerto Blanco.

La localisation de l’histoire s’inscrit dans la continuité des épisodes précédents. Par contre, l’ambiance change. L’équilibre qui semblait régir la vie sur l’île est complètement chamboulé. La révolution est en marche. Elle se construit sur plusieurs plans. Les statuts des uns et des autres sont chamboulés. Les rapports sociaux hiérarchiques sont amenés à être bouleversés. Le scénario dégage avec talent cette atmosphère de chaos qui accompagne la lecture. Le lecteur ressent avec intensité ce sentiment d’angoisse qui existe à chaque coin de rue. Il est compliqué de savoir de quoi sera fait le lendemain tant les batailles se multiplient et les camps sont nombreux. Cet ouvrage est vraiment une belle réussite en arrivant à maintenir son rythme effréné et oppressant du début à la fin.

Le plaisir dégagé par cette série découle en partie de l’empathie générée par son trio de personnages principaux. Ils sont tout justes sortis de l’adolescence. L’un est fils de pirate, le second est une fille de noble espagnol et le dernier est à l’identité sexuelle indéfinie. Ils sont liés par leurs trajectoires et leurs destins. Chacun possède une identité et une aura qui touche le lecteur. De plus, le fait qu’ils soient trois densifie ainsi l’intensité dramatique et émotionnelle de l’histoire. « Révoltes » ne déçoit pas sur cet aspect. En effet, les révoltes en cours ne prêchent pas forcément pour la survie paisible de nos héros. La lecture est donc intense tant l’inquiétude pour le devenir de tout ce beau monde est forte.

Pour conclure, cet album est un bon cru. Il s’inscrit parfaitement dans la continuité des trois précédents épisodes tout en changeant le rythme et le ton de la narration. Comme à son habitude, Dufaux arrive à faire naître de vraies interrogations de sa dernière planche et attise ardemment la curiosité de son lecture dans l’attente du tome suivant. Mais cela est une autre histoire…

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Note : 16/20

L’arabe du futur, T2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) – Riad Sattouf

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Titre : L’arabe du futur, T2 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985)
Scénariste : Riad Sattouf
Dessinateur : Riad Sattouf
Parution : Juin 2015


Riad Sattouf s’est lancé dans une importante autobiographie de jeunesse avec « L’arabe du futur ». Le premier tome étant reparti du festival d’Angoulême avec le Fauve d’Or, ce deuxième opus était attendu au tournant. Se concentrant sur une année de Riad en Syrie (contre 5-6 ans dans le tome précédent), il prend le temps de développer le propos. Il faut dire que Riad vieillit et les souvenirs se font aussi plus précis. Le tout est toujours volumineux (140 pages) et publié chez Allary Editions.

LArabeDuFutur2bOn avait quitté Riad en Bretagne alors qu’il devait retourner en Syrie et commencer l’école. Cette dernière prend une place non-négligeable dans l’ouvrage et les âmes sensibles sont priées de rester fortes : brimades et violences physiques sont de la partie dans les classes surpeuplées. L’auteur n’hésite pas non plus à questionner l’enseignement qui est fourni aux élèves (apprendre une sourate du Coran, certes, mais pourquoi ne pas en expliquer le sens ?). Il apprend donc aussi l’arabe en classe et, parallèlement, le français avec sa mère.

Un père lâche et menteur, une mère passive qui se réveille un peu.

Côté famille, le petit frère de Riad semble inexistant. Choix étrange de la part de l’auteur qui n’en parle presque jamais. Quand il est mentionné, on se surprend à se rappeler son existence. Le père, adulé dans le premier tome par le petit Riad, est moins apprécié par son fils. Il paraît toujours aussi lâche et menteur. Il passe son temps à annoncer plein de choses et rien ne se concrétise. Ainsi, il est censé devoir construire une grande villa pour sa famille qui continue à vivre dans un appartement à moitié vide et délabré… On est presque rassuré de voir sa mère, très passive auparavant, perdre patience, exigeant une cuisinière par exemple… Cependant, elle protège Riad de bien loin, empêchant quand même son père d’utiliser à tout escient l’adage « c’était comme ça pour moi et, regarde, je suis docteur. »

L’ouvrage décrit donc de manière consciencieuse, par les yeux d’un petit garçon, la société syrienne des années 80. On sent que le piston et les trafics en tous genres sont les seuls moyens de s’en sortir. Son père essaye bien de copiner, mais il ne fait pas partie du beau monde et n’arrive pas à monter dans l’échelle sociale. Après des débuts de vie un peu mouvementés, la famille s’installe durablement en Syrie et on sent poindre les tensions. Ce deuxième livre développe donc plus en longueur les relations entre les personnages.

