Le Petit Christian – Blutch

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Titre : Le Petit Christian
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Mars 2003


 Après avoir marqué de son empreinte la bande-dessinée avec des œuvres telles que « Blotch » ou « Peplum », Blutch s’attaque à l’autobiographie avec « Le Petit Christian ». Ou plutôt, c’est ce que l’on est en droit de croire. Car Blutch nie l’aspect autobiographique de cet ouvrage bien que le personnage ait le même prénom et soit alsacien… Quoiqu’il en soit, on suit Christian, un jeune garçon, dans sa vie d’enfant.

La BD enfantine n’est pas nouvelle. On peut citer « Le petit Spirou »,« Cédric », « Boule et Bill » ou plus récemment « Titeuf » pour s’en convaincre. Difficile alors de se démarquer. Blutch le fait sans peine en adoptant un ton résolument rétro qui ne pourra simplement pas parler à des enfants. En s’adressant clairement à des adultes (ne serait-ce que par l’absence de couleurs), Blutch évite l’écueil de faire une nouvelle BD de plus sur l’enfance.

Télévision & bande-dessinée

La vision de l’enfance de Blutch est toujours lié à deux médias essentiels à l’époque : la télévision et la bande-dessinée. Le tout se passant il y a quelques décennies en arrière (on retrouve des références à Steve Mac Queen, Rahan ou Placid et Muzo !), ces deux éléments sont traités de façon complètement différents et contribue à la nostalgie du lecteur (ou l’étonnement pour les plus jeunes d’entre nous). En effet, on parle d’une époque où les enfants sont obligés d’aller se coucher tôt (sans regarder la télé !), ou les BD paraissaient avant tout sur magazine et étaient censurées par les parents. Ainsi, son personnage passe son temps à se projeter sur ses personnages. La plupart du temps, il se transforme en eux, soit il converse avec eux. Si le procédé n’est pas nouveau, il est très réussi ici.

La grande réussite de Blutch est sans conteste l’écart qu’il crée entre les adultes et les enfants. Quand les enfants parlent entre eux, ils sont enthousiastes, bavards, ça gueule, ça crie… Mais dans leurs rapports aux adultes, c’est très différents. Les parents, les profs, le curé sont tout puissants, souvent durs et sévères et font partie d’un autre monde. Ce temps est clairement révolu car de nous jours l’enfant est roi. En cela, l’ouvrage prend d’autant plus de sens. Cette distanciation est accentuée par le dessin. Là où les adultes sont représentés de façon réaliste (et grave), les enfants sont dessinées dans un style naïf. L’écart paraît ainsi encore plus grand. Le dessin est tout en hachures et en noir et blanc. Le dessin des acteurs est particulièrement soigné et toujours en situation (John Wayne en militaire, Steve Mac Queen en cowboy…), ce qui ajoute au côté décalé de l’enfance.

« Le Petit Christian » est une ode à l’enfance et à son imaginaire. Son côté désuet renforce d’autant plus son propos. A cette époque, lire « Rahan » était interdit par les parents (parce qu’il y a des morts et des amazones peu habillées). On est bien loin de la pornographie et des images violentes auxquelles sont témoins les enfants aujourd’hui. En adoptant clairement une vision adulte et tendre de l’enfance, Blutch tape juste. A lire d’urgence !

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Note : 17/20

Blotch, Oeuvres Complètes – Blutch

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Titre : Blotch, Oeuvres Complètes
Scénariste : Blutch
Dessinateur : Blutch
Parution : Janvier 2009
Parution tome 1 : Septembre 1999
Parution tome 2 : Octobre 2000


 Je me suis offert récemment les œuvres complètes de « Blotch », série dessinée et scénarisée par Blutch. Cet ouvrage comprend les deux tomes qui étaient parus alors. « Blotch » est le nom du personnage principal, dessinateur dans Fluide Glacial dans le Paris des années 30… Oui, vous avez bien lu !

Il n’est pas rare de voir les auteurs de Fluide Glacial parler de leur rédaction (tout comme on trouvait ce genre de thème dans Gaston qui travaillait chez Dupuis…). Mais rarement on aura vu une telle créativité. En transposant l’histoire dans l’entre deux guerres, Blutch impose une ambiance désuète incroyable. De même, les dessinateurs d’humour deviennent des artistes pédants, buvant dans les cafés du beau Paris. Ce décalage entre ce que l’on peut imaginer de Fluide Glacial (grosses blagues et pinard) et cette attitude pincée d’artistes arrogants est vraiment incroyable.

