Shenzhen

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Titre : Shenzhen
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Avril 2000


Avec ses quatre carnets de voyage, Guy Delisle a fini par obtenir un prix Ă  AngoulĂȘme pour « Chroniques de JĂ©rusalem ». Mais tout a commencĂ© Ă  2000 avec Shenzhen, oĂč il relate son expĂ©rience en Chine, dans la ville de Shenzhen. Si Guy Delisle a visitĂ© des pays trĂšs diffĂ©rents (Chine, CorĂ©e du Nord, Birmanie, IsraĂ«l), il en rĂ©cupĂšre Ă  chaque fois tout ce qui en fait le dĂ©calage culturel. En passant plusieurs mois sur place, il s’approprie rĂ©ellement la vie locale. Le tout est publiĂ© Ă  L’Association pour 150 pages de dĂ©calage culturel.

À l’époque, Guy Delisle travaille dans l’animation. Cette derniĂšre Ă©tant dĂ©localisĂ©e en Asie (en Chine donc, puis en CorĂ©e du Nord), il part superviser les Ă©quipes locales et vĂ©rifier que les plans sont correctement faits. C’est l’occasion d’un premier choc culturel sur la façon de travailler des Chinois


Le Lost in translation de la bande-dessinée

shenzhen1L’autre partie est bien Ă©videmment le choc culturel avec le pays. La Chine n’est pas le pays le plus ouvert du monde et les problĂšmes de passages dans certaines zones le montre bien. Mais surtout, la langue est un vrai souci. Peu de chinois parlent anglais et beaucoup le parlent trĂšs mal. Guy Delisle est donc souvent dans l’incapacitĂ© de communiquer et passent des week-ends seuls
 Sur ce point, on ressent parfaitement le cĂŽtĂ© « Lost in translation ». Seul membre occidental Ă  ĂȘtre venu sur place, il est trĂšs isolĂ©. De plus, la Chine ne propose pas rĂ©ellement de moyen de se rĂ©unir entre expats.

La force des carnets de voyage de Guy Delisle est de ne pas chercher Ă  Ă©crire un documentaire dĂ©taillĂ© sur son expĂ©rience. Il dit ce qu’il voit, ce qui le choque, sans chercher Ă  appuyer sur l’aspect politique des choses. C’est le lecteur qui, guide subtilement, se fait son opinion. L’auteur exprime un ressenti et ne cherche pas Ă  nous le prĂ©senter comme une vĂ©ritĂ© objective.

Concernant le dessin, l’auteur opte pour un dessin plus fouillĂ© que ce qu’il produira par la suite. Le trait reste simple, mais la colorisation en niveaux de gris apporte de la matiĂšre. C’est expressif et plutĂŽt rĂ©ussi comme choix graphique. Et plutĂŽt adaptĂ© Ă  la saletĂ© de la Chine dĂ©crite par le livre.

« Shenzhen » est une rĂ©ussite. Guy Delisle trouve vite son ton. Son carnet de voyage, sous forme d’anecdotes, passionne. On s’intĂ©resse autant aux pĂ©ripĂ©ties de Guy qu’au pays en lui-mĂȘme. Un subtil Ă©quilibre que l’auteur saura garder Ă  chacun de ses bouquins.

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note4

Portugal

Portugal


Titre : Portugal
Scénariste : Cyril Pedrosa
Dessinateur : Cyril Pedrosa
Parution : Septembre 2011


J’ai une relation compliquĂ©e avec Cyril Pedrosa. L’homme a une cĂŽte Ă©norme et pourtant, je n’accroche pas. Il faut dire que « Autobio » m’avait laissĂ© dubitatif et que « Trois ombres » m’avait laissĂ© sur ma faim. Mais vu le succĂšs critique de « Portugal », un roman graphique de 264 pages, il m’était difficile de ne pas tenter une nouvelle fois ma chance. Surtout que j’avais eu la chance d’aller Ă  une exposition de planches originales du livre Ă  la galerie 9e Art Ă  Paris et que j’avais pu admirer les magnifiques couleurs de ses pages. Le tout est publiĂ© dans la bien nommĂ©e collection Aire Libre de chez Dupuis.

Simon Muchat est un auteur de bande-dessinĂ©e en panne d’inspiration. Il accumule alors des boulots d’animateur scolaire et sa copine s’impatiente. Il faut acheter une maison, grandir en quelque sorte. Mais Simon existe. De lĂ  Ă  y voir une touche autobiographique, il n’y a qu’un pas ! Et c’est Ă  l’occasion d’un festival de BD au Portugal que l’auteur va se redĂ©couvrir ses origines et retrouver un bien-ĂȘtre.