Le dessin de Riad est toujours adapté au propos, les expressions des personnages faisant des merveilles. Le choix de la bichromie est pertinent. L’ouvrage est rose, teinté de vert et de rouge. Seul le passage en France (qui paraît du coup complètement décalé dans ses atmosphères !) est bleu afin d’accentuer les contrastes entre les deux pays.

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Riad Sattouf confirme tout le bien que l’on pouvait penser de son autobiographie. Si on retrouve la noirceur, l’humour et l’aspect documentaire de son premier tome, cet opus possède sa propre identité en se concentrant plus longuement sur la Syrie.

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Note : 15/20

Barracuda, T5 : Cannibales – Jean Dufaux & Jérémy

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Titre : Barracuda, T5 : Cannibales
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Jérémy
Parution : Juin 2015


Déjà le cinquième tome pour « Barracuda ». Scénarisé par le vétéran Jean Dufaux et dessiné par le novice Jérémy, cette série de pirates a créé la sensation dès le départ avec son dessin splendide et son scénario impitoyable. Mais une fois quatre tomes derrière, comment éviter que le tout s’enlise inéluctablement ? Car on sait bien qu’une série qui fonctionne bien est souvent rallongée. Est-ce le cas ici ? Le tout est publié chez Dargaud sous la forme d’un album classique.

Le titre de l’ouvrage spoile un peu l’histoire en s’intitulant « Cannibales »… Toujours est-il qu’on plonge réellement dans l’histoire de base autour du capitaine Blackdog et du diamant du Kashar. Jean Dufaux nous avait habitués à donner à chaque tome son unité. C’est le cas ici. Malgré quelques événements sur l’île de Puerto Blanco, l’essentiel de l’ouvrage se passe sur une île perdue peuplée de cannibales.

Des codes classiques de la piraterie.

Barracuda5bEncore une fois, les auteurs utilisent les codes classiques de la piraterie pour nous séduire. Île perdue, cannibales, maladies, recherche de trésor, trahisons… Le tout se lit avec plaisir, Jean Dufaux n’oubliant pas d’ajouter une bonne dose de barbarie pour nous émouvoir. Malgré tout, le propos est moins fort que dans les tomes précédents.  Certes, il y a des cannibales, mais on ne sent jamais vraiment les personnages en danger. Ces derniers évoluent désormais moins et on se retrouve dans une action/aventure plus classique. On pense à Barbe-Rouge par moments. La première partie de la série, qui construisaient les (jeunes) personnages était plus intéressante que la seconde, plutôt basée sur l’action.

Après avoir passé beaucoup de temps sur Puerto Blanco (ce qui semblait finalement le thème de la série malgré la référence au navire Barracuda), on s’en éloigne donc. Malgré tout, la fin du livre donne l’idée d’un final sur l’île (le tome 6 doit clore le récit). Nous avons donc ici un tome de transition.

C’est Blackdog qui donne ici de la puissance au récit. Sa gueule, son caractère, son obsession en font un personnage fort. Très peu présent après le premier tome, il revient pour mieux terroriser tous les autres protagonistes. Véritable fantôme, il est le facteur X de l’histoire : incontrôlable et dangereux.

Au niveau du dessin, Jérémy continue de nous enchanter avec des planches de toute beauté. Il n’hésite pas à jouer des couleurs, mettant en valeur les rouges de façon obsessionnelle. Ses ambiances sont réussies et ses personnages ont tous des gueules bien identifiés. Cependant, je l’ai trouvé un peu moins marquant, mais peut-être est-ce seulement que je me suis habitué à son style. Un auteur qui s’est révélé dès le premier tome et qu’on aura le plaisir de retrouver dans d’autres séries plus tard.

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Ce tome 5 m’a laissé un peu sur ma faim. « Barracuda » commençait à s’essouffler et le sixième et dernier tome arrivera à point nommé. Tout est désormais bien posé pour un final en apothéose. En espérant que les auteurs arriveront à refermer les nombreuses histoires secondaires qu’ils ont développées. Quant aux personnages, on se demande bien qui arrivera à survivre à la boucherie qui s’annonce !