Un fluide glacial des annĂ©es 30…

 Blotch est le meilleur mais aussi le pire d’entre eux. Il se dit génial (et l’est a priori), mais est aussi rampant, prêt à écraser les autres par des manœuvres plus fourbes les unes que les autres. Le personnage est détestable. Arrogant, prétentieux, raciste, arriviste… Et éminemment grotesque ! Ainsi, en écrasant son propre alter-ego, Blutch crée une complicité avec son lecteur. 

Evidemment, tout le monde en prend pour son grade. On passera sur ses collègues (on reconnaîtra Gaudelette, Larcenet…), le rédacteur en chef (dont l’avis décide de tout) et les investisseurs (les pires de tous). Seules les personnes extérieures à Fluide Glacial paraissent alors sympathiques, comme son concurrent de toujours, Jean Bonnot ! Le tout est construit autour de petites histoires de quelques pages entraînant une chute. Ce rythme vient de la parution préalable dans le magazine Fluide Glacial. Evidemment, l’auteur développe certains fils rouges (comme sa concurrence avec Jean Bonnot).

L’aspect désuet des années 30 est parfaitement retranscrit. Les dialogues sont savoureux et adaptés à l’époque. De même, lorsque l’on voit les dessins d’humour dessinés par Blutch, ils correspondent à l’humour de l’époque. Une véritable plongée presque un siècle en arrière ! Qui plus est, cette utilisation de l’entre deux guerres sert vraiment les gags. Il y a une vraie exploitation de l’époque en tant que telle.

Le dessin est évidemment au diapason du sujet. Le choix d’un noir et blanc élégant retranscrit parfaitement l’atmosphère surannée de l’ouvrage. Le trait de Blutch est toujours aussi dynamique et expressif. A n’en pas douter, un des grands dessinateurs actuels.

Si « Blotch » tient de la parodie, la direction que prend l’ouvrage en fait un œuvre à part. En utilisant une caricature décalée dans le temps, Blutch crée une bande-dessinée beaucoup plus subtile et complexe. Un album dont on ne peut que se délecter.

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Note : 19/20

Gisèle & BĂ©atrice – BenoĂ®t Feroumont

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Titre : Gisèle & Béatrice
Scénariste : Benoît Feroumont
Dessinateur : Benoît Feroumont
Parution : Septembre 2013


Actuellement, je suis très attiré par la bande-dessinée érotique. Cela tombe bien, « Gisèle & Béatrice », autoproclamé « contenu coquin pour adultes coquins » a reçu de nombreuses éloges chez les critiques de BD ce mois-ci. Du coup, une fois acquis, je me plongeais dans la bête réalisée par Benoît Feroumont. Le tout, publié chez Dupuis dans la collection Aire Libre (assez logiquement), pèse pas moins de 112 pages.

Le pitch de départ est posé dès les premières pages. Béatrice est mal considérée dans son boulot et harcelée sexuellement par son boss. Excédée, elle finit par céder à ses avances. Mais au moment de passer à l’acte, voilà que son patron se transforme en femme… La nouvelle Gisèle, immigrée et sans papier, devient le jouet sexuel de Béatrice et, accessoirement, sa femme de ménage…

Un conte érotique et féministe

C’est un conte érotique et féministe que nous propose là Benoît Feroumont. En renversant les rôles, il permet au personnage de Gisèle de comprendre ce qu’endurent les femmes. Passé de patron macho à immigré harcelé par… un peu tout le monde, elle vit le quotidien de certaines femmes. Ainsi, elle se plaint que Béatrice veuille des rapports sexuels tous les soirs…

L’histoire de « Gisèle & Béatrice » est pourtant pleine de subtilité malgré un pitch qui peut paraître excessif. Car si l’auteur n’hésite pas à faire dans l’excès, avec beaucoup d’humour, le traitement des personnages est particulièrement réussi. Son évolution d’homme à femme se fait difficilement, de même que sa découverte du plaisir féminin. Et que dire de sa relation avec son bourreau Béatrice ?

Benoît Feroumont trouve ici un très bel équilibre entre l’histoire et son suspense réel, l’humour et le sexe. Ce dernier est explicite, mais pas vulgaire. L’auteur prend soin de ne pas être exhibitionniste. Ce qui est représenté a toujours un intérêt et on nage plus en terre d’érotisme que de pornographie. Le tout émoustille quand même le lecteur, pour son plus grand plaisir !