Retour au pays

Grand classique dans l’art, Cyril Pedrosa nous concocte donc une bande-dessinĂ©e sur un auteur de bande-dessinĂ©e en plein doute. Ce dernier va alors creuser le passĂ© de sa famille et dĂ©passer les silences et les non-dits avant de partir quelques temps au pays. La premiĂšre partie est donc consacrĂ©e Ă  Simon en France. Sa vie est d’une grande fadeur. Il s’ennuie, ne veut pas faire un bouquin, ne veut pas acheter de maison, est vaguement dĂ©pressif
 Bref, ça ne va pas du tout. Ce quotidien morne est rendu par des couleurs grisĂątres pleine d’à propos. Mais dĂ©jĂ , l’ennui pointe Ă©galement chez le lecteur. Il ne se passe rien, il n’y a aucune originalitĂ© dans les situations et tout est plutĂŽt prĂ©visible. On sent que l’auteur se fait plaisir. Il prend son temps, accumule les silences, mais sans rĂ©ellement nous toucher. Il faut dire que les ouvrages sur le trentenaire qui a du mal Ă  grandir sont lĂ©gion depuis quelques annĂ©es et qu’il n’y a pas beaucoup d’originalitĂ© de ce cĂŽtĂ©-lĂ .

C’est donc sur la partie familiale que l’on se rabat en espĂ©rant plus d’action. Mais encore une fois, c’est un pĂ©tard mouillĂ©. Beaucoup de discussions, de dialogues qui se veulent drĂŽles ou Ă©mouvants. Mais je ne suis vraiment pas sensible aux univers de Cyril Pedrosa. Je trouve que tout sonne creux. Je ne suis jamais Ă©mu ou touchĂ©, je ne souris pas. Je sens bien que l’intention est lĂ , mais j’ai l’impression d’avancer dans l’ouvrage en Ă©tant totalement extĂ©rieur Ă  ce qui s’y passe. Quant au personnage de Simon, il ne me touche pas du tout. Je le trouve finalement trĂšs passif et Ă  la personnalitĂ© peu intĂ©ressante. Certes, il a un problĂšme de crĂ©ativitĂ©. Mais quel manque de charisme !

CĂŽtĂ© dessin, c’est trĂšs beau et dynamique et les choix de couleurs sont plein de pertinence. Personnellement, je ne suis pas fan du style de Cyril Pedrosa, notamment des expressions de ses personnages mais c’est une question de goĂ»t. Force est de constater que l’auteur a abattu un travail colossal. Et pour avoir vu ses planches originales, l’édition papier Ă©crase sacrĂ©ment ses couleurs
 Bref, difficile de ne pas ĂȘtre admiratif devant le dessin de ce « Portugal ».

Il est toujours compliquĂ© de ne pas aimer un ouvrage qui a tant Ă©tĂ© encensĂ©. Pour ma part, j’ai refermĂ© ce livre en me disant « tout ça pour ça ? » MalgrĂ© toutes les qualitĂ©s objectives de « Portugal », je me suis ennuyĂ© du dĂ©but Ă  la fin, sans jamais arriver Ă  ĂȘtre touchĂ© par l’histoire ou les personnages. Une grande dĂ©ception.

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note2

Salade, tomate, oignon

SaladeTomateOignon


Titre : Salade, tomate, oignon
Scénariste : Joseph Safieddine
Dessinateur : Clément Fabre
Parution : Novembre 2015


Lors du festival Quai des Bulles de Saint Malo, j’en ai profitĂ© pour obtenir ma troisiĂšme dĂ©dicace de ClĂ©ment Fabre. Le dessinateur officiait avec un troisiĂšme scĂ©nariste diffĂ©rent, ici en la personne de Joseph Saffieddine. « Salade, tomate, oignon » est un recueil de saynĂštes faisant intervenir deux personnages (parfois plus) en plein dialogue. Les situations sont souvent absurdes et touchent Ă  toutes les couches de notre sociĂ©tĂ©. Le tout est publiĂ© chez Vide Cocagne.

L’humour de Safieddine touche Ă  l’absurde et peut se faire trash. Àmes sensibles s’abstenir ! Ainsi, l’une des premiĂšres scĂšnes est un modĂšle du genre. Une nana est invitĂ©e chez un mec et elle se retrouve dans un immeuble complĂštement glauque avec des gitans qui attaquent la porte
 La plupart du temps, c’est plutĂŽt rĂ©ussi, mĂȘme si l’inĂ©galitĂ© de qualitĂ© est de mise ici. Globalement, on lit avec plaisir les diffĂ©rentes histoires et on sourit devant les rĂ©parties des personnages. Mais comme tout ouvrage d’absurde, on reste parfois Ă  cĂŽtĂ© du chemin devant certains passages.