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Note : 14/20

Secrets, L’Angélus, T2 – Frank Giroud & José Homs

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Titre : Secrets, L’Angélus, T2
Scénariste : Frank Giroud
Dessinateur : José Homs
Parution : Septembre 2011


Les diptyques se développent en bande-dessinée. Et si parfois on ne comprend pas trop l’intérêt de deux tomes, à d’autres moments, ils prennent tout leur sens. Dans « L’angélus » (de la collection « Secrets » chez Dupuis), le premier tome se terminait sur une bascule. Après un livre avant tout destiné à percer le secret du tableau de l’Angélus, la suite se concentre sur le secret de famille de Clovis à proprement parler. Ce deuxième opus de 56 pages clôt donc l’enquête de ce quadra en pleine mutation.

À l’image de la couverture, Clovis change et s’épanouit en même tant que son obsession grandit. Une fois l’histoire de l’Angélus et de Dali dévoilée, reste à savoir pourquoi Clovis y trouve une résonance. Mais l’homme a déjà beaucoup changé. Physiquement d’abord : il a les cheveux hirsutes et la barbe qui foisonne. Il est bien loin de l’homme que l’on avait découvert au départ… D’ailleurs, il vit dans un camping car qu’il a repeint de couleurs vives. Clovis est en pleine crise identitaire, conjugale et existentielle !

Une crise identitaire, conjugale et existentielle.

LAngelus2bCette mutation de Clovis est particulièrement réussie, car elle se fait au fur et à mesure des pages. Elle est remarquable de cohérence. Les révélations familiales sont moins originales, mais leur parallèle avec le tableau de Millet leur donne un intérêt certain. Mais au-delà du secret, c’est bien de la renaissance d’un homme dont ce diptyque traite.

Le scénario de Giroud reste remarquablement maîtrisé. Dans ce polar aux enjeux finalement assez limités, il instille un suspense en tenant bien son rythme en main. Les révélations s’égrènent au fur et à mesure, sans excès de déballage final.

Le dessin deHoms est toujours aussi impressionnant : personnel et puissant. Ses personnages sont redoutables d’expressivité sans tomber dans l’excès. Les couleurs sont toujours autant au diapason, imposant les ambiances à la force de palettes restreintes. Le découpage est au même niveau, parvenant à diversifier les plans même quand les personnages passent deux pages à discuter. Du beau travail !

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Ce diptyque se lit avec plaisir, d’une traite, et le lecteur a du mal à en sortir. Doté d’un scénario bien mené et bien rythmé, l’histoire est sublimée par le trait de Homs. Ce deuxième tome confirme ainsi tout le bien que l’on pouvait penser du premier. Une belle découverte !

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Note : 17/20

Secrets, L’Angélus, T1 : Frank Giroud & José Homs

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Titre : Secrets, L’Angélus, T1
Scénariste : Frank Giroud
Dessinateur : José Homs
Parution : Novembre 2011


La collection (série ?) « Secrets » publiée chez Dupuis propose neuf histoire comportant « des secrets honteux ou redoutables, enfouis de génération en génération au sein de chaque famille. ». C’est au diptyque réalisé par Homs (au dessin) et Giroud (au scénario) que l’on s’intéresse aujourd’hui. Intitulé « L’Angélus », il prend comme point de départ le célèbre tableau de Millet. Clovis, le découvrant au Musée d’Orsay, est bouleversé. Mais pourquoi ? Commence alors une obsession qui va le sortir de son quotidien morne et triste. Chaque tome comporte 56 pages, ce qui fait un diptyque bien fourni.

LAngelus1cCe premier tome sert avant tout à poser les jalons de l’histoire. Nous avons d’abord la vie de Clovis. Vivant dans le village qui l’a vu naître, il exerce un métier qui ne le passionne guère et supporte la vie de famille en se faisant marcher dessus par son aîné en pleine crise d’adolescence. Perturbé par le tableau de Millet, il commence des recherches sur l’histoire de ce tableau. Le fait qu’il ne sache pas utiliser internet (une honte pour son fils), fait qu’il y perd beaucoup de temps. Au fur et à mesure que l’obsession grandit, sa vie se délite et Clovis tout autant.

Une obsession qui grandit, un homme qui change.