Au niveau du dessin, l’aspect cartoon est très agréable à lire, convenant parfaitement aux nombreux passages décalés et humoristiques. Ce graphisme sait aussi être affriolant, Benoît Feroumont sachant parfaitement jouer des courbes de ses deux personnages. Le tout est expressif et parfaitement mis en valeur par une colorisation adaptée. Un vrai plaisir pour les yeux. Voilà typiquement un trait qui est au service de son scénario.

Au final, j’ai été particulièrement séduit par « Gisèle & Béatrice ». L’histoire ne lit avec plaisir, l’humour est réussi et l’aspect coquin donne un sel supplémentaire à l’ensemble Comme quoi, le marketing avait bien raison : si vous êtes un adulte coquin, nul doute que ce livre saura vous conquérir !

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Note : 16/20

L’atelier Mastodonte – Lewis Trondheim, Yoann, Cyril Pedrosa, Alfred, Julien Neel, TĂ©bo & Guillaume Bianco

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Titre : L’atelier Mastodonte
Scénaristes : Alfred, Guillaume Bianco, Julien Neel, Cyril Pedrosa, Tebo, Lewis Trondheim & Yoann
Dessinateurs : Alfred, Guillaume Bianco, Julien Neel, Cyril Pedrosa, Tebo, Lewis Trondheim & Yoann
Parution : Juin 2013


Lorsque je tombe sur un ouvrage de Lewis Trondheim, je suis bien incapable de résister à la pulsion de l’achat. Alors lorsqu’il s’associe à d’autres auteurs que j’apprécie (Neel, Bianco, Yoann, Alfred…), il m’est impossible de ne pas passer à la caisse… « L’atelier Mastodonte » raconte le quotidien de quelques auteurs de bande-dessinée réunis en atelier. Ils dessinent tous des strips sur les anecdotes de l’atelier. Ainsi, il n’est pas rare qu’ils se répondent… Publiés dans le journal de Spirou, ceux-ci se voient regroupés dans un ouvrage au format paysage de belle facture. L’écrin est même dessiné par Bilal… Mais alors que donne cet ouvrage réunissant une véritable dream team de la BD ?

Tout démarre par la volonté de Trondheim d’ouvrir un atelier. Les premiers strips font donc part de cette envie et nous présente les auteurs. Ainsi, Guillaume Bianco est intimidé par Lewis Trondheim, Julien Neel se balade avec une marionnette, Cyril Pedrosa souhaite que les auteurs se syndiquent… Et rapidement s’instaure ce qui fera la force de l’ouvrage : la réponse du berger à la bergère ! Ainsi, lorsqu’un auteur se moque d’un autre dans son strip, celui-ci lui répond dans le strip suivant. Cela instaure une vraie dynamique. Il me semble d’ailleurs que dans le journal de Spirou, les strips étaient publiés par deux sur une page. Ceux-ci font chacun une demi-page de huit cases.

Une vraie diversité dans les humours.

La diversité des humours fait la force de l’ouvrage. Même si chacun sera plus ou moins sensible à tel ou tel auteur, globalement il y a une ligne directrice qui se dégage. Comme les auteurs se répondent, on reste souvent dans les mêmes humours au final. Et après des débuts plus classiques, les délires se développent et chaque personnage prend une ampleur intéressante, car son caractère est vu par différents auteurs. Et l’atelier parvient à dégager de vrais délires collectifs (on pense au collectionneur par exemple) qui donne l’impression d’une vraie cohésion de groupe.

L’autre intérêt est évidemment la diversité des graphismes. Tout est assez différent puisque l’on passe de dessins d’humains à de l’animalier… Là encore, c’est un plaisir de découvrir les différentes visions de chacun. Pour ma part, j’aime beaucoup les styles graphiques de beaucoup d’auteurs de cet ouvrage. On notera que de nombreux guests viennent enrichir l’ensemble et pas des moindres : Bouzard, Buchet, Delaf, Feroumont, Frantico, Keramidas, Libon, Nob, Plessix, Sapin, Stan & Vince et Vivès. Rien que ça !