Un livre tout en dialogues.

Si les chutes ont souvent un intĂ©rĂȘt, ce sont les dialogues qui sont mis en avant. Les grandes gueules sont lĂ©gions, des collĂšgues de bureau en passant par les mecs de banlieue, sans oublier les petites vieilles bien sĂ»r ! Clairement, c’est dans les passages les plus trash que « Salade, tomate, oignon » touche Ă  la grĂące. Racisme et misĂšre humaine sont portĂ©s Ă  leur paroxysme dans certaines scĂšnes, et c’est lĂ  que le livre se dĂ©guste pleinement. HĂ©las, Ă  la lecture des histoires les unes aprĂšs les autres, une lassitude s’installe devant certaines rĂ©pĂ©titions. On est moins surpris. Typiquement, « Salade, tomate, oignon » est fait pour ĂȘtre lu aux toilettes, une scĂšne aprĂšs l’autre.

Concernant le dessin, le trait simple de ClĂ©ment Fabre est parfaitement adaptĂ© aux histoires, essentiellement dialoguĂ©es. Il sait donner suffisamment d’expression Ă  ses personnages pour que cela fonctionne. J’étais surpris de ne pas le voir aquareller le tout, mais il a densifiĂ© son encrage pour proposer un dessin en noir et blanc trĂšs rĂ©ussi.

De nombreux guests interviennent dans le livre, offrant des personnages aux strips. HonnĂȘtement, j’ai trouvĂ© ça sans intĂ©rĂȘt, voir contre-productif. À de rares exceptions prĂšs, les styles des dessinateurs ne sont pas du tout adaptĂ©s au style de ClĂ©ment Fabre et se voient comme le nez au milieu de la figure. PlutĂŽt que de transcender les strips, cela gĂȘne la lecture. Dommage.

« Salade, tomate, oignon », comme beaucoup de livres du genre, propose des scĂšnes plus ou moins rĂ©ussies. L’inĂ©gale qualitĂ© de l’ensemble n’enlĂšve rien Ă  la puissance de certaines histoires. Un livre qui se lit rapidement, sans prĂ©tention.

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note3

Chroniques de JĂ©rusalem

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Titre : Chroniques de JĂ©rusalem
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Novembre 2011


Guy Delisle a imposĂ© son style dans ses livres de voyage. AprĂšs la Chine, la CorĂ©e du Nord et la Birmanie, le voilĂ  qui arrive en IsraĂ«l, Ă  JĂ©rusalem. PubliĂ© comme le prĂ©cĂ©dent aux Ă©ditions Delcourt, dans la collection Shampooing, l’auteur canadien a su bonifier son trait et sa narration au point que ce « Chroniques de JĂ©rusalem » obtienne le prix du meilleur album au Festival International de Bande-DessinĂ©e d’AngoulĂȘme en 2012 ! Alors, qu’en est-il ? Ce prix est-il mĂ©rité ?

Le terme de « chroniques » est parfaitement adaptĂ© car nous allons avoir droit ici Ă  de nombreuses anecdotes et morceaux de vie. Pas question de crĂ©er une longue narration. Si bien que malgrĂ© le nombre de pages importants (plus de 300 !), le livre se lit trĂšs agrĂ©ablement, la lecture pouvant s’arrĂȘter Ă  tout moment sans problĂšme. Guy Delisle suit donc sa femme, qui travaille Ă  MĂ©decins Sans FrontiĂšres, en IsraĂ«l. Ils s’installent Ă  JĂ©rusalem Est (cĂŽtĂ© arabe) et l’auteur reprend son activitĂ© de pĂšre au foyer. Pendant que sa femme s’active, il s’occupe de son enfant. L’idĂ©e est de trouver de quoi tromper l’ennui. Le jardin d’enfant est, entre autres, une des grandes quĂȘtes du canadien.

Un regard plus affûté

Évidemment, l’aspect touristique est vite prĂ©sent. Guy Delisle visite le pays (ou du moins les environs) avec sa candeur habituelle. Il Ă©vite tout jugement (mĂȘme si celui-ci transparaĂźt) et note avant tous les incohĂ©rences et ce qui le choque de visu. Ainsi, voir des fusils d’assaut rĂ©guliĂšrement le laisse perplexe
 L’appel Ă  la priĂšre le fait sursauter
  Tout est racontĂ© de façon chronologique. Ainsi, dans la seconde moitiĂ©, la surprise est moins prĂ©sente chez l’auteur. Le regard se fait plus affĂ»tĂ©, bien que toujours sans prĂ©senter ses opinions.