À côté de l’humain, l’histoire du tableau se dévoile. Ce premier tome lui donne beaucoup d’importance, puisque c’est ce secret que l’on cherche avant tout à déterrer. Le tout est distillé avec parcimonie et si vous ne connaissiez pas l’histoire, le tout est plein de surprise. Le diptyque prend alors tout son sens : le premier tome s’attarde sur le tableau, le deuxième tome permettra d’expliquer la résonance entre cette histoire et celle, plus personnelle, de Clovis. Même si le mystère en soit n’est pas une grande révélation, elle fait son effet. Clovis n’y connait rien à l’art et on sourit parfois à sa naïveté.

LAngelus1bLes auteurs utilisent parfaitement les 56 pages pour poser l’intrigue. Même si les personnages sont un peu caricaturaux (la prof d’arts plastiques et le côté « village de province » en général), le tout fonctionne très bien. Tout semble cohérent et naturel et les relations entre eux sont crédibles. Ainsi la professeur et Clovis semblent assez proches d’entamer une relation et l’ambiguïté persiste sans que rien ne vienne vraiment.

Le suspense du livre est réel : on ne sait pas vraiment où nous mènent les auteurs. En cela, le scénario est remarquablement construit, tout en finesse et avec un rythme parfaitement maîtrisé. Le découpage n’est pas en reste avec une vraie densité. Ce premier tome ne se contente pas de poser l’intrigue, il la fait avancer.

Concernant le dessin, Homs développe un trait entre réalisme et semi-réalisme de toute beauté. Ses personnages sont remarquablement croqués (d’ailleurs, on croquerait bien la jolie prof d’arts plastiques), bien identifiés. On n’est pas loin de la caricature, mais les expressions sont pleine de justesse. La mise en couleur sublime d’autant plus l’ouvrage en posant des atmosphères aux palettes réduites. Difficile de rester indifférent ! Cela m’a donné plus qu’envie de découvrir les autres ouvrages d’Homs tant son trait m’a séduit.

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Cet « Angélus » est une véritable surprise pour moi. Même si les amateurs d’art tiqueront devant le « mystère Millet » (déjà bien éventé quand même), on ne peut qu’être admiratif devant une telle maîtrise de la bande-dessinée. Entre la gestion du rythme, des personnages, du découpage, du dessin et de la couleur, c’est un sans faute. À lire sans plus tarder !

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Note : 17/20

Dans l’atelier de Fournier – Nicoby & Joub

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Titre : Dans l’atelier de Fournier
Scénario : Joub & Nicoby
Dessin : Nicoby
Parution : Mars 2013


A l’occasion des 75 ans de Spirou, de nombreux livres sortent cette année pour témoigner de cet anniversaire. Ainsi est paru aux éditions Dupuis (évidemment !) « Dans l’atelier de Fournier » qui raconte la rencontre entre Nicoby, Joub et Fournier. Les deux premiers, fans du troisième, vont le voir chez lui afin qu’il leur narre son histoire, de ses débuts laborieux jusqu’aux derniers projets, en passant bien sûr par les années Spirou.

Mieux vaut connaître un minimum l’œuvre de Fournier pour apprécier pleinement cet ouvrage. Celui qui est connu pour avoir pris « Spirou » à la suite de Franquin a évidemment eu d’autres vies. Cependant, il ne faut pas se limiter qu’à l’auteur breton. Car à travers son histoire, c’est aussi une histoire de la bande-dessinée qui se dessine. Le rapport entre la publication en magazine et en albums, les festivals, les éditeurs, les collègues… Fournier a été assez rejeté par le milieu pour pouvoir en parler sans concession.

Un témoignage sur le métier de dessinateur.

Le tout passe par l’œil admiratif de Nicoby et Joub. Leur côté fan est parfaitement adapté à l’ouvrage. Connaissant sur le bout des doigts l’œuvre de l’auteur, ils le questionnent sur ses ouvrages les moins connus. Du coup, inutile de chercher une quelconque critique de Fournier, le livre n’est pas là pour ça.

Quelques documents sont insérés au milieu de la conversation (comme des calques de Franquin où il distille des conseils à son protégé) et à la fin (planches, illustrations, synopsis…). Sous la forme de ce livre, c’est un vrai témoignage sur le métier de dessinateur. L’approche par la discussion entre les personnages est très dynamique et fluide, si bien que l’on dévore l’ouvrage sans peine. 