Cet « Atelier Mastodonte » est une véritable réussite. Voilà un exemple à suivre en termes d’ouvrage collectif. Tout est entremêlé et c’est cela qui fait toute la force de ce livre. Plein d’humours différents, du scatologique au plus subtil, il est aussi une source de blagues sur les auteurs et leurs différences. A lire absolument.

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Note : 16/20

Le loup des mers – Riff Reb’s

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Titre : Le loup des mers
ScĂ©nariste : Riff Reb’s
Dessinateur : Riff Reb’s
Parution : Novembre 2012


Les récits de piraterie ont toujours exercé une forme de fascination auprès du lectorat. La rudesse des hommes, la nature impitoyable et la mer, à perte de vue. Ainsi, alors que le sujet avait poussé Jack London à écrire un roman sur le sujet, Riff Reb’s s’empare de l’histoire de ce dernier pour la mettre en images. N’ayant pas lu le roman dont il est question, je me garderai de toute comparaison. Le livre, présenté sous un format comics, pèse pas moins de 130 pages et est publiée dans la collection Noctambule aux éditions Soleil.

L’histoire commence alors que Humphrey Van Weyden prend le bateau pour rejoindre l’un des ses amis. L’homme est un gentleman, critique littéraire de métier. Seulement, le voyage tourne court suite à une mauvais grain entraînant un naufrage dramatique pour l’homme. Ce dernier est recueilli alors par Loup Larsen, un pirate qui enrôle l’homme de force comme mousse.

Un lien fait de haine et de fascination.

On suit alors la survie d’Humphrey à bord du navire. Là-dessus, rien de nouveau sous les tropiques. D’abord trop fragile, il va finir par s’aguerrir, se faire des alliés et monter dans la hiérarchie. Son côté intellectuel plaît à Loup Larsen qui, sous ses dehors cruels, possède une culture des plus impressionnantes. Un lien se crée entre les deux hommes, fait de haine et de fascination. Clairement, c’est là-dessus que le livre propose toute sa force. Le sujet est traité avec subtilité. Les changements d’attitude des personnages entre eux sont finement amenés, jusqu’au bout de l’aventure.

LeLoupDesMers2Cependant, outre les relations humaines, on est pris d’empathie pour Humphrey et le véritable suspense de l’ouvrage est ici : pourra-t-il se soustraire de Loup Larsen ? Une quête qui paraît impossible tant le capitaine possède un côté surnaturel exacerbé par son charisme. Si bien que le lecteur tombe aussi sous le charme de ce personnage fort et atypique.

La construction de l’ouvrage est basé essentiellement sur une narration omniprésente qui cite, je le suppose, des passages du livre. On lit donc l’histoire racontée par Humphrey. Le livre est constitué de dix-sept chapitres agencés chronologiquement.

Graphiquement, Riff Reb’s frappe très fort. Mélange de différentes techniques, son graphisme est simplement splendide. Outre ses personnages, aux attitudes fortes, c’est dans la représentation de la mer qu’il explose littéralement. Plus les scènes semblent difficiles à dessiner, plus elles sont réussies. Les tempêtes sont ainsi magistralement rendues. Le tout est colorisé de façon monochrome, chaque chapitre possédant sa propre couleur. Un choix payant tant l’ouvrage est fort sur ce point-là. Outre la dureté du propos, Riff Reb’s accentue le tout avec un dessin à la fois personnel et puissant. Du grand art.

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Si le sujet du « Loup des mers » n’est pas vraiment original, il faut avouer qu’il est traité ici avec beaucoup d’intensité. Doté d’une narration fluide et d’un graphisme splendide, on dévore ce livre de la première à la dernière page, se prenant régulièrement des claques devant le talent de l’auteur. A lire absolument !

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Note : 18/20

Chaos Team 1.1 – Ronan Toulhoat & Vincent Brugeas

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Titre : Chaos Team 1.1
Scénariste : Vincent Brugeas
Dessinateur : Ronan Toulhoat
Parution : Février 2013


« Chaos Team 1.1. » est le premier épisode d’une saga née de la collaboration de Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat. J’ai découvert ce duo en lisant « Block 109 ». Cette uchronie date d’il y a trois ans. J’ai été conquis par le travail des deux auteurs et par la qualité de l’univers qu’ils avaient créé. C’est donc avec une curiosité forte que je me suis plongé dans leur dernière production sorti en librairie le sept février dernier. Son format se rapproche de celui de la série précédente. Edité chez Akileos, sa taille s’approche davantage de celle d’un grand roman. L’histoire se déroule sur environ cent vingt pages. La narration se conclut par un texte du scénariste et par quelques pages de recherches graphiques du dessinateur. La couverture nous présente un personnage charismatique. Il est grand, musclé, expérimenté. Sa barbe compense sa calvitie. Il tient fermement une hache dans une ville qui semble dévastée. L’atmosphère dégagée s’accommode parfaitement avec le terme de Chaos évoquée dans le titre.