Si Delisle avait l’habitude des pays assez fermĂ©s, ce n’est pas le cas ici. IsraĂ«l est une dĂ©mocratie et il est donc beaucoup plus libre de ses mouvements. Du coup, il pĂ©nĂštre bien plus dans l’esprit du pays que dans les autres livres. Son autonomie lui permet de toucher du doigt plus d’incohĂ©rences. Car c’est le vĂ©ritable sujet du livre : IsraĂ«l est prĂ©sentĂ© comme un pays complĂštement absurde. C’en est souvent risible, mais malheureusement aussi inquiĂ©tant. L’auteur met le doigt sur des comportements et des usages complĂštement improbables. Il y prĂ©sente un pays oĂč des populations vivent ensemble sans se croiser ou se parler. C’est un vĂ©ritable apartheid en pleine dĂ©mocratie. A cela s’ajoute les communautĂ©s religieuses les plus orthodoxes du monde
 On devine alors une JĂ©rusalem multiple, mais surtout divisĂ©e.

Au niveau du dessin, Guy Delisle a affinĂ© son trait. C’est simple mais efficace et la narration se fait avec beaucoup de fluiditĂ©. Cette fois-ci, la couleur a plus d’importance. Le tout est souvent colorisĂ© de façon monochrome, mais chaque couleur a un sens. Cela facilite la lecture. Quelques touches de couleurs sont ajoutĂ©s afin d’enrichir le tout (souvent en renforçant un effet, comme une explosion par exemple). Clairement, graphiquement, l’auteur progresse et propose un rĂ©sultat de plus en plus abouti. 

« Chroniques de JĂ©rusalem » est une grande rĂ©ussite. Difficile d’ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  ce qui y est racontĂ©. Et en prĂ©sentant le tout de façon factuel, Guy Delisle donne Ă  son ouvrage une certaine universalitĂ©, si bien que l’on dĂ©vore le livre, allant de surprise en surprise. Un must du carnet de voyage !

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note5

Chroniques birmanes

ChroniquesBirmanes


Titre : Chroniques birmanes
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Octobre 2007


AprĂšs « Shenzen » et « Pyongyang », Guy Delisle s’attaque Ă  la Birmanie (ou le Myanmar) dans ces « Chroniques Birmanes ». VoilĂ  donc le troisiĂšme opus des reportages si particuliers de l’auteur canadien. Alors qu’il s’était retrouvĂ© en Asie pour superviser des studios d’animation, le voilĂ  dĂ©sormais dans l’une des pires dictatures du monde afin de suivre sa femme qui travaille chez MĂ©decins Sans FrontiĂšres. Exit l’animateur, voilĂ  le pĂšre au foyer ! Delisle passe sa journĂ©e Ă  faire de la bande-dessinĂ©e et, surtout, Ă  s’occuper de Louis, son fils. Nouveau pavĂ© Ă  dĂ©vorer, ce livre pĂšse 263 pages et est publiĂ© chez Delcourt, dans la collection Shampooing (et non plus chez L’Association).

Si ses prĂ©cĂ©dents opus possĂ©daient une continuitĂ© relative de la narration, ce n’est pas le cas ici. Le titre prend tout son sens. C’est bien de chroniques dont il s’agit, les anecdotes Ă©tant empilĂ©es les unes aux autres. Alors bien sĂ»r, il y a quand mĂȘme une certaine chronologie, mais la lecture est ainsi un peu diffĂ©rente. Vu le pavĂ© reprĂ©sentĂ©, cela permet de faire des pauses plus facilement et de picorer dans l’ouvrage. Le fait que l’auteur ait passĂ© un an et demi dans le pays justifie Ă©videmment ce choix.

Ce que l’on pouvait regretter dans « Pyongyang », c’est que Guy Delisle ne pouvait pas atteindre l’envers du dĂ©cor de la sociĂ©tĂ© nord-corĂ©enne. C’est un peu la mĂȘme chose ici puisque les zones les plus sensibles lui sont interdites. D’ailleurs, il n’hĂ©site pas Ă  le rappeler rĂ©guliĂšrement. Cependant, la population est ici plus disserte et ses conversations avec les Birmans lui permettent de mieux saisir leur façon de vivre. On dĂ©couvre ainsi la vie dans son quartier et les inĂ©vitables rencontres d’ONG.

Un rĂŽle de candide

La force de Guy Delisle est de se donner un rĂŽle de candide. Faussement naĂŻf, il aborde un ton lĂ©ger qui permet Ă  l’ouvrage de se lire avec plaisir. Pas de cynisme, de propos sombres, l’auteur ne cherche pas Ă  politiser son livre. Seuls les passages didactiques (assez rares finalement) apportent un peu sur ce plan-lĂ . Et quand le personnage Guy Delisle dĂ©cide de devenir militant pour la Dame de Rangoon, c’est pour mieux oublier ses engagements dans la case d’aprĂšs
 Mais derriĂšre ce vernis non-politisĂ©, les messages passent Ă  foison de part les faits.