J’aime beaucoup le trait de Nicoby et le fait qu’il dessine cet ouvrage m’a convaincu de l’acquérir. Ici, il fait mouche une nouvelle fois en dessinant des personnages très expressifs. Cela donne une vraie convivialité à l’ensemble. Si bien que nous aussi on a l’impression d’être dans l’atelier de Fournier !

Ce livre est à prendre pour ce qu’il est : un témoignage sur la carrière de Fournier. Evidemment, ce dernier en sort grandi et dégage une indéniable sympathie. Mais les critiques sous-jacentes de certaines pratiques dans la bande-dessinée (d’une époque du moins, même si ça n’a pas du changer tant que ça) donne à l’ouvrage un sujet plus large. Si vous aimez lire sur l’histoire de la bande-dessinée et sur ses auteurs, « Dans l’atelier de Fournier » est pour vous !

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Note : 14/20

Manuel de la jungle – Nicoby & Joub

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Titre : Manuel de la jungle
Scénaristes : Nicoby & Joub
Dessinateurs : Nicoby & Joub
Parution : Mai 2015


Joub et Nicoby avait plutôt bien réussi leur biographie « Dans l’atelier de Fournier ». Ils s’y présentaient, interviewant l’auteur sur son passé. Cela est en train de devenir une de leur spécialité. Au point qu’ils partent réaliser un livre sur la jungle, en Guyane. Joub vivant à Cayenne, ils ont l’idée de retrouver deux instituteurs baroudeurs et de partir quelques jours dans l’Enfer vert afin de voir combien ce terme est galvaudé. Le tout est donc scénarisé par Nicoby et Joub. Le premier dessine, le second colorise le tout. C’est paru chez Dupuis pour 140 pages de bande-dessinées au prix de 19 euros.

ManuelDeLaJungle1Le récit présente donc deux citadins emportés par deux baroudeurs. Évidemment, les premiers ont très peur des bestioles : serpent, araignées, crocodiles, etc. Même si cette menace n’est pas la plus importante… Le livre démarre donc par un véritable manuel, les expérimentés expliquant aux nouveaux le fonctionnement de la survie dans ce milieu, entre chasse et binouze.

Un titre trompeur.

Mais l’histoire finit par tourner vers autre chose : la dénonciation des orpailleurs clandestins. Du coup, le livre est un peu scindé en deux et manque de cohérence. De même, les anecdotes nombreuses abondent dans le livre et coupent le rythme. On sent une forme de fourre-tout, intéressant certes, mais qui manque de travail de fond pour en faire un bouquin en tant que tel. Ainsi, le titre « Manuel de la jungle » est trompeur, mais c’est ce que devait être le livre au départ.

Malgré tout, la vie dans la jungle a un intérêt réel et on apprend beaucoup de choses. La deuxième partie, plus militante, donne aussi à réfléchir. Le tout se dévore d’une traite, l’humour est présent et on apprend énormément sur la jungle. Dommage que les auteurs se représentent toujours comme apeurés, voulant mettre fin à l’expérience au plus vite. Finalement, on se dit que ce voyage de quelques jours ne les aura pas changés. Surtout, ils paraissent encore plus terrorisés à la fin. Peut-être est-ce la réalité, mais le tout ne va pas très loin dans l’analyse. Joub et Nicoby ont choisi un récit de voyage sans trop chercher à approfondir le propos en aval.

Concernant le dessin, j’aime beaucoup le trait de Nicoby, sublimé par les aquarelles de Joub. Les ambiances sont posées, aussi bien dans la jungle, sur la pirogue, la nuit… Une vraie réussite. En revanche, on ressent relativement peu le côté « paradis des sens » vanté par la quatrième de couverture. Ce n’est pas évident avec du dessin de faire ressentir cela, mais dans les faits, la jungle est jolie mais on ne la ressent pas.

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« Manuel de la jungle » est un ouvrage qui dévie de son intention première. Hésitant entre un apprentissage par des citadins de la jungle et une dénonciation des clandestins du lac, il manque un peu de cohérence. De même, il cède à la mode actuel en présentant une pagination excessive. Ainsi, la scène du restaurant, au départ, n’a aucun intérêt et rallonge artificiellement l’ouvrage. Mais si vous êtes un amateur des livres de Joub et Nicoby, ne boudez pas votre plaisir, on retrouve l’humour des deux compères et ce trait rond qui va si bien avec.