ChaosTeam1cLa quatrième de couverture nous présente le synopsis suivant : « Près de quatre ans après une frappe extraterrestre qui a détruit la majorité des forces armées et mis à genoux les gouvernements des différentes Nations du globe. La Terre n’est plus qu’un vaste terrain de jeux pour ses nouveaux maîtres, anciens mafieux, criminels ou autres fanatiques religieux. Ces derniers, devenus désormais de véritables seigneurs de la guerre font souvent appel à une entreprise de mercenaires et d’armement, ayant survécu à l’invasion et à même de fournir hommes, armes et munitions, voire produits de première nécessité : Blackfire Industries. C’est dans cet environnement de chaos et de guerre que nous découvrons la Chaos Team, une unité de mercenaires liée à Blackfire et dirigée par John Clem, en mission de protection à Grenade, auprès du nouveau Pape. »

Un puzzle dont les auteurs nous dispensent les pièces de manière apparemment aléatoire.

Toute la chronologie de l’histoire se construit autour d’une année zéro correspondant à la date de l’invasion extraterrestre. Les différents événements qui nous sont contés sont repérés par rapport à ce moment. D’ailleurs la narration n’est pas chronologique. Elle se découpe en chapitres qui peuvent être antérieurs ou postérieurs au « moment repère ». L’histoire ressemble donc à un puzzle dont les auteurs nous dispensent les pièces de manière apparemment aléatoires. Cela amène une densité forte à la lecture. Le dosage scénaristique est bien maîtrisé.

ChaosTeam1bChaque chapitre est précédé d’une présentation de son casting. La première page nous liste les différents protagonistes impliqués dans l’intrigue. Tous font quasiment partie de la Chaos Team. Les aventures de ce groupe hétéroclite servent de fil conducteur à notre découverte de cet univers. Les personnages sont évidemment fortement charismatiques et intrigants. Du fait de leur « emploi », on se doute qu’ils ne sont pas comme « monsieur tout le monde ». Ils possèdent nécessairement des capacités largement au-dessus de la moyenne. De plus, leurs « placards » sont nécessairement plein de « cadavres ». Ce sont ces zones d’ombre qui intriguent. Leur côté mercenaire fait qu’on n’arrive pas à ressentir une empathie absolue à l’encontre de tout ce beau monde. Leur éthique et leurs ambitions nous interrogent.

Cette nouvelle histoire est particulièrement mise en valeur par le dessin de Ronan Toulhoat. J’étais déjà tombé sous le charme en lisant « Block 109 ». Il possède un trait assez unique qui génère une atmosphère forte et prenante. Les personnages sont suffisamment variés et détaillés pour qu’on n’ait aucun mal à les différencier et à se les approprier. Le travail sur les couleurs est également de grande qualité et ravira les adeptes du genre. Que ce soit les scènes intimistes ou les plans beaucoup plus larges, tout est bien construit.

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En conclusion, cet ouvrage est très réussi. Il se lit avec appétit. D’ailleurs je m’y plongerai à nouveau avec plaisir. Cela me permettrait de profiter davantage des différents personnages. La suite de ce bouquin ne devrait pas tarder. Je l’attends avec une certaine impatience. Mais cela est une autre histoire… 

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Note : 17/20

La ClĂ´ture – Fabcaro

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Titre : La ClĂ´ture
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabcaro
Parution : Avril 2009


« 6 pieds sous terre » est une maison d’édition qui cherche avant tout à donner de la liberté aux auteurs. Dans « La clôture », Fabcaro profite de cette liberté pour délivrer un récit complètement absurde et expérimental. Difficile à définir ce qu’est « La clôture ». Avant tout, cet ouvrage décrit la difficulté pour un auteur (en l’occurrence, Fabcaro) d’écrire des scénarios quand on est empêtré dans le quotidien (avec notamment une clôture à réparer).