Beaucoup de personnes n’arrivent pas Ă  se lancer dans un livre de Guy Delisle Ă  cause du dessin. Ce serait une erreur tant le contenu vaut le coup. Surtout que le trait est simple, mais trĂšs efficace. Il est parfaitement adaptĂ© au propos et lisible. Le tout est rehaussĂ© de gris de façon pertinente. L’auteur utilise un gaufrier de six cases, rĂ©servant la premiĂšre pour le titre de l’anecdote. Il y a une certaine routine qui s’installe, plutĂŽt confortable pour le coup. Bref, si vous n’aimez pas le trait de Guy Delisle, cela vaut le coup d’essayer de passer le cap.

Ces « Chroniques Birmanes » confirment le talent de Guy Delisle pour des rĂ©cits de voyage tout en lĂ©gĂšretĂ©. MĂȘme si ses observations sont Ă©videmment limitĂ©es par sa vie et qu’il n’est pas au plus prĂšs des exactions, on apprend beaucoup de choses dans cet ouvrage et l’on sourit Ă  de multiples reprises. A lire !

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note4

Pyongyang

Pyongyang


Titre : Pyongyang
Scénariste : Guy Delisle
Dessinateur : Guy Delisle
Parution : Mai 2003


Guy Delisle s’est spĂ©cialisĂ© dans la bande-dessinĂ©e façon carnet de voyage. En 2003, aprĂšs avoir dĂ©crit Shenzen, il s’attaque Ă  la CorĂ©e du Nord dans « Pyongyang ». Son travail d’animateur d’alors le pousse Ă  aller superviser la production sur place. C’est donc parti pour plusieurs mois dans l’un des pays les plus fermĂ©s du monde. Son livre « 1984 » d’Orwell en poche, Delisle va dĂ©couvrir la vie dans la capitale de la CorĂ©e du Nord. Le tout est publiĂ© en noir et blanc Ă  l’Association et pĂšse pas moins de 176 pages.

Cela faisait longtemps que je voulais me lancer dans la lecture des ouvrages de Guy Delisle tant on m’en a dit du bien. Et son prix Ă  AngoulĂȘme pour « Chroniques de JĂ©rusalem » m’avait d’autant plus incitĂ© Ă  m’y intĂ©resser. J’ai donc choisi de dĂ©marrer avec le pays qui me fascine le plus, la CorĂ©e du Nord. A cette Ă©poque-lĂ , Guy Delisle est cĂ©libataire et ne part donc que quelques mois. Il arrive seul en CorĂ©e du Nord oĂč les activitĂ©s ne sont pas lĂ©gion
 On dĂ©couvre alors son quotidien avec les autres travailleurs de l’animation et les ONG.

Un ton léger, un sujet grave

Si l’auteur nous fait dĂ©couvrir la CorĂ©e du Nord, c’est par son Ɠil averti. Ainsi, les analyses profondes du rĂ©gime ne sont pas d’actualitĂ©. Ce que vit et voit Delisle suffit amplement Ă  nous renseigner sur ce rĂ©gime. On dĂ©couvre une population asservie, presque robotisĂ©e et de grands espaces vides (Ă  l’image des hĂŽtels). Le rĂ©gime est Ă  l’agonie. Il tente de le cacher, mais c’est beaucoup trop flagrant pour passer inaperçu. Surtout que l’auteur est quelqu’un de curieux qui ne mĂ©nage pas son guide (qui l’accompagne en permanence). Il aime rentrer Ă  pied et visiter
 Et en adoptant un ton lĂ©ger, Delisle parvient Ă  nous distraire en parlant d’un pays ultra-rĂ©pressif
 

Au fond, en lisant l’ouvrage, on a l’impression de revivre l’expĂ©rience de Delisle. On dĂ©couvre ce pays comme il l’a lui-mĂȘme dĂ©couvert : les incohĂ©rences, les violences, la peur, etc. Delisle n’est pas un idĂ©ologue. A aucun moment, il ne cherche Ă  nous assĂ©ner un message politique. Bien sĂ»r, cela transparait quand mĂȘme au fur et Ă  mesurer de la lecture, mais l’ensemble reste trĂšs factuel.