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Note : 13/20

Barracuda, T2 : Cicatrices – Jean Dufaux & Jérémy

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Titre : Barracuda, T2 : Cicatrices
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Jérémy
Parution : Octobre 2011


Le deuxième tome de « Barracuda » s’intitule « Cicatrices ». Je l’attendais avec une certaine impatience  tant le premier opus m’avait plu et intrigué. Cette série est née de l’association de Jean Dufaux et Jérémy. Le premier se charge du scénario et est la principale raison pour laquelle je me suis plongé dans cette saga. En effet, depuis ma lecture de « Murena », je voue un attrait certain pour les œuvres de cet auteur. Quant à Jérémy, je l’avais découvert en lisant le premier tome de l’histoire intitulé « Esclaves ». Cet ouvrage de bonne qualité est édité chez Dargaud et son prix avoisine les quatorze euros. La couverture du bouquin est très réussie. Elle nous présente un pirate au visage recousu générant une certaine appréhension chez le lecteur. Notre curiosité est fortement attisée car ce personnage n’apparaissait pas dans le livre précédent.

Avant de plonger pleinement dans cet album, je vous cite le résumé qui précède la premier page de « Cicatrices ». « Lors de l’attaque de leur vaisseau par les pirates du capitaine Blackdog, une aristocrate espagnole, Dona Emilia Del Scuebo, sa fille Maria et leur serviteur Emilio sont faits prisonniers. Tous les trois sont emmenés sur l’île de Puerto Blanco, dans les mers des Caraïbes, pour y être vendus. Ferrango, le riche marchand d’esclaves, achète Maria et lui fait subir les pires traitements. La mère de celle-ci, secourue par des moines de l’île, mourra peu de temps après. Emilio qui se fait passer pour une fille, évitant ainsi de se faire tuer, est acheté par l’étrange Mister Flynn. Le fils de Blackdog, Raffy, gravement blessé par Maria, doit lui aussi rester sur l’île pour y être soigné. Parti à la recherche du plus gros diamant du monde, son père a repris la mer sans lui… faisant fi de la malédiction du Kashar ! »

Comme ce résumé le montre, le premier tome était plutôt dense. Il faisait intervenir un nombre assez fourni de personnages. De plus, l’histoire est suffisamment rythmée pour que de nombreux événements accompagnent notre lecture. La conséquence était qu’on avait une hâte certaine de découvrir la suite. Les premières phrases de « Cicatrices » nous annoncent que trois années sont passées depuis la dernière page de « Esclavages ». Cet album se déroule quasiment intégralement à Puerto Blanco. Il est original d’être dans une histoire de pirates qui ne quittent finalement pas la terre ferme.

Comme dans l’opus précédent, la trame se construit autour des trois adolescents Emilio, Maria et Raffy. Chacun a fait son petit bout de chemin en gré de son caractère. Leur statut a évolué. Les deux esclaves ne le sont plus. Maria est la maitresse dominatrice de Ferrango, ce qui fait d’elle une femme de pouvoir à l’échelle de l’île. Emilio, toujours grimé sous les traits d’Emilia, est une espèce de pupille de Mister Flynn en formation. Quant à Raffy, il contient désespérément sa colère et sa haine à l’idée de voir son père être parti sans lui dans sa quête quasiment légendaire.

Ce saut temporel oblige finalement l’histoire à nous faire une nouvelle fois les présentations. Alors qu’on pouvait penser cette étape avait eu lieu précédemment, les auteurs s’y replongent dans cet opus. Cela donne même l’impression que le premier tome n’était qu’un préambule. Cela pourrait paraitre dommageable car cela repousse quelque peu la montée en puissance de l’intrigue. Ce n’est finalement pas tant le cas que cela du fait de la richesse du scénario. Je trouve que l’ensemble est dense et se construit comme une toile d’araignée. La variété des personnages est toujours aussi savamment menée et leurs interactions sont passionnantes. On est tenu en haleine de la première à la dernière page. Le fait de construire l’histoire en suivant celles de trois « héros » fait que la lecture ne souffre d’aucun temps mort.

J’ai retrouvé avec plaisir les dessins de Jérémy. Je trouve qu’il accompagne parfaitement la narration. Ses décors créent parfaitement l’univers de Puerto Blanco qui est criant de réalisme. On a vraiment l’impression d’errer dans les rues de cette île régie par les lois de la piraterie. De plus, les personnages sont plutôt réussis. Ils sont de caractère très différent et le trait du dessinateur arrive à nous offrir le grand spectre d’expressions qui en découle. La fragilité et la douceur d’Emilio diverge fortement de la peur que génère la froideur dominatrice de Marie ou de la fureur de Raffy. Son trait nous offre une lecture agréable.