Pourtant dans les premières pages, point de présence autobiographique de l’auteur. On démarre le tout sur des personnages fictionnels. Très intrigué par le début de l’histoire, le lecteur est rapidement rassuré lorsque la compagne de Fabcaro déclare, en lisant ces mêmes pages : « Mais… C’est totalement incohérent… On comprend rien du tout… ». L’auteur déclare alors qu’il est au bord de la dépression et qu’il n’arrive pas à scénariser avec tout ce qu’il a à faire à côté…

Les scènes se succèdent sans lien apparent entre elles.

Et justement, malgré tout cela, Fabcaro va pourtant nous scénariser une histoire entre Sonia et Pierre. La première ne rencontre que des losers et voudrait trouver quelqu’un. Le second cherche avant tout un emploi mais semble complètement incompétent pour cela. Ils finiront quand bien même par se rencontrer après de nombreuses péripéties. Laissant libre court à son imagination, les scènes se succèdent sans lien apparent entre elles.

lacloture1Au fur et à mesure des pages, Fabcaro s’intègre dans sa propre fiction, se mettant alors à parler avec ses « acteurs » de ses états d’âme. Pendant ce temps, l’histoire continue… Cette partie autobiographique, sous une apparence classique, est toujours agréablement mise en scène par Fabcaro. Outre le comique absurde de répétition, on retrouve l’auteur devant ses contradictions : faire un ouvrage original au risque d’en « vendre huit ». La panne d’inspiration reste évidemment le principal sujet de l’ouvrage, puisqu’il est la raison du bordel incroyable qu’est « La clôture » : ne sachant qu’écrire, Fabcaro fait n’importe quoi, essayant des choses diverses et variées. Evidemment, les dernières pages amènent un éclaircissement salvateur et « La clôture » prend alors tout son sens.

Malgré la confusion volontaire du récit, on rit beaucoup dans cet ouvrage. Les dialogues, les situations absurdes, le mélange des genres… Fabcaro maîtrise son humour si particulier et personnel avec maestria. Qu’importe le personnage ou le lieu, l’auteur parvient à nous arracher des rires avec un sens du contre-pied incroyable.

Au niveau du dessin, j’avoue être très fan du trait de Fabcaro. Ses personnages aux longs cous sont très expressifs. Mention spéciale aux silences, parfaitement retranscrits graphiquement, souvent par une répétition maîtrisée et intelligente de la case.

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« La Clôture » est une œuvre exigeante. La feuilleter dans une librairie ou une bibliothèque risque fort de faire hésiter le lecteur. Doté d’un humour efficace et d’une mise en abîme originale, cette bande-dessinée, très expérimentale, n’en est pas moins avant tout une véritable histoire avec ses personnages, ses retournements de situation. Un monument de l’absurde.

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Note : 18/20

-20% sur l’esprit de la forĂŞt – Fabcaro

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Titre : -20% sur l’Esprit de la ForĂŞt
Scénariste : Fabcaro
Dessinateur : Fabcaro
Parution : Septembre 2011


Auteur actuellement très prolifique, Fabcaro a développé ses œuvres sur la base d’un humour absurde et décalé. Outre sa série d’ouvrages autobiographiques, l’auteur a écrit « La clôture », une bande-dessinée expérimentale où personnages se mêlent dans un joyeux bordel qui ne se comprend qu’une fois les dernières pages lues. Fabcaro récidive dans le même style avec « -20% sur l’esprit de la forêt », paru chez « 6 pieds sous terre », une maison spécialisée pour les expérimentations.

« -20% sur l’esprit de la forĂŞt » est difficile Ă  dĂ©finir. Sous couvert d’un bordel sans nom difficilement comprĂ©hensible au dĂ©part, c’est avant tout une Ĺ“uvre pleine d’humour et de tendresse sur la fin de l’enfance. On retrouve ainsi un Fabcaro qui joue aux cowboys. Suite Ă  une mauvaise imitation de Jean-Pierre Bacri, il se retrouve poursuivi par toutes les polices de l’état. Il faut dire qu’il a battu son adversaire (un playmobil) dans un duel Ă  mort oĂą il lui avait lancĂ© une feuille…

Incompréhensible et absurde au départ.

Un minimum d’ouverture d’esprit sera nécessaire pour apprécier cette BD ! Complètement incompréhensible et absurde au départ, elle prend peu à peu du sens. Ainsi, Fabcaro explique que quand il jouait dans les escaliers (avec ses playmobils justement !), il entendait en même temps ce qui passait à la télévision. Résultat, quoi de plus normal que d’intégrer des scènes des émissions de télé en plein milieu de l’histoire ?