Concernant le dessin, Delisle a un trait simple, façon « nouvelle bande-dessinĂ©e ». C’est parfaitement adaptĂ© Ă  l’ouvrage. Le tout est rehaussĂ© d’une colorisation en niveaux de gris qui densifie un peu l’ensemble. C’est lisible et trĂšs efficace.

Au final, on ressort un peu sonnĂ© de « Pyongyang ». Devant tant d’absurditĂ©, on ne peut qu’ĂȘtre rĂ©voltĂ©. Mais en choisissant un ton lĂ©ger, Guy Delisle Ă©vite l’écueil d’un ouvrage trop politisé et orientĂ©. Du coup, on sourit souvent avec un thĂšme bien grave pourtant. Du beau travail !

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note4

 

Kililana song, T2

KililanaSong2


Titre : Kililana song, T2
Scénariste : Benjamin Flao
Dessinateur : Benjamin Flao
Parution : Octobre 2013


Le premier tome de  Kililana song » m’avait laissĂ© un sentiment mitigĂ©. J’avais Ă©tĂ© captĂ© par l’ambiance, le dessin et cette chronique de la vie sur un archipel du Kenya. Mais le fil rouge, le liant de l’ensemble me semblait encore bien tĂ©nu. Ça tombait bien, la fin de la premiĂšre partie commençait Ă  relier les histoires entre elles. L’occasion d’un final rĂ©ussi ? La seconde partie clĂŽt le dyptique en 130 nouvelles pages. Le tout est publiĂ© chez Futuropolis et rĂ©alisĂ© par Benjamin Flao.

Le personnage principal est NaĂŻm. EmbarquĂ© sur une embarcation de fortune Ă  son insu par un vieil homme, il va ĂȘtre mis devant les croyances ancestrales de la rĂ©gion. D’autres intrigues se dĂ©veloppent : un navigateur, un expatriĂ© droguĂ©, un investisseur, une prostituĂ©, un vieil homme droguĂ© lui aussi, un frĂšre bigot
 Benjamin Flao n’est pas avare d’intrigues et de personnages, au point de diluer un peu l’intĂ©rĂȘt. À multiplier les histoires, il nous perd dans les mĂ©andres de son scĂ©nario.

Un final un peu confus.

KililanaSong2aL’histoire de NaĂŻm, plutĂŽt drĂŽle, prend ici un tour fantastique. Beaucoup de discours et beaucoup moins d’action. Sur terre, les intrigues avancent plus ou moins sans que l’on sache trop vers oĂč l’on va. Et Ă  la fermeture de l’ouvrage, on constate que certaines histoires ne sont pas vraiment refermĂ©es et disposaient d’un intĂ©rĂȘt finalement limitĂ©. L’auteur s’est clairement Ă©parpillĂ©. Il faut dire qu’avec 250 pages au compteur, il y avait de quoi faire. Mais en se concentrant sur son sujet, l’ouvrage aurait certainement Ă©tĂ© plus lisible. LĂ , on a presque l’impression de suivre des histoires parallĂšles sans vĂ©ritable lien entre elles.

Reste une chronique sociale particuliĂšrement dĂ©paysante. On retrouve une ville de pĂȘcheur avec tous les alĂ©as de ce genre d’endroits. Alors que le lieu ne paraissait dĂ©jĂ  pas folichon, voilĂ  que l’on parle de l’industrialiser. Benjamin Flao ajoute sur le tard une veine Ă©cologique Ă  son ouvrage.

Si le dessin Ă©tait indĂ©niablement le point fort de la premiĂšre partie, c’est toujours le cas. Plus encore, Benjamin Flao varie les techniques pour donner un rĂ©sultat plus diversifiĂ© selon les situations. Reste la lumiĂšre, la chaleur, que l’on ressent sur les peaux des personnages. Sa reprĂ©sentation des Ă©pisodes fantastiques est remarquable, de mĂȘme que celle de la tempĂȘte qui sĂ©vit dans l’ouvrage. Du grand travail.

KililanaSong2b

« Kililana song » me laisse un goĂ»t d’inachevĂ©. La chronique du lieu et l’atmosphĂšre qui s’en dĂ©gage est vraiment remarquable, mais le fil rouge manque d’intensitĂ© et de clartĂ©. Certaines intrigues finissent trop rapidement (voir restent des impasses) et l’épilogue est un peu tirĂ© par les cheveux. Une Ɠuvre symptomatique de l’époque : beaucoup de pagination et une difficultĂ© Ă  la concision. Dommage.