En conclusion, « Cicatrices » est un album très réussi. La qualité habille chacune de ses pages. L’histoire est passionnante et on s’y plonge avec appétit. Néanmoins, j’ai impatience de découvrir le prochain opus pour savoir si l’intrigue va changer de braquet et ce qu’est devenu Blackdog dans sa quête du Kashar. En effet, cette dernière n’est absolument pas traité dans cet ouvrage. En tout cas, « Barracuda » peut espérer devenir une œuvre qui compte dans la longue histoire des pirates dans la bande dessinée. Les adeptes en seront ravis…

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Note : 17/20

Barracuda, T1 : Esclaves – Jean Dufaux & Jérémy

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Titre : Barracuda, T1 : Esclaves
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Jérémy
Parution : Octobre 2010


« Esclaves » est le titre du premier tome d’une des dernières séries scénarisées par Jean Dufaux. Cette dernière s’intitule « Barracuda ». Avant même de lire le nom de son auteur, cet album avait attiré mon regard par sa couverture. On y découvrait un pirate particulièrement réaliste qui ne peut pas laisser indifférent celui qui le regarde dans les yeux. Cet album est édité chez Dargaud, il coûte environ quatorze euros. Jean Dufaux est un auteur célèbre du neuvième grâce à des séries comme « Murena », « Djinn », « Croisade », « Jessica Blandy » ou encore « Complaintes des Landes perdues ».Cela offrait le gage d’une certaine qualité pour cette nouvelle saga née l’année dernière. Par contre, les dessins sont l’œuvre d’un inconnu à mes yeux nommé Jérémy.

L’histoire débute par l’attaque d’un navire par des pirates. Leur chef est Blackdog et sa devise est la suivante : « Pas de pitié, pour personne, jamais ». Il est secondé par son fils Raffy. Les seuls à être épargnés sont une noble espagnole et deux adolescents et un prêtre. Elle prétend posséder la carte pour mener au diamant du Kashar. La jeune fille est amenée à être vendue comme esclave. Le jeune garçon déguisé en fille suivra le même trajet. C’est ainsi qu’ils accostent à Puerto Blanco où leurs destins vont se séparer et se décider au cours d’enchères sur un marché…

Une aventure de pirates

Le principal attrait de cette série est d’être une aventure de pirate. La couverture laisse présager que le personnage principal à du charisme. On n’est pas déçu sur ce plan-là. On prend plaisir à naviguer sur son navire et on est curieux d’accoster sur ses îles régulées par les lois de la piraterie. L’immersion dans cet univers est incontestablement une grande réussite. La grande galerie de personnages est crédible. De plus, les décors apparaissent réalistes. On n’a aucun mal à se croire au milieu de ses flibustiers sur une terre aux lois peu orthodoxes et aux codes sociaux plutôt inquiétants. 

Au-delà de ce dépaysement, « Esclaves » nous offre une intrigue intéressante. La trame se construit autour du trio d’adolescents que sont Raffy, Emilia et Maria. Le premier est le fils de Blackdog. Il semble dépourvu de sentiments sorti de la haine et de la colère. Le second, Emilia, est en fait Emilio. Déguisé en femme pour sa survie, il mène donc une double vie qui ne le laisse pas indifférent. Enfin, Maria, fille de noble est la plus charismatique à mes yeux. Elle a le regard dur et malgré son jeune âge et sa condition génère le malaise auprès de ceux qui s’approchent d’elle. La richesse de ses trois personnages apparait remarquable. Voir leurs destins s’entremêler rend la lecture passionnante. On suit trois personnages aux personnalités complexes évoluer dans un milieu dur et compliqué. Tous les ingrédients sont présents pour nous ravir.

Le décor est bon, les protagonistes sont envoûtants, il ne restait plus qu’à se voir offrir une trame réussie. C’est le cas. Le fait que l’histoire commence par un abordage nous met tout de suite dans le bain. Le rythme ne diminue jamais. On se trouve au beau milieu d’un marché aux esclaves. Puis la première nuit passée sur l’île est d’une grande intensité dramatique. La lecture est assez intense. Au cours des pages qui défilent, on voit apparaître des informations mais également les jalons de la trame qui construira le tome suivant. Cela fait qu’une fois l’ouvrage terminé, on a une vraie envie de se plonger dans le second opus.