20-surlespritdelaforet1Heureusement, on est rapidement happé par l’humour ravageur de l’auteur. Fabcaro manie l’absurde comme peu en sont capables et fait mouche sans peine. Malgré un décalage souvent énorme par rapport à la trame principale, il parvient quand même à faire rire. Si bien qu’on s’accroche rapidement sans trop d’efforts jusqu’à ce que tout prenne sens. Car sens il y a ! Au fur et à mesure, on découvre un Fabcaro dont le métier est incompris, empêtré dans un quotidien très loin de ses idéaux. Et quand les dernières pages arrivent, on se retrouve ému, touché par cette histoire qui ne peut que nous rappeler notre propre enfance perdue. Après un ouvrage foutraque plein d’humour absurde, l’auteur nous donne une dose de nostalgie incroyable. D’un coup. Du grand art !

Le dessin de Fabcaro, très relâché et expressif est toujours un régal. Il renforce sans peine son humour. Son noir et blanc est très élégant et bien plus riche qu’il peut paraître au premier abord. L’auteur s’autorise même quelques digressions bienvenues.

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« -20% sur l’esprit de la forêt » est une œuvre exigeante et difficile d’accès. Clairement expérimentale, elle n’oublie pas pour autant son but premier. Dotée d’un vrai message, bourrée d’humour et à l’impact émotionnel insoupçonné, elle prouve l’immense talent de Fabcaro, capable de faire de ses ouvrages les moins accessibles les plus passionnants. Difficile en tout cas de refermer cette BD sans y repenser à de nombreuses reprises. Et vous, de combien avez-vous bradé votre esprit de la forêt ?

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Note : 19/20

Kraa, T2 : L’Ombre de l’Aigle – BenoĂ®t Sokal

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Titre : Kraa, T2 : L’Ombre de l’Aigle
Scénariste : Benoît Sokal
Dessinateur : Benoît Sokal
Parution : Janvier 2012


Benoît Sokal, auteur de la série « Canardo », avait surpris son monde avec la sortie du premier tome de « Kraa » où son talent de dessinateur explosait dans une histoire totalement dénuée d’humour et froide comme la lame d’un couteau. La sortie du deuxième tome de ce triptyque, « L’ombre de l’aigle » confirme la grande qualité de cette série.

Dans un coin reculé de la planète, entre Alaska et Sibérie, un territoire devient la source de convoitises. Un relatif réchauffement local et des minerais précieux dans le sous-sol attirent tous les aventuriers avides de richesses rapidement gagnées. Mais ce n’est pas si simple. Dans la ville nouvelle, tout va trop vite. L’hiver est rude, rendant le travail impossible. Et la nature reste incontrôlée. Démarrent alors de grands travaux destinés à ériger un barrage à la sortie d’une vallée encaissée. Ainsi, les inondations issues du dégel seront contrôlées et de l’électricité sera produite en grosse quantité. Dans cette vallée perdue vivait une tribu indienne, massacrée depuis. Et surtout, il y a cet aigle géant, vénéré auparavant comme un dieu, que la civilisation veut faire disparaître…

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Le premier tome de « Kraa » était avant tout basé sur la relation entre le garçon et l’aigle. Ici, l’hiver a continué son processus d’assimilation et le jeune autochtone est devenu complètement sauvage. Ainsi, le couple fondateur de la série est très en retrait, laissant la place à la jeune infirmière à peine entrevue dans le premier tome. Celle-ci va devoir se rendre dans la vallée, sur les lieux des travaux, à ses risques et périls…

Plus que l’aigle, ce sont les vautours qui sont Ă  l’honneur.

Curieux choix de Sokal de mettre de côté son aigle dans cette partie. Cependant, cette décision n’en est pas mauvaise pour autant. La galerie des personnages s’étoffe et se fait plus pertinente. Car plus que l’aigle, ce sont les vautours qui sont à l’honneur. Le véritable sujet est cette ruée vers l’or et ses conséquences. Et c’est remarquablement traité. Les désillusions, la pauvreté, la misère, les prises de risques… On s’en bien que ce monde en devenir ne peut que s’écrouler. La dureté de cet univers est omniprésente. La violence est partout, tout le temps. Le fait de démarrer ce tome dans la ville donne d’autant plus l’impression que la vallée est tout sauf accueillante. Et pourtant, cette ville est déjà sacrément désagréable pour ses habitants…

La narration reste efficace mais plus classique. Les parties narratives, données par l’aigle, sont plus rares alors qu’elles étaient vraiment la pierre angulaire du premier tome. Tout passe par l’action et le dialogue désormais.