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note3

Une petite tentation

UnePetiteTentation


Titre : Une petite tentation
Scénariste : Jim
Dessinateur : Grelin
Parution : Mars 2013


Paru initialement sous le nom du « Sourire de la babysitter », cette sĂ©rie a connu une renaissance en paraissant sous la forme d’un copieux one-shot (plus de 150 pages quand mĂȘme). En effet, la premiĂšre mouture avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e au premier tome. On ne peut donc qu’ĂȘtre un peu mĂ©fiant, mais pourquoi pas. RebaptisĂ© « Une petite tentation », cette histoire parle donc d’une babysitter et de sa copine qui se lancent le dĂ©fi de piquer le mec quadra et avec une bonne situation dont la premiĂšre garde la fille. S’engage donc un jeu de sĂ©duction avec d’un cĂŽtĂ© la timide et de l’autre la dĂ©lurĂ©. Le tout est paru chez Vents d’Ouest.

Nous avons donc affaire ici Ă  une classique histoire sentimentale. La tentation, le dĂ©sir, les sentiments
 On n’est mĂȘme plus dans un triangle amoureux, mais plutĂŽt dans un hexagone ! Cependant, trĂšs vite on s’aperçoit que les personnages sont stĂ©rĂ©otypĂ©s. Plus choquant, les femmes sont toutes des garces et les hommes des ĂȘtres humains beaucoup plus sentimentaux et fidĂšles
 Étrange parti pris !

Pour un jeune public ?

UnePetiteTentation2Des personnages caricaturaux ne sont pas forcĂ©ment un problĂšme. On pourrait se voir dans un vaudeville sympathique. HĂ©las, les situations sont tout aussi fausses. A aucun moment, on ne croit vraiment Ă  tout ça. Entre une babysitter qui s’exhibe en soutif devant trois quadras ou un ex qui se taille les veines au cutter dans le couloir d’un immeuble, tout cela laisse un peu dubitatif. De mĂȘme, les deux jeunes filles sont Ă©tudiantes ET mineures. Je n’ai pu m’empĂȘcher de tiquer sur ce genre de dĂ©tails. Plusieurs fois, j’ai eu l’impression que ce livre Ă©tait plutĂŽt destinĂ© Ă  un jeune public. Mais pourtant, vu oĂč il est Ă©ditĂ©, ça ne semble pas ĂȘtre le cas. Quant Ă  la conclusion de l’ouvrage, elle va vraiment dans le sens d’une publication pour ado et/ou jeunes adultes. 

MalgrĂ© tout, la lecture mĂ©nage son suspense et ses surprises. La fin est trop moralisatrice et casse un peu finalement la dynamique de l’ouvrage. Le trait de Grelin est dynamique et plaisant. Ses filles sont sexy et illustrent trĂšs bien la notion de tentation
 Cependant, les expressions de visage un peu manga m’ont gĂȘnĂ© par moments. Clairement, ça ne fait pas partie de mes codes graphiques ! Les couleurs Ă©galement, trĂšs modernes, ne me parlent pas. C’est clairement une question de goĂ»t. Grelin a un style moderne oĂč il mĂ©lange de nombreuses influences (franco-belge, manga, voire Disney). De mĂȘme, la colorisation fait partie de canons du genre. Je regrette cependant un choix de faire des grandes cases finalement assez avares de dĂ©cors. Cela augmente la pagination pour pas grand-chose. Mais encore une fois, ça semble ĂȘtre une tendance du moment.

UnePetiteTentation1

« Une petite tentation » est un rĂ©cit sexy oĂč les jolies filles peu vĂȘtues sont bien prĂ©sentes. Inscrit dans une mouvance qui se veut moderne, je ne suis pas sĂ»r que cet ouvrage puisse toucher rĂ©ellement autre chose qu’un lectorat bien jeune qui fermera les yeux sur les incohĂ©rences du rĂ©cit et sur les caricatures de l’ensemble. Pour ma part, j’ai pris plaisir Ă  dĂ©vorer les filles des yeux. Peut-ĂȘtre que l’idĂ©e de faire un « roman graphique » n’était pas bien pertinente. Il semblerait qu’en 60 pages, tout aurait pu ĂȘtre dit.

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note2

Une vie sans Barjot

UneVieSansBarjot


Titre : Une vie sans Barjot
Scénariste : Appollo
Dessinateur : Stéphane Oiry
Parution : Mars 2011


La fin de l’adolescence et le passage Ă  l’ñge adulte est un grand classique de la bande-dessinĂ©e. À croire que les auteurs sont de grands ados qui ont toujours eu beaucoup de mal Ă  faire leur deuil de cette Ă©poque. « Une vie sans Barjot » raconte la derniĂšre nuit de Mathieu dans sa ville natale avant son dĂ©part pour les Ă©tudes Ă  la capitale. Le tout pĂšse une soixantaine de pages et est paru chez Futuropolis.