Comme je l’ai précisé précédemment, la couverture m’a ébloui. J’avais donc une impatience certaine de partir à la rencontre de cet univers né de la plume de Jérémy. Les premières pages m’ont apparu froides par rapport à l’impression que m’avait laissée le visage de Blackdog lors de notre première « rencontre ». Mais ce sentiment s’est atténué au fur et à mesure des pages et au fur et à mesure de mes relectures de l’album. Le dessinateur possède un vrai talent pour traduire la dureté. Que ce soit par les visages, les couleurs ou les attitudes, on comprend à tout moment qu’on ne se trouve pas au pays des Bisounours. Je trouve que Jérémy fait en sorte qu’on n’oublie jamais l’endroit où on se trouve et la communauté qui y habite.

Au final, « Esclaves » est un ouvrage passionnant qui nous offre une histoire assez envoûtante. La lecture est très prenante et on prend énormément de plaisir à découvrir les événements se déroulant à Puerto Blanco. Cette série a un vrai potentiel comparable à celui de « Murena » dans un univers différent. Je suis donc curieux de me plonger dans le deuxième album paru récemment intitulé « Cicatrices ». Mais cela est une autre histoire…

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Note : 17/20

Roi ours – Mobidic

RoiOurs


Titre : Roi ours
Scénario : Mobidic
Dessinateur : Mobidic
Parution : Mai 2015


Une première bande-dessinée est toujours une épreuve pour un auteur en devenir. Mobidic (au pseudo évocateur !) se lance dans le bain chez Delcourt avec un one-shot qu’il scénarise et dessine, « Roi ours ». Ancré dans les croyances amérindiennes, il présente l’histoire d’une jeune fille, Xipil, destinée à être sacrifiée à la déesse caïman. Elle est alors sauvée par le Roi Ours et se voit contrainte de se marier avec lui. Le tout pèse 110 pages pour un format A4.

Le scénario se base sur la découverte du monde des dieux par une mortelle (même si les dieux y sont mortels également). Les entourloupes, les négociations, les humiliations… Xipil a bien du mal à s’intégrer, alors que son espèce est considérée comme en bas de la chaîne alimentaire. Heureusement, elle y trouve le soutien de son mari et de la mère des singes, qui fait un peu partie de la famille.

Une fable un peu écologique.

RoiOurs2Si le début de l’histoire est plutôt bien mené, on reste un peu sur notre faim. Les développements amenés trouvent une fin un peu brutale. Même si le sens de l’ouvrage prend son sens à sa fermeture, il y a, dans la narration, une impression que l’on partait vers ailleurs. Qu’importe, « Roi ours » possède un univers, une ambiance, une personnalité qui transparaît dès les premières pages. Le sujet abordé est original et, finalement, bien développé. Mais alors qu’on imaginait en début de livre une histoire complexe, on est plutôt du côté de la fable. Pris ainsi, « Roi ours » remplit son contrat.

Pour mener son histoire, Mobidic maîtrise pleinement son découpage. Aussi à l’aise dans les scènes d’action ou les scènes intimistes, il alterne également les pages de dialogue avec les pages muettes. Le tout avec autant de pertinence.

Le dessin est un gros point fort de l’album. Mobidic possède un trait qui rappelle immanquablement le dessin animé, tant par ses animaux que par sa façon de dessiner les humains. Et si quelques rares cases sont maladroites, l’ensemble est assez remarquable. La beauté des images saute aux yeux, les personnages sont expressifs et les cadrages sont parfaitement maîtrisés. Et que dire des couleurs, au diapason du trait ? Elles embellissent le dessin et renforcent les ambiances avec talent. On pourra cependant regretter un encrage et un lettrage un peu trop gros pour le format. Un livre au format comics aurait été certainement un meilleur choix pour l’édition. Un mauvais choix de l’éditeur pour le coup.

RoiOurs1

Mobidic, pour son premier album, s’est occupé de tout. Et si ce « Roi ours » possède quelques imperfections, il reste un livre d’une vraie beauté, doté d’un scénario original, sorte de fable fantastique et (un peu) écologique. Un auteur à suivre, tant sa maîtrise du sujet est évidente.

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Note : 15/20