Le dessin de Sokal, en couleur directe, est une nouvelle fois splendide. Outre les paysages magnifiques qui sont une véritable invitation au voyage, les personnages ont de vraies trognes, donnant beaucoup de personnalité à l’ensemble. L’auteur semble très à l’aise pour tout et produit à coup sûr l’une des bande-dessinées les plus belles de l’année.

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Avec « Kraa », Sokal a créé un monde original, dur et implacable. Passionnant de bout en bout, doté d’un vrai suspense, il prend le temps de bâtir toute une série de personnages et de problématiques avant le troisième tome qui clora la série. Difficile encore de savoir où il veut vraiment en venir, mais « Kraa » s’annonce d’ors et déjà comme un chef d’œuvre.

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Note : 18/20

Kraa, T1 : La VallĂ©e Perdue – BenoĂ®t Sokal

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Titre : Kraa, T1 : La Vallée Perdue
Dessinateur : Benoît Sokal
Scénariste : Benoît Sokal
Parution : Septembre 2010


 J’ai découvert par hasard le dernier album de Benoît Sokal, intitulé « Kraa » et sous-titrée « La vallée perdue ». Sokal s’est fait connaître notamment par la série Canardo. Très typée franco-belge (tout en rondeur, en traits noirs et en couleurs vives), cette série vaut surtout pour son humour. Avec « Kraa », on change complètement d’univers.

L’histoire de « Kraa » se situe entre la Sibérieet l’Alaska, dans une vallée encaissée. Suite à un réchauffement climatique, cette vallée devient économiquement exploitable. L’homme moderne vient alors s’y installer, rêvant de richesses. Or, la vallée est habitée par une tribu indienne, où déjà l’influence du colonisateur se fait sentir. Cependant, les indiens vivent en harmonie avec la nature qui les entoure. Pour l’instant…

kraa1bKraa est le nom d’un aigle. Il est l’un des deux héros de l’album. En effet, il créera un lien particulier avec Yuma, un jeune indien. Ensemble, ils représentent ce que le nouveau monde ne veut plus : la nature sauvage et les autochtones, freins à l’expansion économique et industrielle.

De véritables tableaux.

Ce qui marque dès les premières pages, c’est le dessin. Il est simplement magnifique d’un bout à l’autre. On ne retrouve pas du tout le dessinateur de Canardo ! Les traits sont moins appuyés, les couleurs moins vives et le tout est simplement superbe. Mention spécial aux paysages vides et au personnage de l’aigle, plus vrai que nature. On retrouve un peu les ambiances et les teintes d’albums de Sokal plus anciens comme « L’Amerzone » ou « La Mort Douce ». Rien que pour son dessin, cet album vaut le coup. Certaines cases sont de véritables tableaux.

Heureusement, l’histoire n’est pas en reste. La relation entre Kraa et Yuma est remarquablement rendu par une narration différente. Ainsi, Kraa est le point de vue du narrateur, la « voix-off » de l’album. Ses discours de départ sont particulièrement cruels, mélange d’instinct et de cruauté. En cela, il n’est pas particulièrement sympathique. Bien sûr, son lien avec Yuma le rendra beaucoup plus « humain ». Cette évolution est loin d’être immédiate. En cela, elle est réussie. Yuma est l’opposé de Kraa. Très attaché aux valeurs traditionnelles indiennes, il est très généreux. Une perle d’humanité dans un monde qui ne l’est pas du tout.

Sokal prend le temps de poser son sujet. Ainsi, ce tome qui introduit les protagonistes fait 94 pages. Cela permet aux personnages d’évoluer à un rythme cohérent. De plus, les cases sont souvent grandes pour permettre à son dessin de s’exprimer pleinement.

Au final, cet album est une excellente surprise. J’ai eu le plaisir de retrouver les ambiances malsaines de fin du monde de l’Amerzone traitées avec un dessin magnifique. Je ne peux évidemment que vous le conseiller et attendre avec impatience le prochain tome !

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Note 17/20