La soirĂ©e commence par un concert dans un bar. Tout le monde semble plus ou moins se connaĂźtre. Bienvenue en province, symbole de la banlieue dans le livre. En effet, Mathieu vient d’avoir son bac et son passage Ă  l’ñge adulte sera la montĂ©e Ă  la capitale. Il va donc perdre ses amis et
 NoĂ©mie, la fille dont il est secrĂštement amoureux depuis des annĂ©es.

La fin de l’adolescence en une soirĂ©e.

UneVieSansBarjot1C’est un rĂ©cit sur l’adolescence qui nous est proposĂ©. Mathieu et ses copains sont suffisamment attachants pour nous tenir en haleine, eux qui Ă©cument les fins de soirĂ©e pour retrouver NoĂ©mie. Au final, « Une vie sans Barjot » ne raconte pas grand-chose et fait fonctionner pas mal de clichĂ©s. Mais cette ambiance de dĂ©ambulation nocturne ne laisse pas indiffĂ©rent. La fin casse d’ailleurs un peu cette sensation de fin d’époque. Dommage.

La narration est ainsi purement chronologique et son rythme adopte celui des hĂ©ros. Peu d’ellipses, tout se suit et forme un tout. Le dĂ©coupage en quatre bandes des planches renforce cette impression de temporalitĂ©. On marche avec les personnages, on attend avec eux
 En cela, « Une vie sans Barjot » forme un tout parfaitement cohĂ©rent avec son sujet !

Le dessin de StĂ©phane Oiry est vraiment adaptĂ© au rĂ©cit. Je ne connaissais pas ce dessinateur, mais son trait m’a conquis. Son dessin tout en noirs est parfaitement mis en valeur par une colorisation en bichromie qui permet un dĂ©coupage des scĂšnes. Beaucoup sont bleues (pour l’extĂ©rieur) et les changements vers le jaune ou le rouge apportent un contraste intĂ©ressant.

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« Une vie sans Barjot » est une bande-dessinĂ©e sympa. Loin d’ĂȘtre rĂ©volutionnaire dans son propos ou dans son ambition, elle fait le travail. Elle rappellera certains souvenirs aux nostalgiques qui regrettent encore cette fille Ă  qui ils n’ont pas su dĂ©clarer leur flamme


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note3

L’Ă©chappĂ©e – GrĂ©gory Mardon

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Titre : L’Ă©chappĂ©e
Scénariste : Grégory Mardon
Dessinateur : Grégory Mardon
Parution : Avril 2015


« L’échappĂ©e » est un pavĂ© de plus de 200 pages scĂ©narisĂ© et dessinĂ© par GrĂ©gory Mardon. Le livre narre l’histoire d’un homme qui s’échappe de sa vie pour aller voir la mer. C’est le point de dĂ©part d’une aventure surprenante
 Le tout est publiĂ© chez Futuropolis pour un prix de 27 €.

« L’échappĂ©e » a la particularitĂ© d’ĂȘtre entiĂšrement muet. On pourrait prendre cela pour un exercice de style, mais cette absence de parole Ă  un vĂ©ritable sens. Cela explique le nombre important de pages, le dessin devant exprimer beaucoup d’actions et de sentiments.

Le dessin remplace les mots.

LEchappee2L’histoire est dĂ©coupĂ©e en plusieurs chapitres, chacun Ă©tant reprĂ©sentĂ© par une couleur. Le dessin est bichromique, ce qui permet de bien dĂ©finir les diffĂ©rentes ambiances. L’histoire commence en ville, alors que l’homme mĂšne une vie des plus modernes : mĂ©tro, boulot, dodo. Mais l’appel de la mer va briser cet enchaĂźnement (la cassure est parfaitement reprĂ©sentĂ© par la couverture). Difficile d’en dire plus sans spoiler la suite, mieux vaut laisser la surprise.

Le dessin est bien dans l’air du temps. Le trait au pinceau, Ă©pais, est Ă©lĂ©gant et dynamique. Le travail de GrĂ©gory Mardon est avant tout dans le mouvement et l’expression que dans le dĂ©tail. Ainsi, la BD se lit vite une premiĂšre fois. On s’attarde un peu plus en deuxiĂšme lecture, mais on s’aperçoit qu’on n’est pas passĂ© Ă  cĂŽtĂ© de dĂ©tails particuliers. La lecture est donc trĂšs premier degrĂ©.

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« L’échappĂ©e » est une belle rĂ©ussite. À la fois remarquable de par sa contrainte initiale, l’histoire est finalement plus originale que ce que le pitch initial laissait penser. Dommage que son prix, excessif, puisse bloquer l’achat chez de nombreux lecteurs et empĂȘcher un plus ample succĂšs.

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note4